Les évolutions de Grand Seiko depuis 60 ans
Grand Seiko connait depuis quelques années un réel essor chez les amateurs d’horlogerie et ce nom n’est plus un secret pour grand monde aujourd’hui. Avec cette popularité naissante, l’histoire de la marque commence également a être contée ci et là, que ce soit par la marque ou ses amateurs.
Dernièrement, Grand Seiko a annoncé de nombreuses nouveautés qui en auront surpris plus d’un, en bien ou en mal. Afin de mieux appréhender ces grands changements, je vous propose de faire un petit saut en arrière pour de voir comment la marque a évolué au fur et à mesure de son histoire et quels sont les virages qu’elle a pris pour se réinventer au cours du temps.
18 Décembre 1960 - 24 Décembre 1969 : La naissance de l’excellence horlogère Nippone
L’idée de Grand Seiko est née à la fin des années 50, alors que Seiko s’était imposé sur le marché Japonais et dans les concours de chronométrie Nippons.
A l’origine, il ne s’agissait que d’une montre, mais pas n’importe laquelle: la Grand Seiko devait être la meilleure montre possible, celle qui devrait permettre aux Japonais de battre les Suisses. Les équipes qui ont travaillé sur cette montre y ont mis tout leur savoir-faire, toutes les compétences, et ce sans se soucier du prix final de la montre. Il fallait tout simplement faire la meilleure montre possible, peu importe son coût.
La résultat était une montre plaqué or (Gold Fill pour être exact) à 25,000¥, soit plus cher que les plus chères des Seiko en or 18 carats alors disponibles. Sans parler de la version en platine, au prix de 140,000¥. Pour remettre ces chiffres en perspective, le premier salaire moyen d’un diplômé d’université au Japon était d’environ 10,800¥ en 1960.
Ce qui n’était à l’origine qu’un seul modèle - la «First» puis la 57GS etc - s’est progressivement transformé en une gamme composée de plusieurs modèles. Cette gamme était construite autour de valeurs fortes: la précision, lisibilité, fiabilité, la durabilité, la praticité, la beauté... Mais la précision a toujours été la valeur centrale de Grand Seiko.
C’est avec cette ligne directrice que la gamme a évolué au fil des années 60 en innovant avec leur premier mouvement automatique dans la 62GS en 1967, avec leurs premiers mouvement Hi-Beat en 1968 dans les 45GS (manuelle), 61GS (automatique) et 19GS (pour femme).
1969 : année ... charnière
Puis en 1969, Grand Seiko sort sa première VFA ou Very Fine Adjusted, une montre donnée pour une précision de +/- 1 minute par mois, soit 2 secondes par jour. Il s’agit là d’un exploit remarquable et uniquement égalé il y a quelques années par Rolex.
Les VFA marquent le succès de Seiko dans la manufacture des montres mécaniques les plus précises de leur époque, l’aboutissement d’un travail acharné, le sommet de ce qu’une montre mécanique peut offrir en terme de chronométrie et l’incarnation même de la valeur la plus importante de Grand Seiko: la précision.
Mais en 1969 sortira une autre montre qui fera de l’ombre à la VFA: la Seiko Astron 35SQ. Il s’agit bien évidemment de la première montre à quartz commercialisée dans le monde, et sortie le 24 Décembre 1969. Elle est donnée pour une précision de +/- 5 secondes par mois, soit 30x mieux qu’une VFA.
Ces deux montres remarquables, les VFA et les Astron, vont avoir un rôle crucial dans l'évolution de Grand Seiko. Que peut devenir la marque qui incarne la quête de la perfection chronométrique des montres mécaniques quand celle-ci a été atteinte avec les VFA et pulvérisée avec l’arrivée du quartz?
La marque va donc opérer un réel tournant à partir de 1970.
1970 - 1975 : le renouveau nécessaire
Les années 70 ont été un vrai tournant dans l’histoire récente de nos sociétés, un chamboulement profond à tous les niveaux et ce partout dans le monde.
A une échelle beaucoup plus humble, l’horlogerie a également connu de grands changements, entre autre avec l’introduction sur le marché par Seiko des premières montres à quartz.
C’est dans ce contexte particulier que Grand Seiko a dû se réinventer pour continuer d’exister. Là où la gamme s’étendait sur quelques modèles relativement sobres, représentant le fleuron de l’horlogerie Japonaise, les années 70 pour Grand Seiko vont voir des changements majeurs.
Pour commencer, Seiko va déployer son calibre 56 dans la gamme GS, avec évidemment des ajustements chronométriques à la hauteur de la marque. Le calibre 56 est le premier mouvement dont la fabrication est automatisée, ce qui réduit grandement le coût de production. C’est également un mouvement qui revient à une fréquence plus basse de 28,800 alternances par heure, considéré à l’époque comme plus durable (moins de frottements etc). Mais surtout, c’est un mouvement automatique beaucoup plus fin que ceux conçus jusqu’à présent. Il s’agira du dernier nouveau mouvement pour GS, qui se concentrera désormais sur l’habillage plus que sur la technique horlogère.
On voit donc beaucoup de changements esthétiques. D’un point de vue du design, Grand Seiko va proposer un florilège de déclinaisons, de couleurs, de cadrans et de boitier texturés. La Grammaire du Design évolue et est appliquée à des designs plus modernes, plus originaux, plus «funky».
Je n’irais pas jusqu’à parler d’une démocratisation de Grand Seiko, mais on sent clairement qu’une nouvelle dynamique est mise en place pour GS et les prix sont revus clairement à la baisse.
Le quartz est devenu le nouveau fleuron de l’horlogerie Japonaise et les montres mécaniques passent au second plan. Au point qu’en 1975, la gamme Grand Seiko est tout bonnement arrêtée au profit du quartz qui est le nouveau haut de gamme. C’est la fin d’une période, c’est la fin de l’excellence mécanique de Grand Seiko.
1988 : un retour inattendu
Après 13 années de sommeil, Grand Seiko sera ressuscité de la manière la plus inattendue possible: avec du quartz !
Cette technologie même qui a causé la disparition de Grand Seiko en milieu des années 70 va permettre la renaissance de la gamme à la fin des années 80, d’abord avec les calibres 8N, 95 puis le fameux 9F.
Pendant 10 ans, Grand Seiko va produire quelques modèles en acier et en or, en restant dans des designs sobres et classiques, inspirés des grandes heures de la gamme.
Cette période reste malgré tout difficile pour Seiko qui se développe énormément sur l’entrée de gamme mais qui peine à retrouver le succès des années 60 et 70.
Il faudra attendre 10 ans avant de voir enfin un mouvement mécanique à nouveau dans une Grand Seiko.
1998 - 2017 : le début d’une nouvelle ère
Avec la sortie en 1998 du calibre 9S, c’est un nouveau souffle qui s’empare de Grand Seiko. Alors que les montres mécaniques font leur retour sur le devant de la scène horlogère, c’est sous la direction d’Akira Ohira que GS va retrouver ses lettres de noblesses avec la création d’un nouveau calibre d’exception, inspiré des meilleurs mouvements Seiko des années 70, et plus particulièrement le calibre 52.
Après des débuts timides à la fin des années 80, GS va peu à peu redorer son blason et retrouver ses lettres de noblesse.
L’innovation sera au rendez-vous avec de nombreux nouveaux mouvements, parmi lesquels un mouvement automatique avec 3 jours de réserve de marche, une version manuelle, une version GMT, un tout nouveau mouvement Hi Beat et Hi Beat GMT, le fameux Spring Drive ainsi que ses versions GMT et/ou chronographe etc.
Le design est au rendez-vous avec des versions modernisées de la Grammaire du Design, des designs puisés dans la riche histoire de la marque, de fabuleux cadrans texturés, des finitions exceptionnelles. Petit à petit, le secret bien gardé de l’excellence de GS dépasse les frontières du Japon puis de l’Asie, entre autre grâce à l’ouverture de la première boutique Seiko au monde à Paris.
En 2014, Grand Seiko remporte le Prix de la Petite Aiguille au Grand Prix d’Horlogerie de Genève, une étape marquante dans la popularisation de la marque à l’international.
Après l’âge d’or de GS dans les années 60, nous assistons ici au nouvel âge d’or de GS à l’ère moderne.
2017 - 2020 : un nouveau virage pour Grand Seiko
En 2017, Grand Seiko prend un virage significatif en décidant de s’ouvrir officiellement au marché international et de devenir indépendant de Seiko, bien que toujours rattachée au groupe éponyme. Cela se matérialisera dans un premier temps par la disparition du logo SEIKO sur les cadrans au profit du logo GS à 12h.
Ce qui pouvait sembler dans un premier temps n’être qu’un simple geste marketing aura des conséquences claires dans les mois et les années qui suivent et je pense que nous n’avons pas encore tout vu à l’heure actuelle. Grand Seiko se structure progressivement, ouvre des boutiques en nom propre aux quatre coins du globe, ouvre des succursales indépendantes avec de nouvelle équipes en charge de la marque.
Dans les produits, on voit également une volonté de s’ouvrir et de s’adapter aux goûts des clients occidentaux. Petit à petit, on sent que Grand Seiko écoute ce qu’attendent les clients avec des montres plus adaptées à la demande, avec des diamètres plus généreux, des couleurs plus marquées, des textures plus visibles, la mise en avant du savoir-faire Japonais, le tout pour répondre à ceux qui trouvaient les Grand Seiko trop froides ou chirurgicales. Mais on voit également apparaître des montres plus fines, de nouveaux mouvements, beaucoup de nouveautés très variées…
Cela s’accompagne également d’une nouvelle politique très claire: positionner Grand Seiko sur un segment plus élevé, globalement autour des 10 000€ et beaucoup plus haut.
Et je pense que 2020 sera sans aucun doute l’année qui reflètera le plus clairement cette nouvelle stratégie, à l’orée des 60 ans de la marque.
Grand Seiko a déjà annoncé quelques nouveautés, et pas des moindres: deux nouveaux mouvements entièrement revus de A à Z, de nouvelles pièces du Micro Artist Studio qui pulvérisent les prix plafonds constatés jusqu’à présent chez Grand Seiko (dont une montre mécanique, une première pour le MAS) et un tout nouvel atelier d’assemblage pour les Grand Seiko mécaniques à Shizukuishi. Et quelque chose me dit qu’on n’est pas au bout de nos surprises...
2020, c’est également l’année de lancement de Grand Seiko Europe, un succursale indépendante qui chapeautera tout ce qui touche à Grand Seiko en Europe continentale. Et c’est également l’équipe de GS Europe, dirigée par Frédéric Bondoux sous la houlette d’Akio Naito, qui sera en charge de la nouvelle boutique située Place Vendôme.
Où va GS maintenant?
Il est encore tôt pour tirer des conclusions sur tout ça, mais il me semble important de rappeler que Grand Seiko a connu différentes ères dans son histoire, que les valeurs chères à cette marque ont su être déclinées de différentes façon tout en gardant une certaines fidélité à l’esprit d’origine. Et il me semble essentiel qu’une marque puisse évoluer et s’adapter aux changements du marché, de la société, des pratiques etc.
Je fais partie de ceux qui ont connu Grand Seiko dans ses heures de gloires au début des années 2010, avec la naissance des 44GS modernes, la popularisation difficile du Spring Drive, le GPHG de 2014 etc. Et il est clair que cette période est aujourd’hui révolue. Comme je l’ai déjà dit ailleurs, c’est un peu comme voir son groupe de rock indie préféré passer des petites salles intimes aux plus grands festivals, devenir disque d’or et «commercial». Et nombreux sont ceux qui n’approuvent pas cette nouvelle politique, que ce soit parmi les fans des premières heures ou les plus récents convertis.
Les designs plus flashy et les montres très ornementées ne sont pas ma tasse de thé, ou du moins ne rentrent pas dans la représentation que je me fais de Grand Seiko. J’ai l’impression que la marque s’efforce de plaire aux gros acheteurs du Moyen Orient et de Chine, en perdant quelque peu la sobriété toute Nippone qui m’était si chère. C’est un choix politique tout à fait logique et la direction que prend la marque est claire: vendre moins de pièces, mais à un prix plus élevé. Et c’est peut être ce qui me dérange le plus.
Là où la Grand Seiko First de 1960 coûtait cher parce qu’elle représentait l’excellence du savoir-faire de la marque, j’ai l’impression que les derniers modèles présentés coûtent cher pour des raisons uniquement politiques. Et après tout, on ne peut pas leur en vouloir pour ça, le Seiko Group est bien là pour générer du bénéfice avant tout. Mais il y a une grande différence entre faire une montre chère parce qu’elle est excellente, et concevoir une montre pour qu’elle soit chère.
Mais malgré toutes ces critiques, il y a du positif: Grand Seiko continue d’innover avec ses deux nouveaux mouvements 9SA5 et 9RA5 qui apportent chacun leurs lots d’innovations et d’améliorations. Ce sont également des mouvements plus fins, ce qui est une excellente nouvelle. On voit également que Grand Seiko adapte ses infrastructures pour répondre à la demande croissante et c’est peut être la meilleure nouvelle de cette année 2020 pour GS. C’est une critique qui était souvent faite depuis l’ouverture de la marque au marché international. Compte tenu de la production quasi-artisanale de la marque, il semblait difficile de maintenir la qualité tout en augmentant la production sans avoir à pousser les murs. Il faut maintenant espérer que la formation des horlogers GS de demain et des centres de SAV suive la même dynamique.
Reste également à savoir comment seront positionnées les montres équipées du 9SA5 et 9RA5 dans les prochaines années. Je pense que pour l’instant, GS gardera les mouvements actuels dans les gammes de prix que l’on connait, et les nouveaux mouvements dans des montres autour des 10 000€. Puis petit à petit, les anciens mouvements seront remplacés par de nouveaux pour recentrer la marque vers ce qu’elle avait annoncé, tout en gardant des modèles plus abordables autour des 3000/7000€ comme c’est actuellement le cas.
Conclusion
On voit donc qu’au cours des 60 dernières années, Grand Seiko a su évoluer, s’adapter, se transformer tout en restant fidèle à ses valeurs d’origine. Je reste persuadé que malgré les transformations progressives de ces dernières années, Grand Seiko continuera de proposer des montres fabuleuses dans des budgets plus humains et même si je ne suis peut être plus dans le coeur de cible de la marque, je suis quand même curieux et excité de voir où cette nouvelle dynamique va nous amener et ce que nous réserve cette nouvelle ère pour GS. Parce que malgré tout, Grand Seiko restera toujours une marque très chère… à mon coeur !