[Interview] Le retour des montres mécaniques haut de gammes dans les années 90
Les années 90 pour Seiko ne sont pas un période sur laquelle les amateurs s’attardent trop en général. Et pourtant, cette période a joué un rôle déterminant dans l’histoire moderne de Seiko en posant les fondations de ce que deviendra la marque dans les années 2000 et 2010.
En effet les années 90 sont le symbole du retour des mouvements mécanique haut de gamme, tant en Suisse avec des noms comme Renaud et Papi, qu’au Japon avec Seiko.
J’ai eu le privilège de poser quelques questions à ce sujet à Fumio Tanaka, un cadre de Seiko Watch Corporation ayant vécu aux premières loges cette période méconnue mais finalement très intéressante.
Ce passionné de golf, de cuisine et de vie nocturne a commencé sa carrière chez Seiko en 1989 après avoir étudié à l’Université d’Hiroshima, sa ville natale. De 1989 à 1993, il travaille au développement produit et merchandising de Credor puis commence très rapidement sa carrière à l’internationale en rejoignant l’équipe de Seiko pour le chronométrage des JO de Barcelone en 92 avant de rejoindre Seiko UK en 93. Il multiplie ensuite les expérience en Amérique Latine puis à Hong Kong avant de retourner au Japon pour devenir cadre dans le marketing de toutes les marques de Seiko. C’est à lui que l’on doit entre autre le partenariat de Seiko avec la PADI. En 2016, Fumio Tanaka coordonne le développement de Grand Seiko à l’international et la création de boutiques en nom propre. Il travaille entre autre avec Hodinkee et Fratello Watches dans cette période importante pour la marque et participe à l'essor de GS à l’international.
Depuis cette année, il a prit la président de Seiko Panama et est en charge du développement de Seiko et Grand Seiko dans toute l’Amérique Latine.
Voici donc les quelques questions auxquelles il a accepté de répondre sur le sujet du retour de l’horlogerie mécanique haut de gamme dans les années 90.
Arnaud: Comme tout le monde le sait, Seiko a été un pionnier dans les montres à quartz. Pourtant au début des années 90, Seiko a fait son comeback sur le marché des montres mécaniques haut de gamme. Comment est-ce que ça s’est passé?
Tumio Tanaka: La fin des années 80 et le début des années 90 est une période où les montres à quartz sont arrivées à maturité avec une précision qui se calcule sur une année et des montres multifonctions (qu’on appelait “quartz intelligent”), mais les montres étaient aussi devenus des produits de consommation classique. Nous avions un besoin urgent de trouver un créneau dans lequel nous différencier. Au Japon nous étions en pleine bulle économique et l’abolition de la taxe à la consommation a permis d’augmenter grandement l’importation de produits de luxe, dont des montres. C’était également une période où l’industrie Suisse revenait sur le devant de la scène avec l’héritage de leur savoir-faire dans l’horlogerie mécanique comme atout principal. Il était donc naturel pour nous de développer la production de mouvements mécaniques en interne.
A: Après avoir changé l’histoire moderne de l’horlogerie avec le quartz, Seiko fait son retour une quinzaine d’années plus tard sur le créneau des montres mécaniques haut de gamme. Avec ce challenge du retour aux montres mécaniques, qui étaient vos principaux concurrents?
FT: Comme nous n’avions plus de montres mécaniques haut de gamme depuis un moment, toutes les marques étrangères sur ce créneau étaient nos concurrentes. À cette époque, Cartier et Omega ne se focalisaient pas encore sur le mécanique, donc de mémoire je dirais Rolex, IWC, Patek Philippe, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Piaget etc. Nous n’avions pas identifié une marque en particulier comme concurrent, toutes les marques l’étaient !
A: Vous avez commencé votre carrière dans le développement de produits pour Credor. Est-ce que la marque était le fer de lance de Seiko dans le retour des montres mécaniques haut de gamme?
FT: Oui, tout à fait. Nous n’avions pas d’autres marques dans notre portfolio qui puisse proposer des montres de ce prix.
A: Quels ont été les plus gros challenges auxquels vous avez été confrontés pour ce retour des montres mécaniques?
FT: Nous venions de passer plus d’une décennie sans produire de mouvements mécaniques*, ce qui a créé de grosse lacunes dans la conception et la production (y compris pour l’assemblage) de tels produits. Mais le plus gros challenge fut de convaincre la direction qu’il y avait un avenir dans les montres mécaniques haut de gamme Japonaises.
*: Au début des 90s, il n’y avait que des mouvements mécaniques pour les Seiko 5, à savoir le calibre 42 pour les femmes et le calibre 70 pour les hommes, qui n’étaient pas assemblés au Japon et étaient des mouvements entrée de gamme.
A: Le calibre 68 est un des mouvements légendaires de la marque, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur sa réintroduction au début des années 90?
FT: Le calibre 68 d’origine sorti à la fin des années 60 n’était pas très connu, une sorte de secret dans l’histoire de la marque, mais pourtant son design était déjà parfaitement abouti dès le début. C’est donc lui que l’on a choisi lorsque nous avons commencé à vouloir relancer les mouvements mécaniques haut de gamme. En plus, nous avions encore quelques horlogers qui avaient travaillé sur ce mouvement à l’époque et qui n’étaient pas encore partis à la retraite. Pour être honnête, le lancement de ce mouvement fut assez discret mais petit à petit, il a gagné en réputation et nous avons donc agrandi l’offre avec d’autres montres haut de gamme comme le chronographe 6S ou les Grand Seiko 9S.
A: Le 4S était un autre mouvement haut de gamme de cette période, vous pouriez nous en dire plus?
FT: Je n’étais pas impliqué directement dans le développement du 4S, mais ce projet s’était fait en concurrence du cal.68. Il utilisait le design du cal.52 de King Seiko sorti dans les années 70 tout en l’améliorant pour correspondre aux critères de manufacture de l’époque. Après la sortie du mouvement 3 aiguilles et date pour Seiko, il y a eu beaucoup de variantes créées avec différents affichages comme la réserve de marche par exemple, et le mouvement fut aussi utilisé chez Credor avec un design plus recherché.
A: On n’a retrouvé de mouvement mécanique chez Grand Seiko qu’en 1998 avec le fameux 9S. Est-ce que c’était la durée nécessaire pour arriver à la maturité et au niveau d’excellence qu’on peut attendre d’un mouvement pour Grand Seiko?
FT: Le développement en interne d’un calibre mécanique de ce niveau n’est pas chose aisée, surtout après un laps de temps aussi long. En plus nous avions placé la barre très haute avec le nouveau standard GS qui devait dépasser les normes chronomètre. Cette histoire est bien décrite sur notre site (j’ai participé à son écriture et j’ai appris beaucoup de choses sur le 9S et le 4S): https://www.grand-seiko.com/global-en/special/10stories/vol5/1/
A: Une petite question plus triviale pour finir. Je sais que vous aimez les bonnes bouteilles et que vous êtes un homme de goût. Si vous deviez comparer Grand Seiko et Credor à des boissons, vous choisiriez quoi?
FT: Pour Grand Seiko, un single malt whisky, car les deux permettent d’apprécier le savoir-faire de l’artisan. Pour Credor, un grand cru de champagne car la marque s’apprécie plus dans un certain contexte social.
C’est un vrai privilège de pouvoir poser des questions à quelqu’un comme Fumio Tanaka, un vrai passionné d’horlogerie ayant eu une brillante carrière au sein du groupe, et je tiens à lui renouveler mes remerciements.
Cet article est le premier d’une série qui sera dédiée à l’évolution des mouvements mécaniques de Seiko dans les années 90 et en quoi cette période a été fondatrice dans le développement de ce que sont aujourd’hui Seiko, Grand Seiko et Credor.
Vous pouvez dors et déjà lire l’article de mon ami Ken Hokugo que j’ai partagé l’an dernier sur le blog d’Ikigai Watches au sujet d’Akira Ohira, le créateur du fameux 9S de Grand Seiko: https://www.ikigai-watches.com/interview-avec-lhorloger-pere-des-grand-seiko-mecaniques-modernes-mr-akira-ohira/5491