L’esthétique japonaise

L’esthétique est une discipline de la philosophie et la question du beau a animé de nombreux auteurs de Platon à Kant, le sujet est donc évidemment d’une incroyable complexité. Je n’ai ni la prétention ni l’envie de philosopher ici, et je demande l'indulgence des spécialistes pour mes lacunes. 

Cependant, j’aimerais partager avec vous quelques notions afin de vous aider à mieux comprendre comment la perception du beau au Japon revêt différents aspects assez uniques à cette fascinante culture.

L’esthétique japonaise est riche et complexe pour de nombreuses raisons, elle a évidemment évolué au cours de siècles, mais certains concepts traditionnels se détachent et permettent de mieux comprendre les différents visages et aspects de celle-ci. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, bien que ces concepts datent de plusieurs siècles, leur popularisation remonte à l’après-guerre et à l'expansion du Japon à l’international avec les JO de Tokyo en 1964 et l’exposition universelle d’Osaka en 1970.

Explorer l’esthétique japonaise exige de changer de perspective, d'abandonner notre cadre de référence occidental pour adopter une sensibilité totalement différente.

Comme expliqué dans l’article synthétique “l’esthétique japonaise et la nature du temps”, les notions de beau telles de comprises au Japon ou en occident diffèrent en raison des racines religieuses totalement différentes. Les notions de bien et de mal sont au cœur des cultures judéo-chrétiennes et cette dichotomie a influencé notre façon de voir les choses de manière souvent binaire ou manichéenne. Or le Japon a une culture ancrée dans le bouddhisme et le shintoïsme, religions qui vont au-delà du bien et du mal:

“L’homme dont l’esprit est stable, non troublé par le désir, qui est au-delà du bien et du mal, Celui-là est un être éveillé qui ignore la crainte.”

(Dhammapada, stance 39)

Là où l’Occident privilégie les dichotomies (bien/mal, beauté/vérité, esthétique/logique), la culture japonaise favorise des notions plus complexes, qui s’entremêlent et se complètent pour dépeindre une réalité plus riche et nuancée. Les notions que nous verrons ici n’ont donc pas de définitions strictes et arrêtées, et essayer d’en faire serait inutile. 

Donald Richie dans son “Traité d’esthétique japonaise” parle de “compréhension intuitive et perceptuelle plutôt que rationnelle et logique” et précise qu’il ne faut pas chercher de conclusion logique mais “définir ces perceptions et ces variations de l’appréciation esthétique”. C’est ce qui explique que mon but n’est pas de dresser une liste exhaustive des notions ou critères spécifiques à l’esthétique japonaise, mais plutôt d’illustrer ces sensibilités, cette appréciations de ce qui est beau, afin d’avoir certains codes pour tenter de comprendre l’expérience subjective de la beauté telle que ressentie et caractérisée dans la culture japonaise.

Les termes d’intuition et de perception utilisés par Donald Richie montrent que l’appréciation de la beauté est une question de ressenti, et reste donc une expérience subjective. Dans l’esthétique Japonaise comme dans la passion horlogère, tout n’est finalement qu’une question d’émotion. Et au cœur de ces émotions, le temps. Sans le temps qui passe, toutes choses perdent leur valeur et les émotions s'éteignent. 

Cette série d’articles vise à explorer deux aspects : la perception du beau au Japon et le rôle central du temps dans cette esthétique.