L'esthétique Japonaise et la nature du temps
La nature fugace du temps qui s’écoule inexorablement, le flot constant du temps qui passe. Ou comment la culture Japonaise et le Bouddhisme se reflète parfaitement dans Grand Seiko et le Spring Drive.
Pour comprendre Grand Seiko, il faut s'imprégner du Japon et accepter d’enlever nos lunettes d’occidentaux pour essayer de regarder ces petits objets à travers le spectre de la culture Nippone. Et seulement à ce moment-là, on peut commencer à vraiment saisir l’essence de cette marque.
Donc aujourd’hui je vous propose de voyager à environ 9500km d’ici pour plonger dans la culture Japonaise et essayer d’en comprendre quelques bribes. C’est une culture riche et complexe, en perpétuelle évolution et je ne prétends absolument pas la connaître et la comprendre. Mais je vous propose d’essayer de nous pencher sur quelques facettes importantes de cette culture qui sont intimement liées et qui habitent totalement la production de Grand Seiko: celle de la contemplation de la nature, et celle du rapport qu’entretiennent les Japonais avec le temps, ce qui nous amènera, je l’espère, à mieux apprécier l’idée de “Nature of Time” incarné par le Spring Drive.
Mais avant de parler de la nature et du temps, il me semble important d’avoir quelques notions sur l’esthétique Japonaise...
L’esthétique Japonaise, à la croisée des religions et de la culture
Grand Seiko trouve ses racines dans la culture Nippone et il en découle une approche de l’horlogerie qui ne s’est pas construite sur les mêmes bases que l’horlogerie occidentale.
La grande différence culturelle que nous avons avec le Japon s’explique majoritairement par des différences de religion: là où les pays occidentaux sont majoritairement construits sur des bases judéo-chrétiennes, le Japon s’est construit une culture autour de deux religions: le shintoïsme, la religion propre au Japon, et le bouddhisme arrivé au Japon au Vème siécle.
La différence est de taille et tient une place centrale dans la compréhension des spécificités de la culture Japonaise, plus particulièrement dans ce qui nous intéresse aujourd’hui: l’esthétique.
La sensibilité esthétique Japonaise est profondément influencée par le bouddhisme et la notion de beau prend un sens différent de celui qu’il pourrait avoir dans une culture aux racines judéo-chrétiennes. Là où la culture chrétienne va valoriser la perfection et promettre le vie éternelle par l’accession au paradis, une culture basée sur le bouddhisme (et donc sur la réincarnation) va valoriser tout ce qui se rapporte à l’aspect éphémère de la vie et de ses perpétuels recommencements. Ainsi, tout ce qui a trait aux cycles de la vie et à cette immuable force qu’est le cours du temps revêt une importance toute particulière et transmet des émotions considérées plus profondes que celles générées par l’équilibre, la symétrie, la perfection, en un mot la beauté telle que nous la concevons en tant qu’occidentaux.
Le shintoïsme quant à lui est une religion animiste où chaque plante, rocher, rivière ou animal a une divinité qui réside en lui, ce qui place donc la nature au centre de la vie.
On comprend donc déjà rapidement au travers de ces quelques idées que les notions de temps et de nature sont au coeur de la culture et de l’esthétique Japonaises, et sont considérés toujours en mouvement.
Simplicité et évocation du temps qui passe sont à la base du concept de la beauté zen.
Quelques concepts esthétiques Japonais
Il existe de nombreux concepts propres à l’esthétique Japonaise, qui sont utilisés dans les arts mais aussi en architecture et dans de nombreuses autres facettes de la culture nippone.
Je vous propose d’en découvrir trois essentiels afin de mieux comprendre la sensibilité Japonaise.
Ces concepts n’ont pas d’équivalent en français, nous utiliserons donc leurs noms originaux.
Wabi Sabi
Ce concept tire son sens de deux notions complémentaires.
La première, wabi, est un processus interne de recherche de la beauté et de l’épanouissement à partir du manque.
La seconde, sabi, est la grâce trouvée dans le déclin et la décadence causés par le passage du temps.
Ensemble, ces notions forment un état d’acceptation de l’aspect éphémère de la condition terrestre, célébrant son caractère changeant et honorant chaque fissure et chaque marque tendrement laissée par l’usage et le temps.
Symbole d’une conscience esthétique mariée aux sentiments de sérénité et de perte, wabi sabi est parfaitement illustré dans la sublime simplicité des jardins japonais.
La beauté resplendit dans ce qui est fragile et imparfait.
Le wabi sabi implique également une forme d’austérité et de mélancolie mélangées.
Shibui
Un objet shibui exprime sa beauté en toute discrétion, il semble simple en apparence mais se révèle plus complexe et raffiné quand on s’en rapproche, que ce soit par des petits détails ou une texture qui s’équilibrent avec l'apparente simplicité. Il a été conçu avec cœur, à la main, il se bonifie avec l’âge et l’usage, sans souffrir de la mode. On ne se lasse pas des objets shibui, leur apparente simplicité révélant progressivement des nuances subtiles, qui continuent à évoluer au fil des années.
Les 7 caractéristiques de shibui:
Un objet shuibui est simple, implicite, modeste, naturel, c’est un objet de la vie de tous les jours, imparfait et silencieux.
Yugen
Cette notion est peut-être la plus compréhensible pour nous occidentaux. Ce terme pourrait être traduit par la beauté mystérieuse et le charme subtil.
Il ne s’agit pas de faire appel à l’imaginaire ni de décrire la réalité concrète, mais de percevoir le monde comme doté d’une profondeur implicite. C’est la grâce du non-dit, du suggéré et du secret.
En laissant le mystère et l’imagination se mêler, cette image véhicule plus d’émotions.
Les jeux d’ombres et de lumière peuvent également exprimer le yugen et créer une atmosphère particulière. Yugen pousse à regarder au-delà de ce qui est visible.
Le yugen peut aussi être rapproché du kanso, le fait de voir la beauté dans les choses épurées et sobres.
La nature et le temps
Les Japonais sont connus pour avoir une culture traditionnelle qui pousse à la contemplation, on s’en rend compte lorsqu’on visite des jardins, de temples ou des sanctuaires, mais également dans différentes facettes des arts Japonais traditionnels.
On peut mettre ça directement en lien avec la nature et l’environnement au Japon qui sont rudes, les tremblements de terre, les tsunami, les volcans etc. Face à l’impossibilité de dompter la nature qui les entoure, les Japonais ont développé dans leur culture cette dimension contemplative, soit de la nature à l’état sauvage, soit dans la reproduction de la nature dans une univers maitrisé.
Ce sont ces idées qui sont à l’origine des bonsai, une forme d’art qui consiste à exprimer les éléments de la nature et du temps qui passe au travers de la miniaturisation d’un arbre, les bonkei, qui s’en rapprochent mais où cette fois-ci on représente un paysage, ou l’ikebana, l’art traditionnel de l’arrangement floral.
Les jardins zen sont également un aspect important de la culture Japonaise, qui sont des représentations maîtrisées de la nature et qui poussent à la méditation par leur beauté austère, ainsi que par l’aspect solennel et la profondeur des sentiments qu’ils provoquent chez les Japonais. Le passage du temps est également important dans ces jardins qui sont conçus pour présenter des visages différents au cours des saisons.
On pourrait également citer hanami, cette grande fête printanière où des millions de Japonais se retrouvent dans les parcs pour manger et boire en observant les cerisiers en fleur. Hanami signifie littéralement «regarder les fleurs», mais on retrouve également le même type d'événement à l’automne pour observer la lune ou l’hiver pour observer la neige.
Et on se rend compte à nouveau au travers de ces exemples qu’il est presque impossible de dissocier la nature de l’idée du temps qui passe. Rien n’est figé et la nature ne s’apprécie que parce qu’elle est le reflet de l’essence évanescente même du temps.
En effet, au Japon les cerisiers sont particulièrement appréciés car aussitôt qu’ils sont en fleurs, un simple coup de vent suffit à faire s’envoler les pétales, soulignant la fragilité de la vie et le caractère immuable du temps qui passe…
Cette appréciation se voit également dans des choses plus subtiles. On peut prendre exemple sur les momiji, les érables du Japon qui rougissent en automne. Bien que leur couleur soit magnifique, on considère que le plus beau moment, c’est quand certaines feuilles sont encore vertes, ce qui souligne la notion que l’automne n’est pas un moment figé dans le temps, mais au contraire la transition entre l’été et l’hiver, et le vert de ces quelques branches inspire cette idée du temps qui passe.
Cette sensibilité pour le temps qui passe est aussi illustrée dans d’autres aspects de la vie de tous les jours au Japon. Les kimono, par exemple, arborent des motifs qui évoquent toujours la nature et la façon dont elle reflète le passage du temps. Cette idée est également le concept central derrière la cuisine kaiseki, la haute gastronomie Japonaise typique de Kyoto. Au travers du choix des produits, des techniques de cuisine, de la vaisselle et de la décoration, vous voyagerez au travers des saveurs, de la nature Japonaise et des saisons.
D’une manière plus subtile, cette notion du temps qui passe joue également un rôle central dans l’appréciation des mouvements et des gestes.
Cette sensibilité se retrouve dans la façon de marcher des Geisha ainsi que dans leur danses.
Elle joue aussi un rôle central dans la cérémonie du thé, dont les pratiquants estiment que le thé sera meilleur s’il est préparé avec grâce et élégance.
On retrouve cette idée aussi dans la calligraphie, où lorsque l’esprit se vide, la pureté du geste donne toute sa beauté à l’exercice.
Il ne sera donc pas étonnant de voir des horlogers Grand Seiko évoquer les mêmes idées, comme Yoshifusa Nakazawa du MAS, qui dit
Le Spring Drive, incarnation d’une sensibilité esthétique Japonaise
On retrouve donc toutes ces notions que nous avons évoquées depuis tout à l’heure, incarnées par le fameux mouvement Spring Drive et son aiguille qui glisse silencieusement sur le cadran, sans à coups.
L’idée a été illustré par Yuji Hamada pour le 55ème anniversaire de Grand Seiko et on la retrouve également dans différentes vidéos produites par la marque.
En jouant avec la lumière, Yuji Hamada exprime la façon dont le quartz 9F et le Spring Drive 9R incarnent deux illustration du temps qui passe: là où le 9F marque avec précision extrême chaque seconde, le Spring Drive glisse parfaitement sur le cadran, évoquant la nature même du temps.
Elle a ensuite été reprise dans différents spots publicitaires puis dans la fameuse exposition “Nature of Time” qui a voyagé partout dans le monde, de Tokyo à Milan.
Cette dernière vidéo me semble être la parfaite illustration du concept philosophique du Spring Drive.
Yoshifusa Nakazawa, maître horloger du Micro Artist Studio, disait également ceci au sujet du Spring Drive:
Le Spring Drive est donc un mouvement à part, que ce soit d’un point de vue technique, mais aussi car il évoque à lui seul toute la sensibilité Japonaise.
Nous avons évoqué des concepts qui incarnent une beauté Japonaise, une beauté épurée, subtile, mystérieuse, mélancolique, simple, imparfaite, asymétrique…
Et une des incarnation de ces idées est le “enso” ou le cercle zen. Loin du cercle des mathématiciens, dans le Zen, il représente à la fois l’univers et l’éveil spirituel.
Un grand sage Japonais, Maitre Sekito, a dit un jour “Même si le lieu de méditation est exigu, il renferme l'Univers”.
Et je pense que ces montres que nous apprécions tous autant, ces petits cercles, renferment également un univers, un univers passionnant et particulier, profondément infusé de cette sensibilité Japonaises.
Au final, porter un Spring Drive, c’est avoir un jardin zen au poignet, c’est l’évocation de la nature immuable du temps qui passe, c’est un peu de poésie et de philosophie, c’est une invitation à la méditation. En un mot avoir un Spring Drive au poignet, c’est emporter un peu de Japon avec soi.
La fierté de Shinshu
Les artisans de Seiko Epson se sont inspirés de l’histoire et de la culture locale pour créer un cadran fabuleux qui fait leur fierté et rend hommage à la région.
Anciennement connu sous le nom de Suwa Seikosha, Seiko Epson est installé dans la région de Matsumoto dans la préfecture de Nagano, au centre de Honshu, l’île principale du Japon. La petite ville de Shiojiri abrite la manufacture des Grand Seiko équipées des mouvements Spring Drive 9R et Quartz 9F. Le nom de la ville signifie littéralement “les fesses du sel” car elle se situait historiquement à la fin de la route du sel, qui amenait l’or blanc aux villes montagneuses depuis la Mer du Japon. Plus au Nord de Shiojiri, le sel provenait plutôt du Pacifique, l’accès étant plus simple par les routes arrivant du Nord, évitant de traverser les montagnes entourant Shiojiri.
Le studio où sont assemblées les Grand Seiko équipées du 9F et du 9R porte le nom de Shinshū Watch Studio. Shinshū est l’ancien nom de la préfecture de Nagano. Il s’agit en fait de l’abréviation du nom complet de la préfecture de Shinano. L’Université de Matsumoto porte d’ailleurs le nom de Shinshū University.
Le nom du studio où sont assemblées ces GS est donc déjà un hommage à l’histoire locale en lui-même.
Lorsque Grand Seiko sort en 2004 ses premiers modèles équipés du fabuleux mouvement Spring Drive, trois modèles sont annoncés, les SBGA001, 003 et 005. La SBGA005 était une édition limitée et comme toutes les LE (Limited Edition), elle a un petit quelque chose de plus qui lui vaudra d’avoir droit à son propre article.
Aujourd’hui, nous nous pencherons plus en détail sur la SBGA001, devenue dernièrement SBGA201.
Le Spring Drive étant unique au Shinshū Watch Studio, les équipes de Seiko Epson ont pensé à rendre hommage à la culture locale avec cette montre historique, puisqu’il s’agit de la première Grand Seiko équipée du Spring Drive.
Pour comprendre, il faut se rendre à 10 kilomètres au sud de Seiko Epson, dans la ville d’Okaya au bord du lac Suwa, pour y trouver le Musée de la Soie.
En effet, Okaya était par le passé la capitale Japonaise de la sériculture (culture des vers à soie) et de la soierie en général, grâce à l’eau du lac Suwa et à la quantité importante des mûriers qui poussent dans la région. Il y a cent ans, le Japon produisait 80% de la soie grège (soie à l’état brut) au monde et la soierie représentait la moitié des exportations du pays, ce qui laisse entrevoir l’importance de cet artisanat dans la culture locale.
Les équipes du Shinshū Watch Studio ont donc réussi à concevoir un cadran somptueux qui fait leur fierté, en rendant hommage à un art propre à la région, à sa culture et à son histoire. Il faut voir ces cadrans de ses propres yeux pour apprécier la texture soyeuse et les reflets magnifiques qu’ils proposent, vous vous retrouverez alors directement propulsé à Okaya, aux-côtés d’une mamie en train de filer la soie pour produire un magnifique kimono.
Ces cadrans sont faits à la main, un par un, par une petite poignée d’opératrices dont la finesse des gestes se retrouve dans le délicat soleillage des cadrans. Il faut compter pas moins de 11 étapes pour concevoir ces petits chez d’oeuvres soyeux, entre les différentes étapes de poli miroir, de soleillage, de plaquage etc. Ils demandent plus d’étapes de fabrication que le fameux cadran Snowflake, un autre symbole du Shinshū Watch Studio !
Vous pouvez aujourd’hui profiter de cette fierté de Shiojiri sur de nombreuses références. Et vous savez maintenant qu’il ne s’agit donc pas de cadrans champagne mais de cadrans soie, façon Okaya !