Seikosha Tensoku: la montre des Tokkotai
J’ai écrit cet article en Octobre 2017 pour le site Les Rhabilleurs, où il est toujours disponible: https://www.lesrhabilleurs.com/2017/10/seiko-seikosha-tensoku-tokkotai/
Je le partage ici également car un des objectifs de ce site est de regrouper tous mes écrits en un seul et même lieu.
Un contexte historique et culturel très particulier
«Le devoir est plus lourd qu’une montagne ; la mort est plus légère qu’une plume.»
Fin octobre 1944.
Le fameux Yukio Seki est mort en héros en envoyant son Mitsubishi Zero contre le pont d’un porte-avion Américain. Il était à la tête du tout premier groupement d’attaque spéciale (ou tokkotai), l’unité Shikishima. Les Américains sont aux portes du Japon et l’état-major Nippon sait que les Philippines sont un point stratégique essentiel à tenir. L’unité Shikishima, composée de trois kamikaze et de deux escortes, parvient à couler le St Lo, porte-avion Américain stationné dans le Golfe de Leyte. La solution contre l’ennemi Américain semble toute trouvée. Si un ou deux avions suffisent à couler un tel bâtiment, ils estiment que le sacrifice de trois-cents pilotes devrait pouvoir mettre un terme à la guerre du Pacifique.
Yukio Seki, jeune pilote émérite de seulement 23 ans, est immédiatement érigé au rang de héros national, fils de l’Empire offrant sa vie pour sa patrie.
Isao Matsuo a lui aussi 23 ans. Comme Yukio Seki, il a été choisi pour sacrifier sa vie pour l’Empereur en précipitant son chasseur sur un bâtiment Américain. Voici la lettre qu’il a rédigé pour sa famille, quelques heures avant son ultime décollage le 29 Novembre 1944.
Chers parents,
Vous pouvez me féliciter. On m’a offert la chance d’avoir une mort superbe. Aujourd’hui est mon dernier jour. Le destin de notre patrie dépend de cette bataille décisive dans les mers du Sud où je vais tomber, tels les pétales d’un cerisier radieux.
Je vais être le bouclier de Sa Majesté, mourir d’une belle mort avec mon chef d’escadrille et mes amis. Combien j’aurais aimé être né sept fois, pour frapper l’ennemi à chaque fois !
Comme j’apprécie d’avoir la chance de mourir comme un homme ! Je vous suis profondément reconnaissant, à vous qui m’avez élevé, m’entourant de vos prières constantes et de tout votre amour. Et je suis aussi reconnaissant envers mon chef d’escadrille et tous mes supérieurs, qui se sont occupés de moi comme si j’étais leur propre fils et qui m’ont entraîné avec tant de soin.
Merci, mes parents, pour ces 23 années pendant lesquelles vous vous êtes occupés de moi et m’avez guidé. J’espère que ce que je vais faire maintenant pourra repayer au moins en petite partie ce que vous avez fait pour moi. Pensez du bien de moi, et sachez que votre Isao est mort pour notre pays. C’est mon dernier souhait. Il n’y a rien d’autre que je désire.
Mon esprit reviendra vers vous. J’attends avec impatience votre visite au sanctuaire Yasukuni. Prenez bien soin de vous.
Combien est glorieuse l’unité Giretsu des forces d’attaque spéciales, dont les bombardiers Suisei vont fondre sur l’ennemi ! Notre but est de plonger sur les porte-avions ennemis. Des cameramen sont venus faire des prises de vues. Il est possible que vous nous voyiez au cinéma, pendant les actualités.
Nous sommes seize guerriers aux commandes de bombardiers. Que notre mort soit soudaine et propre, comme un cristal qui se brise.
Ecrit à Manille, la veille de notre mission.
Isao
La lecture de ces lignes terrifiantes et de l’histoire du héros Yukio Seki confirment l’idée que l’on se fait généralement des kamikazes: un groupe de soldats volontaires pour sacrifier leur vie dans un ultime acte de bravoure.
Et pourtant, comme souvent, la vérité est beaucoup plus nuancé que cela…
Kamikaze ou Tokkotai ?
Kamikaze signifie «Vent des Dieux» et fait référence à plusieurs éléments de l’histoire et de la culture Japonaise, principalement aux deux tempêtes qui coulèrent les troupes de Kublai Khan, petit-fils de Gengis Khan, lors des tentatives d’invasions Mongoles en 1274 et 1281. Ces deux tempêtes devinrent symbole de la protection divine contre l’envahisseur.
Aujourd’hui, les Japonais parlent plutôt de Tokkotai, d’unité d’attaque spéciale, le terme de kamikaze n’ayant pas la même connotation que chez nous.
La première «attaque spéciale» de l’armée Japonaise a eu lieu pendant la bataille de Shanghai en 1932. Des soldats se sont fait sauter avec une bombe en territoire ennemi mais il s’avère que cette mission n’était pas sensée être une mission suicide et que les soldats en question ont perdu la vie simplement à cause d’une mèche trop courte…
Cet incident ainsi que quelques autres (comme les sous-mariniers de Pearl Harbour) furent repris par la propagande Japonaise afin de faire de ces morts des héros prêts à sacrifier leurs jeunes vies pour la patrie. Les notions d’honneur et de fidélité étant des préceptes fondamentaux du bushido, le voie du guerrier à laquelle répondaient les samuraï, de tels actes étaient perçus par la population comme le sacrifice ultime d’honorables guerriers fidèles à l’Empereur.
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs cas d’avions touchés par l’ennemi et préférant périr en emportant avec eux un maximum de victimes ont été recensés mais il ne s’agissait pas de mission suicide à proprement parler, mais plutôt de mourrir de la manière la plus «efficace» possible.
Or, lorsque le vice-amiral Takijiro Onishi forme l’unité Shikishima pour la bataille de Leyte en Octobre 44, leur mission est claire: trois chasseurs ont pour mission de se jeter sur le St Lo, porte-avion Américain situé au large des Philippines. Les pilotes désignés savent qu’ils décollent pour la dernière fois et sont envoyés avec pour seule mission de mourir.
Mais encore une fois, la propagande Japonaise a voulu faire croire à la population qu’il s’agissait d’un acte de bravoure et que les futurs héros étaient fiers d’être élus par l’Empereur comme leur divin bouclier. Yukio Seki fut bien à la tête du premier tokkotai mais son commandement ne lui avait en fait pas laissé le choix…
Entre propagande glorieuse et sombre réalité
L’histoire de Yukio Seki a été reprise immédiatement par la propagande Japonaise qui l’a tourné en héros fier d’offrir sa vie à l’Empereur. Or, d’autres sources affirment aujourd’hui qu’il aurait été désigné de force pour tenir ce rôle et qu’il se serait exclamé, au moment de décoller une dernière fois:
« L’avenir du Japon est bien morne s’il est obligé de tuer l’un de ses meilleurs pilotes. Je ne fais pas cette mission pour l’Empereur ou l’Empire… Je le fais car j’en ai reçu l’ordre ! »
De la même manière, les derniers mots posés sur papier des pilotes appelés étaient systématiquement contrôlés par la propagande qui leur fournissait des modèles à suivre et desquels ils ne devaient pas s’éloigner. La lettre d’Isao Matsuo citée plus haut en est un exemple parfait et ces mots n’étaient malheureusement pas les siens…
Qui étaient réellement ces jeunes recrues ?
Comme nous l’avons dit, la première unité Tokkotai était dirigée par le Lieutenant Yukio Seki, un des meilleurs pilotes de l’armée Japonaise. Il semblerait que l’état major ait décidé d’envoyer certains gradés dans ces missions afin qu’ils servent d’exemples et ne soient pas accusés d’envoyer les nouvelles recrues dans des missions suicide alors que les dirigeants restaient à l’abri.
Cette technique des «attaques spéciales» devait être un cas isolé, utilisé pour défendre les Philippines et stopper le progrès des Américains. Mais les Japonais ayant été mis en déroute, l’état major décide de généraliser l’utilisation des Tokkotai, sentant rapidement qu’ils ne pourraient reprendre le dessus sur les Américains. Bien que cela ne soit pas présenté de la sorte aux populations et aux armés, le but est maintenant de faire peur à l’ennemi, d’empêcher un débarquement et d’aboutir à une armistice en affichant clairement leur détermination extrême. Rapidement, les attaques suicide se multiplient et les pilotes sont désignés par leur commandement.
Après quelques «exemples» comme Yukio Seki, ce sont finalement les pilotes les moins habiles qui sont envoyés de préférence pour se jeter contre les navires Américains. Les pilotes les plus habiles servent eux à escorter les condamnés. Puis ce sont rapidement des étudiants qui sont appelés sous les drapeaux.
Les étudiants en sciences, en médecine ou en agriculture restent dans les universités et les étudiants en art, en lettres ou proches des mouvements de gauche rejoignent l’armé de terre ou la marine, où ils sont sommairement formés aux manoeuvres aériennes. Là où un soldat Japonais recevait 600h de formation au début de la guerre, les étudiants mobilisés dès 1945 n’ont plus droit qu’à 3 jours de formation, parfois devant mimer les manoeuvres assis dans des boites en bois et tenant un manche à balais à cause du manque d’avions…
La majorité d’entre eux ne verra jamais un bâtiment ennemi puisque la plupart de ces jeunes hommes mourront avant d’atteindre leur cible, victime de problèmes techniques ou de leur incompétence à la navigation. On estime qu’environ 15% des avions se désintégraient en l’air à l’époque où ceux-ci ne sont plus assemblés que par d’autres étudiants.
Tout ceci explique qu’à l’été 1945, seul 8% des pilotes atteignent leur cible, 92% sacrifiant leur vie en vain.
Très peu de pilotes de l’armée ou de la marine Japonaise ont survécu. La totalité d’entre eux était sensée embarquer pour une ultime attaque le 8 août 1945, attaque regroupant les dernières forces des armés Japonaises pour se jeter contre l’ennemi, car être fait prisonnier était une honte suprême. Cette décision fut prise par l’état-major Japonais sans en informer les pilotes, qui ignoraient qu’ils étaient convoqués pour une ultime attaque qui signerait la fin de l’aviation Japonaise
Mais le 6 août 1945, la bombe atomique explose au-dessus d’Hiroshima et cette dernière attaque désespérée n’aura jamais lieu.
Nombreux sont les pilotes qui ont déserté, d’autres ont attendu leur démobilisation pour se fondre dans la foule, avec souvent le regret du survivant et le souvenir des amis s’envolant une dernière fois. Mais assez paradoxalement, c’est la bombe nucléaire qui arracha ces hommes de leur funeste destin. Dans les mois difficiles qui suivirent la fin de la guerre, il n’était pas rare que d’anciens militaires soient pris à partie dans la rue puis passés à tabac par des habitants ayant tout perdu dans la guerre et cherchant à rediriger leur colère vers ceux qui leurs semblaient être fautifs…
Le 15 Août 1945, partout dans le pays les gens se sont prosternés et ont pleuré lorsqu’ils ont entendu pour la première fois la voix de l’Empereur Hiroito à la radio, annonçant la défaite du Japon et la reddition inconditionnelle aux Américains.
Les montres de ces pilotes : Venons en aux faits
On sait assez peu de choses sur les montres que portaient les pilotes de l’armée Japonaise.
Ce que l’on sait, c’est que ces montres n’étaient pas des montres de dotation mais devaient être achetées à l’armée qui se fournissait chez Seikosha, pour qui elles portaient le nom de Type 19. Il s’agissait plus souvent de cadeaux des proches des pilotes, fiers de l’honneur que ces jeunes pilotes apportent à leurs familles.
Seikosha fournit pour les pilotes principalement des horloges qui équipent les cockpits des avions, des montres bracelet et plus rarement des chronographes. On peut noter que les horloges des cockpits et les montres bracelet partageaient le même mouvement basique.
Finalement, la plupart des pilotes portaient l’horloge de leur cockpit autour de leur cou, tenue par un morceau de toile de parachute, ce qui est confirmé par nombre de photos d’époque.
Les montres bracelet étaient fabriquées pour la navigation et proposaient un réhaut tournant gradué, controlé par la lunette cannelée de la montre qui permettait de calculer les temps de vol.
Il semblerait que ces montres n’étaient pas des plus courantes chez les pilotes et qu’on les retrouvait plutôt au poignet des chefs d’escadron ou des pilotes escortant les chasseurs destinés à fondre sur l’ennemi.
Cela semble se confirmer, encore une fois, par le fait que finalement, une grande partie des tokkotai n’étaient pas des pilotes expérimentés et ne faisaient que suivre tant bien que mal leur escadron, ne disposant pas des connaissances nécessaires à la navigation, alors que les pilotes expérimentés étaient assignés au rôle d’escorte.
On comprend donc qu’au-delà de la nature même des «attaques spéciales», ces montres sont excessivement rares aujourd’hui du fait qu’aucun membre des tokkotai ne fut capturé, que les survivants ne furent pas nombreux et que ces montres-bracelet n’étaient pas monnaie courante.
Les informations sur ces montres-bracelet ne sont pas énormes mais voici ce que l’on en sait aujourd’hui:
Les cadrans étaient peints à la main, avec des aiguilles, des marqueurs et les chiffres 12/3/6/9 au radium. Il semblerait que ces montres soient particulièrement radioactives encore aujourd’hui d’après David Thomson du British Museum (vraisemblablement la plus radioactive de leur collection). On peut remarquer sous le radium que les aiguilles étaient bleuies.
Le mouvement est un mouvement classique Seikosha utilisé dans de nombreux modèles. Il s’agit d’un mouvement de 19 lignes, avec 15 ou 17 pierres et spiral Bréguet. Il semblerait que Seikosha ait utilisé différentes versions du même mouvement en fonction du stock disponible. On retrouvait le même mouvement dans les montres de poche ou dans les montres des chemin de fer et des opératrices téléphoniques.
Elles ont été produites dès 1941 et jusqu’en 1945 et n’étaient donc pas destinées spécifiquement aux kamikaze mais tout simplement aux pilotes de la marine et de l’armée, devenus kamikaze par la force des choses. La quasi-totalité d’entre eux ayant péri avant 1944 et le reste ayant été sacrifié avec les tokkotai, le raccourcit est souvent fait en appelant cette montre la “Seikosha Kamikaze” mais son nom en Japonais est la “Seikosha Tensoku”, signifiant «observation astronomique». Elle est aussi parfois appelée «montre de l’aéronautique navale» bien qu’elle ait visiblement aussi équipé des pilotes de l’armée de terre, moins nombreux.
L’exemplaire présenté ici présente quelques traces d’usure intéressantes. La couronne a perdu son nickelage et le fond de boite est usé et présente de nombreuses traces profondes et rectilignes. Cela indique que la montre a probablement continué d’être portée après la fin de la guerre par son propriétaire qui la remontait régulièrement, ce qui explique l’usure de la couronne. Quant au fond, il ne laisse plus apparaître les gravure relatives au bataillon et à l’avion du pilote, mais l’inspection de la face interne du fond laisse apparaître une série de déformations discrètes, signe que ces indications étaient bien présentes. Les symboles de l’aéronavale sont eux toujours visible à l’intérieur.
L’usure du fond est assez atypique, orientée dans le même sens que la gravure d’origine et avec des coups rectilignes profonds. Il n’est pas impossible que le propriétaire de cette montre, cherchant à cacher l’origine militaire de cet objet, ait volontairement fait disparaître ces indications afin d’éviter toutes représailles.
Bien qu’il soit difficile de retracer l’histoire de cette montre plus en détail, il semble plus que probable qu’elle ait appartenu à un pilote expérimenté, ayant survécu à la guerre et dont la survie ne fut redevable qu’à la tragique attaque d’Hiroshima le 6 Août 1945. Il est probable qu’il continua à porter cette montre après la guerre en effaçant les inscriptions militaires que présentait le fond de boite.
Credit: LesRhabilleurs.com
Parler de ces heures sombres de l’histoire n’est jamais facile tant cela peut raviver des souvenirs douloureux des deux côtés. J’espère que ces quelques lignes sur cet objet chargé d’histoire vous auront aidé à mieux comprendre son origine et le contexte de sa création et de son utilisation, loin des clichés habituels.
La famille Hattori
Comprendre qui est qui dans la dynastie Hattori, c’est presque aussi compliqué que de connaître tous les personnages de Game of Thrones. Mais la comparaison ne s’arrête pas là car l’histoire des Hattori est, comme dans l’oeuvre de George R. R. Martin, aussi une histoire de guerre de succession. Bon OK, je rajoute peut être un petit peu trop de drama et le terme de guerre est peut-être un peu fort… Et puis il n’y a pas de dragons dans cette histoire il me semble !
Je vous propose aujourd’hui un résumé de l’histoire de la famille Hattori, depuis les parents du fameux Kintaro jusqu’à la génération actuelle, soit 5 générations qui s’étendent des années 1830 à aujourd’hui. Mais au-delà d’un simple arbre généalogique (que vous trouverez à la fin de cet article), je vous propose de voir un petit peu mieux quelles ont été les dynamiques de pouvoir au sein de la famille et comment celui-ci s’est transmis de générations en générations, avec les évolutions que cela représente, mais également pas mal de drama. Une petite touche de Dallas dans Game of Thrones en quelques sortes !
Comprendre qui est qui dans la dynastie Hattori, c’est presque aussi compliqué que de connaître tous les personnages de Game of Thrones. Mais la comparaison ne s’arrête pas là car l’histoire des Hattori est, comme dans l’oeuvre de George R. R. Martin, aussi une histoire de guerre de succession. Bon OK, je rajoute peut être un petit peu trop de drama et le terme de guerre est peut-être un peu fort… Et puis il n’y a pas de dragons dans cette histoire il me semble !
Je vous propose aujourd’hui un résumé de l’histoire de la famille Hattori, depuis les parents du fameux Kintaro jusqu’à la génération actuelle, soit 5 générations qui s’étendent des années 1830 à aujourd’hui. Mais au-delà d’un simple arbre généalogique (que vous trouverez à la fin de cet article), je vous propose de voir un petit peu mieux quelles ont été les dynamiques de pouvoir au sein de la famille et comment celui-ci s’est transmis de générations en générations, avec les évolutions que cela représente, mais également pas mal de drama. Une petite touche de Dallas dans Game of Thrones en quelques sortes !
Les origines de Kintaro Hattori
Kintaro est le fils de Kisaburo Hattori et de son épouse Haruko. Il semblerait que Kisaburo soit né en 1828, on sait qu’il est originaire de Nagoya, d’une famille de samurai devenu de simples marchants. Il quitte Nagoya pour Edo (Tokyo) en 1848 à l’age de 20 ans où il devient antiquaire dans le quartier actuel de Ginza. Il n’est pas riche mais pas pauvre pour autant. Il meurt en 1887 à l’age de 59 ans. A ma connaissance, il n’existe pas de photo de lui.
La mère de Kintaro se prénomme Haruko (fille du printemps), elle est née en 1831 et a donné naissance à un fils unique: Kintaro. Nous n’en savons pas beaucoup plus sur sa vie jusqu’à la création de Seikosha en 1892. Elle jouera un rôle très important lorsque Kintaro crée sa première usine puisqu’elle sera en charge de superviser l’usine et plus particulièrement l’internat. En effet, Kintaro met en place un système de formation interne et sa mère, devenue veuve quelques années plus tôt, devient l’intendante. Elle supervise les clubs de baseball, de kendo, de sumo, de karuta (jeu de cartes traditionnel), elle prépare 3 ou 4 plats différents tous les soirs pour satisfaire les goûts de chacun et elle s’assure que tout le monde évolue dans un contexte le plus favorable possible et va jusqu’à s’occuper de leurs habits. Lorsqu’elle décède le 10 Avril 1915, son testament illustre le genre de personne qu’elle était: elle fait des dons conséquents à l’orphelinat de Tokyo (5000¥), à l’Institut de recherche contre le cancer (3000¥), à trois bourses scolaires de la ville (2000¥) et enfin, elle fait un don de 2000¥ à chaque employé de l’usine à laquelle elle a dédié 23 ans de sa longue vie. Pour comparaison, on estime qu’à cette période le salaire d’un instituteur était de 50¥ par mois. Converti à aujourd’hui, on peut estimer que 2000¥ de l’époque représentent environ 15000€.
Première génération: Kintaro et Man Hattori
La vie de Kintaro Hattori fera l’objet de ma première vidéo YouTube dans quelques temps, je ne rentrerai donc pas ici dans les détails.
On peut tout de même rappeler que Kintaro Hattori est né le 21 Novembre 1860 à Edo (Tokyo) et qu’il est mort le 1er Mars 1934 à Tokyo. Il repose aujourd’hui dans le caveau familial du cimetière de Tama, hérigé par son fils Genzo en Avril 1943, aux côtés de ses parents, de son épouse, et d’une partie de sa descendance, mais nous y reviendrons plus tard.
En 1885, il épouse Man Yamamoto qui lui donnera 15 enfants entre 1883 et 1907. Elle décède un peu plus d’un an après son mari, le 13 Mars 1935. Bien que je n’ai pas trouvé de photo individuelle d’elle, je suppose qu’on peut la voir aux côté de Kintaro Hattori sur cette photo présentée par Shinji Hattori en 2016 lors d’une présentation à Baselworld.
D’après Wikipedia, il aurait été marié deux fois mais la source citée étant un livre en Japonais indisponible en ligne, je ne peux pas confirmer cette information.
Deuxième génération
Je vous passe les détails sur les 15 enfants de Kintaro et Man, mais vous trouverez leurs noms et dates de naissance dans l’arbre généalogique complet au bas de l’article.
Ce qu’il est intéressant de noter ici, c’est surtout que cette génération marque le début de l’empire Hattori. Non seulement Kintaro a été un businessman de talent et un visionnaire, mais il a appliqué ce qui se faisait depuis des siècles: il a étendu son pouvoir en mariant ses enfants. Ses 11 filles ont toutes été mariées à des personnes de pouvoir et/ou influentes, que ce soit dans des domaines politiques, économiques, diplomatiques, médicaux ou médiatiques, la famille Hattori tisse des liens forts avec la haute société japonaise de l’époque.
Parmi ses quatre fils, un décèdera d’une maladie à l’âge de 5 ans. Ses trois autres fils deviendront évidemment les héritiers, mais comme vous vous en doutez, il y a un ordre et une tradition à respecter.
Genzo Hattori (9 Avril 1888 - 6 Février 1959) - Deuxième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)
Le fils ainé est Genzo. Né le 9 Avril 1888, la tradition veut que ce soit lui qui hérite de l’empire familial au décès de son père. Il épouse Eiko Ueno, née en 1899 et fille d’un grand diplomate et haut responsable de la maison Impériale. Premier héritier de la famille Hattori, il représente la tradition et sera le second président du groupe familial à la mort de son père. C’est à lui que l’on doit la création de Daini Seikosha (littéralement deuxième Seikosha). Il quitte ses fonctions en 1946, à la fin de la guerre, et c’est son frère Shôji, de 12 ans son cadet, qui devient le 3e président. Genzo aura trois garçons, Kentaro, Reijiro et Seizaburo. Il meurt le 6 Février 1959 à l’age de 70 ans. Il était un grand pratiquant de la cérémonie du thé et un amateur de tradition japonaise.
Shôji Hattori (20 Mai 1900 - 29 Juillet 1974) - Troisième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)
Le second fils de Kintaro est Shôji. De 12 ans le cadet de Genzo, il prend sa suite à partir de 1946 en tant que 3ème président du groupe familial. Bien que n’étant pas le premier héritier, il est considéré comme plus talentueux que son frère. C’est à lui que l’on doit la création de Suwa Seikosha pendant la guerre. Et tout comme Genzo, père de Daini, représente la tradition, Shôji, père de Suwa, représente la modernité. Vous remarquerez qu’ils ont laissé chacun leur trace comme fondateurs de ces deux entités du groupe, chacun à leur image.
Bien qu’il n’y ait pas de sources explicites à ce sujet, il semblerait qu’une première cission arrive dans la famille à cause d’une possible rivalité entre Genzo et Shôji, ce dernier n’étant pas enterré dans le caveau familial de Tokyo, mais à Kamakura, ville côtière au sud de Tokyo et ancienne capitale du Japon.
Shôji aura six enfants avec son épouse Tomoko, trois garçons et trois filles, mais c’est surtout son fils aîné Ichiro, né en 1932, qui jouera un rôle dans la succession. Ses fils auront tout de même tous un rôle au sein de Suwa Seikosha/Seiko Epson.
Takesaburo Hattori (1903 - ???)
Père de cinq enfants et professeur émérite de l’Université Impériale de Tokyo, il a hérité de parts du groupe familial et a siégé en tant que directeur et audit au conseil d’administration.
Troisième génération
Nous allons commencer avec les héritiers directs de Kintaro, les enfants de Genzo.
Kentaro Hattori (6 Avril 1919 - 1 Septembre 1987) - 4e président de Hattori Watch Co Ltd.
Le premier fils de Genzo (héritier direct, fils ainé du fils l’ainé) est Kentaro Hattori. Diplômé en économie de la préstigieuse Faculté de Keio à Tokyo en Décembre 1941. Il arrête alors ses études et prend un poste au sein de K Hattori Watch Shop (maintenant Seiko Holdings Inc) tout en s’engageant dans l’armée. En Février 1942 il rejoint le régiment d’artillerie lourde Yokosuka avec qui il restera jusqu’à la fin de la guerre, période à laquelle il est stationné à Ouroup, dans les îles Kouriles au nord du Japon.
Lorsqu’il rentre chez lui à Tokyo à la fin de la guerre, son état de fatigue physique et psychologique le pousse à quitter son poste dans l’entreprise familial pour se diriger vers des études d’histoire à Kyoto puis à Tokyo. Il présente sa thèse en janvier 1949 puis est diplômé au mois de mars. En raison d’un contexte social très tendu, il ne trouve pas de place de chercheur en institut et devient professeur en histoire de l’économie à Keio en 1950. Malgré un début de carrière prometteur, son rôle de premier héritier le rattrape et il stoppe sa carrière académique en 1952, alors qu’il a été nommé directeur de Daini Seikosha l’année précédente. Il fait carrière en même temps au sein de Seikosha, Daini Seikosha et Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) dont il sera le 4e président de 1974 à 1983.
Il épouse Keiko Nagata, la fille du président de la NHK (unique groupe audiovisuel public japonais) avec qui il aura trois fils, Junichi, Shinji et Hideo.
Il meurt d’un cancer du pancréas en Septembre 1987 à l’âge de 67 ans. Il repose dans le caveau familial auprès de son père et son grand-père au cimetière de Tama, à Tokyo.
Reijiro Hattori (11 Janvier 1921 - 22 Janvier 2013) - 5e président de Hattori Watch Co Ltd.
Le deuxième fils de Genzo est Reijiro Hattori. Egalement diplômé de Keio comme son frère Kentaro, il fait carrière au sein du groupe familial avant de prendre la place de son frère ainé en tant que 5e président de Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) en 1983.
Son frère Kentaro et son cousin Ichiro meurent en 1987 et il se retrouve comme patriarche de la famille et prend à lui seul les rênes du groupe Seiko. Il est destitué en 2010 suite à une grave affaire mais je reviendrai là-dessus un peu plus loin.
Sa femme Etsuko est la fille ainée de Reikichi Yokohama, directeur du géant japonais de la perle Mikimoto. Je ne sais pas s’ils ont eu des enfants ensemble mais ils adoptent Shinji, le fils de son frère ainé Kentaro, qui reste encore aujourd’hui très proche de sa tante et mère adoptive Etsuko.
Reijiro meurt en 2013 à l’age de 92 ans d’un arrêt cardiaque. Sa veuve Etsuko est aujourd’hui une des plus grandes actionnaires du groupe Seiko avec 8,7% hérités de son mari.
Seizaburo Hattori (29 Juin 1926 - 26 Juin 1992)
Le troisième fils de Genzo est Seizaburo. On retrouve peu d’informations sur lui, si ce n’est qu’il a été directeur de Sankyo Kigyo, la société de gestion d’actifs familiale, jusqu’à ce que des soucis de santé le pousse à prendre une retraite anticipée en 1977 où il déménage à Vienne, en Autriche avec sa femme violiniste Toyoko (proche de la famille impériale) et ses fils Joji et Koichiro.
Il est intéressant de noter qu’il s’agit du premier fils Hattori à quitter le giron de la famille et de ses guerres de pouvoir pour s’établir en Autriche où vivent toujours ses fils et où il est enterré, loin de sa famille.
Continuons maintenant avec les enfants de Shôji Hattori, qui a eu trois garçons et trois filles (et comme souvent, les filles se marient et on n’en entend plus parler, on ne retrouve facilement des traces que des garçons qui restent au pouvoir dans l’entreprise familiale).
Ichiro Hattori (1932 - 26 Mai 1987)
Ichiro semble être à l’image de son père, un homme brillant et un manager reconnu pour ses grandes qualités. Après avoir étudié le droit, il rejoint Daini Seikosha en 1954, en dessous de son grand cousin Kentaro, tout en continuant à se former à Zurich et à Yale. A son retour, il devient directeur de Daini Seikosha en 1961, à l’age de 29 ans, puis président en 1979. Il suit sur les trace de son père et prend la tête de Suwa Seikosha et devient le premier président de Seiko Epson en 1985, ainsi que de Seiko Electronics en 1983. Alors qu’il joue au golf au printemps 1987, il meurt subitement d’une crise cardiaque à l’age de 55 ans. Il repose à Kamakura, aux côtés de son père, et non pas dans le cimetière de Tama avec la branche “Genzo” de sa famille.
Tout comme son père, Ichiro Hattori était vu comme un excellent leader et jouait un rôle essentiel entre Daini et Suwa Seikosha, permettant un lien entre Suwa, dans les Alpes japonaises, et Ginza, le coeur de l’activité du groupe. Malheureusement il perd la vie à quelques mois d’intervalle de son cousin Kentaro. Etant tous les deux les ainés des fils Hattori Genzo et Shoji, Kentaro étant plutôt du coté de Daini et Ichiro du côté de Suwa (assurant ainsi l’équilibre entre les deux maisons et les deux branches de la famille), leur décès a pour conséquence de mettre tous les pouvoirs entre les mains de Reijiro Hattori, le frère de Kentaro, ce qui mènera Seiko vers une grave crise dont je parlerai un peu plus loin.
Petite anecdote au passage: Ichiro a eu une fille nommée Satoko, qui fut un temps présentie pour devenir la femme du futur Empereur Naruhito, ce qui montre les liens étroits de la famille Hattori avec la haute société Japonaise encore à la fin du XXe siècle !
Akira Hattori (1938 - 2017)
Le deuxième fils de Shôji Hattori s’appelle Akira. Tout comme son frère Ichiro, il fera carrière au sein de Seiko Epson, ne dépassant pas le stade de directeur.
Yasuo Hattori (1941 - 15 Mars 2019)
Tout comme son frère Akira, le troisième fils de Shôji fait carrière au sein de Seiko Epson où il devient président puis président d’honneur. Lorsque son frère et son cousin décèdent en 1987, son oncle Reijiro prend le poste de président de Seiko Epson alors que Yasuo est vice-président et ne peut équilibrer le pouvoir en restant à la tête d’Epson, où Reijiro (de 20 ans son ainé) sera toujours un échelon au-dessus de lui.
Il me semble intéressant de noter que dans les descendants de Shôji Hattori, seul son fils ainé faisait encore le pont entre Suwa et Ginza, mais après son décès en 1987, les fils de Shôji restent centrés sur Seiko Epson, alors que le reste des entreprises familiales se retrouvent entre les mains de Reijiro Hattori, dont le frère ainé est décédé et dont le petit frère a quitté le business familial 10 ans plus tôt.
Cette troisième génération marque donc un vrai tournant dans le jeu de passation de pouvoir au sein de la famille Hattori.
La séparation déjà commencée entre Genzo et Shôji se fait plus marquée, Ichiro tente de faire basculer Seiko vers les nouvelles technologies alors que Reijiro considère les usines (Seikosha pour les horloges, Daini et Suwa pour le reste) comme secondaires et considère les activités commerciales du groupes (et donc Hattori Clock Co Ltd, future Seiko Holdings) comme plus importante.
Pierre-Yves Donze, dans “Rattraper et dépasser la Suisse” (p382) explique la situation avec encore plus de clareté:
“Le retard relatif du groupe Hattori dans sa diversification s’explique par les débats passionnés que cette question soulève au sein de la famille Hattori, menant à des conflits entre les représentants de la troisième génération de patrons qui dirigent le groupe depuis 1974. Alors que les patrons de la seconde génération, Genzo puis Shôji, avaient poursuivi le modèle paternel d’une direction centralisée des activités, les nouveaux dirigeants du groupe opèrent une répartition entre eux des fonctions dirigeantes qui a pour effet d’aboutir à une gouvernance éclatée du groupe. Ces difficultés managériales résultent d’une rivalité entre cousins qui prend la forme d’un conflit entre défenseurs de la tradition et modernistes. Les premiers incarnés par les fils de Genzo, principalement Kentaro, puis, après son décès prématuré, par son frère Reijiro qui prend la direction (1974) puis la présidence (1984) de Hattori Watch Co Ltd. En gardiens de la tradition familiale, ces deux frères privilégient les activités horlogères du groupe. Face à eux, leur cousin Ichiro, fils de Shôji, de culture internationale, dirige les sociétés Epson, Suwa Seikosha et Seiko Instruments (Daini Seikosha). Il met en place la globalisation du système de production de Hattori Watch Co Ltd et supervise la délocalisation de la production en Asie. Favorable à une diversification accrue vers les nouvelles technologies, il oriente ces entreprises vers l’électronique. Ces conflits se poursuivent dans les années 2000 entre les représentants de la quatrième génération pour des raisons similaires.”
Quatrième génération
On pourrait penser que les choses se complexifient encore un peu avec la quatrième génération, mais ce n’est pas le cas. En tous cas pour ce qui est du rôle joué au sein du groupe familial, la quatrième génération est principalement composée des fils de Kentaro Hattori. En effet, du côté de la branche “Genzo”, il ne semble pas de Reijiro ait eu des enfants, Seizaburo est parti à Vienne, alors que du côté de la branche “Shôji” la femme et les filles d’Ichiro ont vendu leurs parts, on ne retrouve pas de traces de la descendance d’Akira et il semblerait que Yasuo ait fait hériter ses parts de Seiko Epson (probablement à sa fille) à sa mort mais qu’aucuns enfants ne soit impliqués. Mais d’un point de vue de l’implication dans la vie de l’entreprise, le passage de la troisième à la quatrième génération montre l’arrivée de cadres et directeurs extérieurs à la famille, avec tout de même Reijiro toujours présent comme patriarche.
Commençons avec les fils de Kentaro
Junichi Hattori (28 Avril 1951)
En toute logique, Junichi étant le fils ainé, du fils ainé, du fils ainé, c’est lui qui est sensé devenir l’héritier du trône. En bon descendant de Genzo et de Kentaro, il fait se armes chez Daini Seikosha, qui devient Seiko Electronics puis Seiko Instruments.
En 2006, alors qu’il est président et actionnaire principal de Seiko Instruments, il est démis de ses fonctions. C’est le premier gros clash public de la famille Hattori, et elle se passe au sein du “clan Genzo”. Pour Junichi, il s’agit d’un coup de son oncle Reijiro, président honoraire de Seiko Holdings et patriarche du groupe, de son frère Shinji, président de Seiko Watch Corp (partie horlogère du groupe) et de Masafumi Shimpo, directeur de Seiko Instruments. Il annonce porter plainte contre son frère et son oncle, et ceux-ci répondent en portant plainte pour calomnie et diffamation, l’accusant d’avoir mis en place des procédures comptables peu claires pendant son mandat. L’issue de ce gros clash reste inconnue à ma connaissance mais peu importe, les rivalités internes éclatent au grand jour.
Aujourd’hui Junichi est à la tête d’une holding dont les activités semblent se porter principalement sur la Mongolie et il ne semble plus avoir de lien avec l’entreprise familiale.
Shinji Hattori (1 Janvier 1953)
C’est peut être de nos jours le deuxième nom le plus connu après celui de Kintaro, puisque Shinji est aujourd’hui à la tête de Seiko Holdings Inc. Diplômé d’économie à l’Université Keio de Tokyo, comme son père et son grand-père, il commence par travailler chez Mitsubishi (les deux familles sont très proches), il travaille chez Seikosha (fabrique d’horloges), puis Seiko Precision, Seiko Watch Corp et Seiko Holdings. Il devient CEO et président du groupe familial en 2012.
En 2010, il se retrouve au coeur d’un deuxième clash public, cette fois-ci avec son oncle et père adoptif Reijiro. En effet, celui-ci régnant en maître sur le groupe familial, il propulse sa secrétaire au rang de directrice et les deux deviennent quasi tyranniques. Même les hauts gradés qui s’opposerait à l’ancienne secrétaire peuvent se retrouver à faire le ménage dans un entrepôt quelques jours plus tard ! Alors que le harcèlement bat son plein et que les chiffres de l’entreprise s’écroulent, les pressions des avocats et des syndicats poussent le conseil d’administration à renvoyer Reijiro et ses complices. Et la personne qui fait basculer la balance pour le vote n’est autre que Shinji Hattori.
A l’issue de cette histoire, que certains qualifient de “coup d’état” (bien que celui fut nécessaire), Reijiro est retiré de tout rôle actif et devient président honoraire, et c’est Shinji qui prend la tête du groupe familial. Reijiro meurt trois ans après et sa veuve Etsuko reste actionnaire majoritaire (8,7%), alors Shinji possède lui 5,5%. Etsuko et Shinji restent cependant très proches et certains disent qu’il la considère comme sa mère.
Le nom des Hattori sera une dernière fois terni par un procès d’une employée de Seiko aux Etats-Unis en 2015, qui portent plainte contre Etsuko Hattori, l’accusant de harcèlement et préjugés anti-japonais. Encore une fois, l’issue de ce procès n’est pas connue et cette fois-ci l’histoire n’est pas familiale, mais elle s’inscrit dans la continuité des difficultés rencontrées par la famille Hattori dans les années 2000 et 2010, et cette histoire de harcèlement n’est pas sans rappeler ce que l’ancienne secrétaire de Reijiro faisait subir à ses collaborateurs et collaboratrices.
Aujourd’hui Shinji Hattori est le seul membre de la famille avec un rôle aussi prépondérant, bien qu’il reste évidemment des actionnaires et des entreprises qui tournent évidemment toujours autour de la famille Hattori, comme son jeune frère Hideo.
Hideo Hattori
Jeune frère de Shinji, celui-ci semble beaucoup plus discret et les deux seules informations que l’on trouve à son sujet concernent son actionnariat dans le groupe familial (3,9%) et ses rôles de président de Morioka Seiko Industries et directeur de Seiko Watch Corp et Seiko Instruments Inc. On voit donc que malgré une apparente discrétion, celui-ci reste quand même un cadre très important du groupe.
Je passerai rapidement sur Reijiro qui n’a vraisemblablement pas eu d’enfants, ainsi que sur les enfants de Seizaburo.
Le fils ainé de Seizaburo s’appelle Koichiro et a fait carrière dans la musique. Il travaille maintenant en Suisse comme ingénieur du son indépendant.
Le deuxième fils de Seizaburo s’appelle Joji Hattori, c’est un violoniste de renom comme sa mère, et il est également propriétaire d’un restaurant japonais étoilé à Vienne.
Du côté du “clan Shôji”, on ne retrouve mentionnée que Satoko, la fille ainée d’Ichiro, née en 1964, passée à pas grand chose de devenir Impératrice du Japon comme évoqué un peu plus tôt. Elle est, entre autres, directrice du musée d’art Sunritz Hattori de Suwa, où sont entreposées de pièces de la collection d’art de son père Ichiro et de son grand-père Shôji. A priori, il semblerait que tous les Hattori du “clan Shôji” aient aujourd’hui vendu leurs parts.
On voit donc que les générations qui se sont éloignées de l’entreprise japonaise semblent s’être dirigé vers le monde de l’art, et c’est peut être là qu’on retrouve finalement le point commun à ces quatre générations d’Hattori !
Je précise évidemment que la famille Hattori est infiniment plus large et complexe que cela, mais d’une part la transmission de pouvoir ne se fait quasi-exclusivement qu’entre hommes (et oui, le Japon reste encore aujourd’hui un pays extrêmement sexiste), et d’autres part il est difficile voire impossible de trouver des informations sur les membres n’étant pas restés actifs dans le groupe familial. Et cela n’aurait de toutes façons pas un grand intérêt de vous en parler…
Si toutes fois vous souhaitez l’arbre le plus complet que j’ai pu faire, vous le trouverez ici. Il existe des arbres encore plus complets en japonais qui illustrent les liens de la famille Hattori avec d’autres grandes familles japonaise, mais là je vous avoue que je baisse les bras !
Bon, c’est bien beau, mais ça m’apporte quoi tout ça?
Alors clairement, pas grand chose ! Et oui, des heures et des heures de travail juste pour satisfaire ma curiosité intellectuelle… Mais on est d’accord que vous n’allez pas regarder votre montre différemment après ce long exposé un poil barbant !
Je pense que ce qui reste intéressant malgré tout, c’est de comprendre les dynamiques de pouvoir au sein de la famille Hattori. On voit que dès la deuxième génération, des tensions semblent exister mais restent très secrètes. On s’en rend compte principalement quand on constate que Shôji Hattori puis son fils décident de ne pas être inhumés avec leur famille à Tokyo mais de leur côté, à Kamakura.
On voit que les tensions continuent avec la troisième génération, dont ce que j’appelle le “clan Genzo” vont plutôt promouvoir la tradition familiale et les activités commerciales, et le “clan Shôji” qui prône la modernisation, l’ouverture sur l’international, les nouvelles technologies, et plutôt une activité de production. Finalement on comprend que Daini/Seiko Instruments soit vu comme “le fils ainé” alors que Suwa/Seiko Epson est plus vu comme le deuxième fils. On comprend mieux d’où vient la rivalité Suwa/Daini. Mais l’implication de certains membres (Shôji puis Ichiro) sur les deux entreprises explique aussi les synergies qui existent et ont existé par le passé.
Mais malgré cette position d’Epson comme étant un peu le second choix, l’implication forte du “clan Shôji” au sein de Seiko Epson a permis à cette entreprise de devenir bien plus importante financièrement que Seiko Holdings. En 2023, Seiko Epson a fait plus de 8 milliards d’euros de revenus contre un peu moins d’1,8 milliards d’euros pour Seiko Holdings. En terme de profits, cela représente 92,8 millions d’euros pour Seiko Holdings et 441,4 millions pour Seiko Epson.
L’affaire Reijiro Hattori
Comme évoqué plusieurs fois, à la mort de son frère et de son cousin en 1987, et avec son jeune frère parti en Autriche, Reijiro se retrouve à la place de patriarche et récupère toutes les responsabilités des différentes entreprises de la holding familiale.
C’est un moment charnière pour Seiko car cela cristallise les tensions et les rivalités familiales qui existaient déjà par le passé. Mais surtout, après une partage de pouvoir opéré par la deuxième génération, celui-ci se retrouve à nouveau concentré dans les mains d’une seule et unique personne.
En donnant énormément de pouvoir à sa secrétaire Noriko Unoura (qui passe de secrétaire de direction à directrice de Wako et directrice de Seiko Holdings) et en plaçant à des postes clé des gens qui lui étaient favorables, Reijiro a développé une emprise très importante sur le groupe. De nombreux articles japonais font part d’une négligence de Reijiro pour le coté manufacturier de l’entreprise, se concentrant sur la partie commerciale, sur la rénovation de Wako ou l’ouverture de boutiques luxueuses. Il semblerait que cette négligence ne date pas des années de Reijiro mais remonte plus loin. Dans tous les cas, il lui a été reproché de ne pas avoir suffisamment fait évoluer l’entreprise en particulier sur la partie fabrication.
Ceci explique peut être certains témoignages d’anciens employés qui relatent avoir eu des difficultés à faire avancer les choses dans les années 90/2000, alors que l’horlogerie mécanique revenait progressivement sur le devant de la scène.
Cela explique probablement aussi pourquoi Shinji Hattori n’a opéré la séparation de Seiko et Grand Seiko qu’en 2017. Avec le recul, on voit aujourd’hui que beaucoup des projets porteurs de GS ces dernières années ont vu le jour au début des années 2010, après le départ de Reijiro Hattori. De nombreux changements et de nombreuses restructurations ont eu lieu depuis, la stratégie ayant beaucoup plus évoluée ces 10 dernières années qu’entre 2000 et 2010.
On voit qu’aujourd’hui, un seul descendant de Kintaro est sur le devant de la scène et c’est Shinji. Les disputes de pouvoir ont écarté une partie de la famille, une autre s’est focalisée sur Epson avant de s’essouffler aussi. Et finalement de nombreuses personnes extérieures à la famille ont prit des postes clés qui étaient avant réservés aux Hattori.
L’entreprise reste donc toujours aux mains des Hattori, que ce soit d’un point de vue de la gestion de la holding ou au travers des actionnaires qui restent encore aujourd’hui (Etsuko, Shinji et Hideo Hattori, mais aussi Sanko Kigyo, la société de gestion d’actifs de la famille)), mais pour combien de temps? Est-ce qu’un cinquième génération va prendre la relève? Seul l’avenir nous le dira…
La maison Hattori
Je conclurai simplement sur une petite anecdote. En 2014, Seiko Holdings annonce la vente de la maison de Kintaro Hattori, construite en 1933 dans le quartier de Shirokane. Celle-ci est achetée par un groupe Singapourien qui annonce construire des résidences de luxe.
Celle-ci est finalement rachetée par un groupe de développement immobilier en 2023. La maison semble toujours intacte et seul l’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce monument unique de l’histoire moderne du Japon. Car au-delà d’avoir été la maison de Kintaro Hattori à la fin de sa vie, celle-ci a été réquisitionnée par les américains à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et il se raconte que la constitution du Japon a été rédigée entre ces murs.
A l’image de cette sublime demeure qui change de mains mais reste toujours aussi somptueuse, espérons que Seiko et Grand Seiko continuent de nous faire rêver peu importe l’implication de la famille Hattori dans l’entreprise familiale !
Le Japon et la chronométrie - partie 1
Quand on lit des articles sur l’histoire de KS et GS, on lit souvent que la CICC interdit les Japonais d’utiliser le terme chronomètre. Suite à ça, les Japonais créent le JCII et Seiko se remet à produire des chronomètres KS. Mais dès qu’on fait des recherches sur la JCII et le CICC, on ne trouve…rien… Alors qu’en est-il vraiment? Quelle est l’histoire du terme chronomètre, que sont ces organismes, comment sont-ils nés, qu’ont-ils fait et que sont-ils devenus? Existe-t-il vraiment un lien avec le COSC? Est-ce que les Suisses ont vraiment essayé de mettre des bâtons dans les roues des Japonais?
La décennie 1960 est considérée comme l’âge d’or de Seiko et elle pourrait faire l’objet de nombreux livres à elle seule. Cette période peut être résumée par le mot d’ordre donné par Shoji Hattori aux employés de la marque: il faut rattraper et dépasser la Suisse. Les amateurs les plus piqués du virus reconnaîtront les mots qui ont donné le titre du livre de référence de Pierre-Yves Donzé.
Je résumerais la stratégie de Seiko à cette époque en quelques mots: faire des produits de qualité et le faire savoir. Cela illustre la volonté de Seiko à la fois d’améliorer la qualité de sa production de manière dramatique, mais aussi de faire connaître la qualité de ces produits à travers différentes stratégies de communication.
On commence donc à comprendre l’importance que revêtent la participation aux événements sportifs (surtout les JO de Tokyo en 1964) ou encore aux diverses expéditions scientifiques ou d’exploration, mais également la quête de la précision absolue qui a amené Seiko façonner le paysage horloger japonais avec la norme chronomètre, à participer aux concours de chronométrie en Suisse, à faire certifier des montres par l’observatoire astronomique de Neuchâtel, et enfin évidemment à créer et commercialiser la première montre à quartz au monde. La chronométrie sportive - plus particulièrement les Jeux Olympiques de Tokyo - et la quête de la précision sont deux axes essentiels pour comprendre l’histoire de Seiko dans cette décennie fascinante.
Aujourd'hui je vous propose une série de deux articles qui tournent autour d'un seul mot: le chronomètre.
L’usage aurait voulu que je fasse un rappel ici de ce qu’est un chronomètre, mais c’est la problématique même de ce premier article. Je rappellerai donc qu’il n’est pas à confondre avec le chronographe dont le but est de mesurer des durées courtes (ce bon vieux “chrono”).
Mais pourquoi parler de chronomètre me direz-vous?
D’une part car, comme je l’ai dit, l’histoire que je vais vous présenter est un des axes centraux du développement de la marque des années 50 aux années 70. D’autre part parce que Benoît (il se reconnaitra) a eu le malheur de me demander si le Japanese Chronometer Inspection Institute ou JCII existait toujours. Il n’en fallait pas plus pour me lancer dans une longue quête de recherche et de documentation sur l’histoire des chronomètres et surtout le lien avec Seiko et l’impact sur son histoire.
J’ai décidé de séparer le dossier en deux articles, un premier qui traite de la norme chronomètre en elle-même, son évolution et son adoption par l’industrie japonaise. Puis un deuxième qui traitera de l’impact que cela a eu sur Seiko, son offre commerciale, sa participation aux concours de chronométrie et la certification de montres par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Quand on lit des articles sur l’histoire de KS et GS, on lit souvent que la CICC interdit les Japonais d’utiliser le terme chronomètre. Suite à ça, les Japonais créent le JCII et Seiko se remet à produire des chronomètres KS. Mais dès qu’on fait des recherches sur la JCII et le CICC, on ne trouve…rien… Alors qu’en est-il vraiment? Quelle est l’histoire du terme chronomètre, que sont ces organismes, comment sont-ils nés, qu’ont-ils fait et que sont-ils devenus? Existe-t-il vraiment un lien avec le COSC? Est-ce que les Suisses ont vraiment essayé de mettre des bâtons dans les roues des Japonais?
Mais avant tout, c’est quoi un chronomètre? Ce terme regroupe aujourd’hui de nombreux objets horlogers. Au XIXème siècle, il existe des chronomètres de marine avec échappement à chaîne et fusée, utilisés pour la navigation en mer et dont la précision assurait la survie des marins. Au XIXème siècle, certaines montres à échappement à ancre méritent le nom de chronomètre. Puis il est évidemment question des concours de chronométrie et des observatoires astronomiques, et enfin du COSC, très connu aujourd’hui. C’est donc un sujet très vaste et nous nous en tiendrons aujourd’hui uniquement aux montres bracelet.
Entre 1900 et 1939 la congrès international de Paris, la Société Suisse de Chronométrie, le bureau Français des normalisations de l’horlogerie et la Fédération Horlogère donnent chacun des définitions du chronomètre en fonction de sa précision et de son type d’échappement, mais rien n’est mis en place pour faire appliquer cette mesure et surtout il n’existe pas d’uniformisation entre ces différentes sociétés savantes. Le besoin d’une définition internationale du terme se fait donc ressentir.
Lors du Congrès International de Chronométrie de Genève en Août 1949, il est décidé de créer la Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques (CICTOC, qui n’est pas l’ancêtre de TikTok bien évidemment). Le but est de se mettre d’accord sur la définition du terme à l’échelle internationale, et l’unification des méthodes de mesure.
Lors de l’assemblée générale de la Société Suisse de Chronométrie de Juin 1950, Léopold Defossez (auteur de Théorie Générale de l’Horlogerie) rapporte que la SSC devrait se charger de reprendre le problème et de constituer une commission chargée de définir le terme chronomètre et de le protéger. Peut-être que celui-ci n’était pas au courant de la création de la CICTOC. Celle-ci s’est pourtant réunie à Neuchâtel en décembre 49, à Lyon en mai 1950, puis plus tard à Strasbourg en mai 51.
Ce n’est que lors du Congrès International de Chronométrie du 8 Juin 1952 à Spiez, cette fois-ci sur recommandation du directeur de l’observatoire de Besançon, qu’il est donné une définition du terme “chronomètre”: il s’agit d’une montre de précision réglée dans différentes positions et températures et ayant reçu un certificat. La commission internationale autorise que ces certificats soient délivrés par les Bureaux Officiels de Bienne, La Chaux de Fonds, le Locle, Saint-Imier et le Sentier. Pour les concours de chronométrie et les réglages spéciaux, les observatoires de Neuchâtel et de Genève, ainsi que Besançon et Kew pour la France et l’Angleterre, sont en mesure de proposer des épreuves encore plus strictes. Ce sont les fameux Chronomètres d’Observatoire et les tout aussi fameux Concours de Chronométrie.
Il y a eu cependant une discussion importante car les critères des BO sont bien moins stricts que ceux des Observatoires Chronométriques et la CICTOC, n’ayant aucune volonté commerciale, souhaitait que seuls les Observatoires puissent délivrer ce titre, mais finalement c’est une approche un peu plus large qui fut choisie en laissant les BO délivrer ce titre, du moment qu’ils respectent les critères de la CICTOC.
Ces critères sont nombreux mais on ne retiendra ici que la marche moyenne qui doit se situer entre -1 et +10 secondes par jour en 1952.
En 1959, soit 10 ans après sa création, la CICTOC devient la Commission Internationale des Contrôles Chronométriques ou CICC, à l’occasion du 6ème Congrès International de Chronométrie à Munich. A l’origine, elle réunit les Sociétés Suisse, Allemande et Française de Chronométrie, puis la Société Italienne de Chronométrie rejoint la Commission en mai 1962. Étant l’évolution de la CICTOC (elle-même une émanation de Congrès International de Chronométrie), la CICC autorise un certain nombre d'organismes à délivrer le terme de chronomètre. Il s’agit donc à cette époque des observatoires de Neuchâtel et de Genève, du Laboratoire Suisse de Recherche Horlogère, des Associations des Bureaux Officiels de Contrôle de la marche des montres, de la Société Suisse de Chronométrie, puis des Sociétés de Chronométrie d’Italie et de France.
Mais qu’en est-il du Japon?
Alors que l’industrie horlogère s’est bien développée avant la Seconde Guerre Mondiale, avec principalement la domination de K Hattori Co Ltd (Seiko), celle-ci est totalement chamboulée par la guerre puisqu’elle a dû se tourner vers l’armement, mais aussi évidemment à cause des bombardements, des morts etc…
Les affaires reprennent péniblement dès 1945 mais l’horlogerie est au cœur du plan de relance économique du pays et l’exportation reprend dès 1947. En 1948, le gouvernement pousse à la création de la Japan Clock & Watch Association (JCWA) et du Japan Horological Institute. L’année suivante, c’est le Japan Industrial Standard (JIS) qui est créé par la Japanese Standards Association, l’équivalent de l’ISO mais à l’échelle du Japon.
Les entreprises japonaises estiment alors que l’application des normes JIS suffisent à faire d’une montre un chronomètre, du moment que le Ministère de l’Industrie et du Commerce Extérieur ou MITI (pour Ministry of International Trade and Industry) estime que les manufactures concernées remplissent les conditions. Des concours de chronométrie sont d’ailleurs organisés par le Centre d’expérimentation mécanique du MITI tous les deux ans à partir de 1948 pour booster le développement de l’horlogerie après guerre, jusqu’en 1960, mais ceux-ci sont très largement dominés par Seiko. Par exemple, le concours de 1958 voit des Seiko Marvel rafler les 9 premières places.
Le but de ces concours réservés aux entreprises japonaises est de développer leurs compétences afin de pouvoir rivaliser avec la qualité des montres suisses. Les critères sont donc calqués sur ceux des épreuves de l’Observatoire de Neuchâtel. Autre spécificité de ces concours Japonais, les montres testées sont des montres de série et non pas des montres développées spécifiquement pour les épreuves comme c’est le cas en Suisse.
Les concours cessent en 1960 lorsque le MITI considère, après avoir testé des montres suisses achetées chez des détaillants, que les montres japonaises ont la supériorité sur leurs équivalents étrangers.
Malgré des demandes à l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo, aucun organisme tiers n’accepte de tester les montres des différentes marques japonaises et le besoin de la création d’un organisme dédié commence à se faire sentir.
Alors que les concours japonais prennent fin en 1960, les équipes de Seiko sont animées par le mot d’ordre du président Shoji Hattori: il faut “rattraper et dépasser la Suisse”. Leur succès sur le marché Japonais et les comparaisons effectuées par le MITI avec leurs homologues suisses leur donne suffisamment de confiance pour aller jouer sur le terrain des Suisses. Ils participent donc au concours de chronométrie de l’observatoire de Neuchâtel en 1963 avec une horloge de table à quartz. Pour la première fois dans l’histoire du concours, une entreprise étrangère rentre dans le top 10.
A cette même période - et peut être suite à ce concours - le président de la CICC et ingénieur en chef d’Omega se retrouve avec un chronomètre Japonais entre les mains: une Grand Seiko First. Et bien que ces montres venaient avec leur certificat de marche, les Suisse n’en voient pas trop l’intérêt car les montres sont testées en interne, suite au refus de l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo. Ils ne nient pas les qualités des montres, au contraire, mais souhaitent faire appliquer le standard chronomètre tel qu’ils l’ont définit, et en particulier le fait que les montres doivent être testées par un organisme indépendant.
Après quelques difficultés diplomatiques, le Japon reçoit une invitation au Congrès International de Chronométrie via l’ambassade du Japon en Suisse, et l’Institut Japonais de Métrologie (dépendant du MITI) envoie Shozo Matsushiro, accompagné de Mr Murakami, chef du bureau de développement de machines-outils de Suwa Seikosha, au 7ème Congrès International de Chronométrie se tenant au Palais Beaulieu de Lausanne à l’occasion de l’Exposition Nationale Suisse de 1964, rassemblant 800 spécialistes d’une vingtaine de pays. L’évènement fête également le 40 anniversaire de la Société Suisse de Chronométrie.
La veille, Shozo-san mange avec le président du CICC Mr Henri Gerber, directeur technique d’Omega, ainsi que Mr Harri également de chez Omega, avec sa délégation Japonaise composée entre autres de deux ingénieurs de Suwa Seikosha, H. Yasukawa, ingénieur-chef et Nariaki Murakami évoqué plus tôt. Avant ce dîner, les Japonais n’avaient aucune idée de ce qu’était le CICC !
Lors du congrès, des ingénieurs Japonais du l’Institute of Technology et de Suwa Seikosha donnent même des conférences sur le quartz.
Ce voyage permet à Shozo Matsushiro de prendre pleinement connaissance du fonctionnement de la CICC et des normes chronométriques internationales qu’elle défend. Son rôle est de ramener ces informations au Japon et d’en faire part aux manufactures en tant que membre d’une agence d'État. Suite à ce voyage en Suisse, il est encore plus déterminé à créer un organisme indépendant à même de certifier les montres japonaises afin de rejoindre la CICC.
Son intention va totalement dans le sens des recommandations de la CICC. Celles-ci sont claires: ils ont prit connaissance du fait que les Japonais (Seiko et Citizen) produisent des chronomètres qui répondent aux exigences nécessaires, si ce n’est que ces montres sont testées en interne. La CICC leur communique alors tous les détails sur les fonctionnements des BO (Bureaux Officiels) et “recommande que soit créé au Japon un organe officiel indépendant des fabricants dont la tâche serait de contrôler les chronomètres au cours d’épreuves, telles qu’elles existent en Suisse, en France, en Allemagne et en Italie, afin que seules les montres ayant subi avec succès cet examen puissent porter le nom de chronomètre.”
Shozo-san ne semble d’ailleurs pas particulièrement impressionné par ce qu’il apprend des BO. Lui qui s’imaginait trouver des bâtiments impressionnants, il semble déçu que les BO ne soient en fait que quelques pièces dans des écoles d’horlogerie. En 1963, 200 000 chronomètres ont été testés en Suisse, dont 120 000 par le BO de Bienne (le plus important). Le rythme de 10 000 mouvements testés chaque mois lui semble énorme et nécessite une automatisation pour les 16 employés chargés de cette tâche. Il fait d’ailleurs mention de l’utilisation d’un ordinateur IBM.
L’ingénieur relève deux autres points intéressants: le but de ces certifications lui semble être simplement l’augmentation du prix des montres (contrairement aux chronomètres de marine qui assuraient la survie en mer des marins), et il critique que les mouvements soient testés avant emboîtage, sujet qui continuera à faire débat longtemps après, nous y reviendrons.
Suite à ce voyage, il devient clair que les diverses organisations et manufactures japonaises doivent s’entendre pour créer la structure nécessaire pour rejoindre la CICC.
Malheureusement le MITI refuse, d'une part car ses juristes estiment que le mot chronomètre fait partie du langage usuel, d’autre part en raison du coût élevé de l’opération.
En attendant, Seiko arrête d’utiliser le terme Chronometer pour ses montres à partir de 1966.
Suite à l’arrêt temporaire de l’utilisation du terme chronomètre et à l’inaction du MITI, Seiko décide de mettre en place le standard Grand Seiko, supérieur aux normes en vigueur dans les Bureaux Officiels Suisses. Cette démarche s’inscrit dans une dynamique de performance chronométrique lancée dès les années 50 avec les concours de chronométrie japonais organisés par le MITI, puis avec les concours de chronométrie suisses. L’accumulation du savoir-faire industriel et technique permet à Grand Seiko de jouer le même jeu que Rolex et son Superlative Chronometer ou que le poinçon de Genève (pour sa partie chronométrie en tous cas) en créant un standard chronométrique plus stricte que celui de la CICC. Le but est clair: faire mieux que mieux !
En décembre 1968 et sous l’impulsion de Seiko, le Japanese Chronometer Inspection Institute (ou JCII) voit enfin le jour et sous-traite les épreuves de test à la Japan Clock & Watch Association (JCWA) dès 1969. En Septembre la JCII est présentée lors du Congrès International de Chronométrie de Paris et l’intégration du JCII au CICC est validée sous réserve d’une visite des installations du JCII à Tokyo et Suwa.
Claude Attinger, physicien au Laboratoire Suisse de recherches horlogères, et André Donat, directeur du Cétéhor, le centre technique de l'industrie horlogère de Besançon, font le voyage au Japon en Avril 1970. A cette occasion, de nombreuses discussions ont lieu, dans le même esprit que celles des Congrès Internationaux de Chronométrie, pour comprendre comment les tests sont effectués, selon quelles modalités et avec quelles machines, toujours dans le but d’uniformiser les pratiques à l’échelle internationale.
Pour la petite histoire, une des questions qui revient beaucoup est la température des tests. Pour faire simple, les montres sont testées dans le froid, à température ambiante, puis dans le chaud. Seulement le Japon teste ses montres l’été par 24°C, qui est considéré comme la température ambiante, alors qu’en Europe elles sont testées par 22°C. Si on regarde la norme ISO 3159 maintenant, les montres sont testées à 23°C avec une tolérance de +/- 1°C. Il s’agit sûrement d’un accord entre les Japonais et leurs homologues européens datant de cette période..
Entre le 1er avril 69 et le 31 mars 71, soit lors de ses deux premières années d’activité, le JCII teste plus de 225 000 montres. Entre le 1er avril et le 31 juin 1971, 40 000 montres sont testées avec une estimation de 120 000 montres pour cette année (pour les écoles et les entreprises japonaises, l’année commence le 1er avril et finit le 31 mars). Le taux de réussite pour l’année 69 est de 92% et passe même à 93% pour l’année 1970.
A titre de comparaison, selon l’Association des Bureaux Officiels, la Suisse un peu plus de 493 000 chronomètres pour l’année 1969 avec un taux de réussite de 91,5% (dont la moitié est testée à Bienne avec 92,3% de réussite).
La majorité des chronomètres testés en Suisse à cette époque dans les BO étaient des Omega et des Rolex (en 1970 Rolex et Omega représentent plus de 83% des chronomètres testés dans l’ensemble des BO), ce qui explique d’ailleurs pourquoi le bureau de Bienne était le plus actif. Cela tendrait à placer King Seiko en face de ceux deux marques légendaires, du moins pour ce qui concerne les qualités chronométriques, avec la précision de Rolex testait ensuite à nouveau ses montres en interne pour le “Superlative Chronometer”.
Il est intéressant de noter que tout le travail d’intégration des Japonais au CICC se fait dans un esprit de collaboration, le CICC n’ayant pas de but commercial et souhaitant juste faire respecter le terme de chronomètre à l’international, uniformiser les démarches et faire progresser la chronométrie dans son ensemble. Une démarche purement scientifique et aucunement commerciale. L’anglais est adopté comme troisième langue officielle avec le français et l’allemand, afin d’aider à l’intégration des Japonais et de leurs interprètes. Sans grandes surprises, les Japonais commencent tout de suite à demander à ce que les normes soient rendues plus strictes, en particulier pour tester des montres terminées et pas seulement des mouvements, et inclure la résistance au magnétisme, aux chocs et l’étanchéité aux critères testés pour la normes chronomètre, proposition appuyée par les Allemands mais rejetée par les Suisses et les Français.
Dès 1972, le président de la JCII commence à expliquer à la CICC l’importance de créer une catégorie à part pour les montres à quartz ainsi que d’augmenter les exigences de la norme Chronomètre. Malheureusement le comité refuse dans un premier temps de donner le nom de Chronomètre aux montres à quartz.
En 1974, le président de la JCII explique encore à la CICC que le Japon produit davantage de montres aux standards chronométriques supérieurs à la norme chronomètre (probablement majoritairement des Grand Seiko, possiblement des Citizen) et qu’entre le succès des montres mécaniques haut de gamme et de l’arrivée du quartz, le terme chronomètre perd de son attrait et il devient urgent de créer une norme supérieure (de type “Super Chronomètre”) ainsi qu’une norme propre aux montres à quartz. Il propose donc d’adopter la classification d’usage au Japon avec la classe AAAA pour les montres plus précises et A pour les moins précises, et propose qu’un chronomètre soit au moins AAA, mais le nom de chronomètre reste spécifique aux montres mécaniques.
Dès 1976, Seiko ne produit plus de chronomètres (King Seiko) et c’est cette année qui sonne la fin de la certification des montres mécaniques par le JCII. Mais le JCII continue de certifier des montres à quartz, avec d’importants soutiens de Suwa et Daini Seikosha, jusqu’en 1979, où le JCII cesse également de certifier les montres à quartz.
De 1974 à août 1979, le JCII certifie plus de 1 442 000 montres pour hommes de Seiko, Citizen et Ricoh, dont 29 000 de classe AAAA et 194 000 de classe AAA. Pour ces deux classes, les montres sont testées individuellement. Pour la classe AA, la certification est obtenue par échantillonnage. Cela représente 1 200 000 montres sur la période.
En 1979, la responsabilité de la norme chronomètre est transférée à l’ISO, qui travaille de près avec le CICC et le JCII depuis 15 ans. En effet, l’ISO a fondé en 1964 un comité technique appelé ISO/TC114 horlogerie. Le cahier des charges est adopté en 1974 et la norme ISO 3159 voit le jour en 1976 et ne sera mise à jour qu’en 2009, bien que la définition de chronomètre donnée par Léopold Defossez en 1952 soit toujours utilisée par le COSC.
A la fin des années 70 et au début des années 80, alors que l’ISO a repris à sa charge la norme chronométrique, les travaux du CICC tournent principalement autour du quartz. En octobre 80 et 82, le CICC se réunit d’ailleurs par deux fois à Tokyo. En Octobre 83 les discussions commencent à tourner autour de l’avenir du CICC et le JCII annonce au CICC sa dissolution en décembre 1983. Il est tout de même demandé que toute communication future de la part du CICC soit faite à l’attention de la Japan Watch & Clock Association (qui sous-traitait les tests de la JCII).
Et le COSC dans tout ça?
Malgré la présence de la CICC, il existe une forte concurrence entre les BO, il est donc décidé au début des années 70 d’unifier le fonctionnement et le coût des BO, ce qui amène à la naissance du COSC en 1973. Comme l’explique très bien Pierre-Yves Donzé, “le COSC n’a pas la propriété des BO, mais est contractuellement lié à ces derniers: il leur confie le contrôle et l’authentification des chronomètres.” Aujourd’hui encore, le COSC certifie les chronomètres par l’intermédiaire de trois BO: ceux de Bienne, Le Locle et Saint-Imier.
Il n'est donc pas juste de considérer que la CICC soit devenue le COSC. La CICC a été créée par le Congrès International de Chronométrie pour définir et faire appliquer la norme chronomètre à l’international, en donnant des directives à ses membres que sont les différentes sociétés de chronométrie. Ça n'a jamais été le travail de la CICC de tester les montres, elle a par contre autorisé différents organismes à donner le nom de chronomètre aux montres qui respectent les critères qu’elle a édicté.
A l’inverse, le COSC est un organisme qui réunit à la fois des représentants des différents cantons horlogers et des représentants de l’industrie suisse. Comme l’explique Pierre-Yves Donzé, “Le COSC apparaît d’emblée comme une organisation mise sur pied afin de rassembler les principaux acteurs de l’industrie horlogère suisse autour d’une idée simple: gérer de manière commune le système d'authentification des chronomètres. [...] L’équilibre entre les collectivités publiques et les entreprises permet aux BO de poursuivre un service qui s'adresse à l’ensemble de l’industrie.”
L’idée est d’unifier les différents BO qui souffraient de divers problèmes, dont une certaine concurrence inutile, des variations de prix dans la certification des montres selon les bureaux etc. De la même manière que la CICC s’assure du respect de la norme chronomètre à l’international, le COSC s’assure de l’unité dans le fonctionnement des Bureaux Officiels suisses. “La certification chronométrique de montres-bracelets à balancier spiral repose sur 7 critères imposés par la norme ISO 3159” comme le précise le COSC sur son site. Autrement dit, le COSC s’assure que les chronomètres respectent la norme ISO développée en partenariat avec la CICC dans les années 70.
Conclusion
La quête de la précision était un axe de développement majeur de beaucoup de marques horlogères après la guerre et malgré un démarrage un peu en retard des Japonais, Seiko a su revenir sur le devant de la scène dans les années 60. On présente souvent l’interdiction à Seiko d’utiliser le terme chronomètre comme une tentative de leur mettre des bâtons dans les roues, comme si les Suisses avaient eu peur des progrès de Seiko et essayaient de les combattre dès que possible.
Mais comme nous l’avons vu, cela n’a clairement pas été le cas. Au contraire, le but de la CICC était de faire progresser la chronométrie et l’horlogerie de manière générale, et l’arrivée des Japonais grâce à Seiko et la création du JCII a été très bien vue et facilitée par la CICC.
Bien que cela n’ait pas aidé Seiko a développer son savoir-faire, cela ayant déjà été fait dans les années 50 et 60, l’intérêt a été principalement de faire savoir qu’ils pouvaient concurrencer et battre les Suisses. D’ailleurs il est intéressant de noter qu’initialement, Seiko avait souhaité faire certifier ses chronomètres en vue des JO de 1964, mais que les refus des autorités japonaises et les difficultés à mettre en place un organisme idoine prit plusieurs années, ce qui ne permit à Seiko de proposer des chronomètres officiellement certifiés qu’à partir de 1970.
Mais entre-temps, Seiko n’a pas attendu les bras croisés. Comme nous allons le voir dans le prochain article, ils ont mis en place le standard Grand Seiko, plus strict que le standard chronomètre, ils ont participé aux concours de chronométrie suisses au point de causer leur fin à cause de leur supériorité, ils ont même fait certifier des montres par le prestigieux Observatoire Astronomique de Neuchâtel.
Cette quête de la précision a été couronnée de succès, que ce soit du point de vue technique ou du point de vue de la communication.
Mais revenir sur ces différents points permet également de comprendre à quel point Seiko dans son âge d’or produisait en grande quantité et à des prix plus abordables des montres de qualité équivalente aux suisses. Et c’est bien ça, et non pas le quartz, qui fut la cause de la crise horlogère qu’à traversé le Suisse dans les années 70 !
Dans le prochain article, nous verrons plus en détail comment le standard chronomètre a impacté la production et l’offre commerciale de Seiko, avec King Seiko, Grand Seiko, les concours de chronométrie et les montres certifiées par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.
Récapitulatif
C’est quoi le CIC, la CICTOC et la CICC?
CIC = Congrès International de Chronométrie
CICTOC = Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques, c’est une commission créée lors du CIC de 1949
CICC = Commission Internationale des Contrôles Chronométriques, c’est l’évolution de la CICTOC créée en 1959 pour unifier les contrôles chronométriques à l’échelle internationale
C’est quoi le JCII?
Japanese Chronometer Inspection Institute, créé en décembre 1968 sous l’impulsion de Seiko, c’est un organisme indépendant, membre de la CICC, qui permet aux entreprises japonaises de certifier leurs chronomètres. Elle a certifié des montres mécaniques jusqu’en 1976 et des quartz jusqu’en 1979. Il est dissous en décembre 1983, après seulement 15 ans d’existence et 7 ans de certification de montres mécaniques.
C’est quoi la JCWA?
La Japan Clock & Watch Association, créée en Avril 1948. Elle est chargée du développement de l’horlogerie japonaise sur le marché local et à l’international. C’est elle qui teste les montres pour le JCII de 1969 à 1976. L’association existe toujours.
https://www.jcwa.or.jp/en/index.html
C’est quoi l’Horological Institute of Japan?
Également fondé en 1948, l’Horological Institute of Japan est une société savante composée de chercheurs et de scientifiques issus du milieu universitaire et de l’industrie horlogère. Actuellement, deux des trois directeurs exécutifs font partie de Seiko
https://hij-n.com/english/
C’est quoi le COSC?
Le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres a été créé en 1973 et s’assure de la certification chronomètre au sein des Bureaux Officiels Suisses. C’est une association à but non lucratif qui regroupe des représentants des cantons horlogers (Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne et Soleur) et des représentants de l’industrie. Elle fait appliquer la norme ISO 3159.
D'autres organismes dans d’autres pays sont en mesure de délivrer ces certificats: l’observatoire de Besançon, le METAS de Berne, la fondation TIMELAB à Genève, la fondation Qualité Fleurier et l'observatoire Wempe à Glashütte.
C’est quoi ISO 3159?
C’est la norme internationale qui définit ce qu’est un chronomètre. Le site de l’ISO dit “L'ISO 3159:2009 établit la définition du terme «chronomètre» en décrivant les catégories, le programme des essais et les exigences minimales admises pour les chronomètres-bracelet.”
Cette norme a été mise au point dans les années 70 avec la collaboration de la CICC et du JCII, puis c’est finalement l’ISO qui a repris le rôle de la CICC en 1979. Sa commission technique dédiée à la chronométrie a été fondée dès 1964, il s’agit de la ISO/TC114.
Sources:
https://www.jcwa.or.jp/en/etc/history02.html
https://isozakitokeiblog.mods.jp/blog/2007/01/post_254.html
https://ja.wikipedia.org/wiki/%E3%82%AF%E3%83%AD%E3%83%8E%E3%83%A1%E3%83%BC%E3%82%BF%E3%83%BC
https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1950AFChr..20..439./0000441.000.html
https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1953PGenA..45..203T/0000004.000.html
Archives du Journal of the Horological Institute of Japan: https://www.jstage.jst.go.jp/browse/tokeieafj/-char/en
Pierre-Yves Donzé: “Histoire sociale et économique de la chronométrie”
La vraie histoire de la Tuna
La Tuna est une montre assez unique dans le paysage horloger de Seiko: elle est soit adulée soit détestée. Si vous êtes dans le premier camp, cet article devrait vous plaire. Si vous êtes dans le second, j’espère vous faire passer dans le premier avec cet article !
En 1965, Seiko sort sa première vraie plongeuse, la mythique 62MAS. Seulement 10 ans plus tard sort la Tuna, autre montre mythique de l’histoire de la marque mais également une des meilleures, si ce n’est LA meilleure plongeuse au monde. Il n’aura fallu que 10 petites années pour passer d’une première tentative élémentaire, un balbutiement, à une prouesse de technicité où la fonction détermine la forme. 10 ans pour créer la plongeuse ultime.
Pour Seiko, la Tuna n’est pas simplement une plongeuse professionnelle, mais l’aboutissement d’une quête débutée au début des années 60: la quête de l’étanchéité.
Le but de cet article est double. Il est évidemment de vous raconter la naissance et l’histoire de la Tuna, mais également de replacer cette histoire dans un contexte plus large qui est celui de la quête de l’étanchéité par Seiko afin de mieux se rendre compte du chemin parcouru en une quinzaine d’années. Cette recherche s’inscrit de manière plus large dans cette ambition qui a été le moteur de Seiko dans cette décennie fabuleuse et qui tient en quelques mots, ceux de Shoji Hattori: rattraper et dépasser la Suisse !
Je vous propose donc de voir comment Seiko a évolué sur l’étanchéité des montres entre ses premiers modèles “waterproof” au début des années 60, puis de vous attarder sur la création et le développement de la Tuna avant de répondre à cette question: peut-on dire qu’avec ses plongeuses, Seiko a rattrapé et dépassé la Suisse?
Les premières montres étanches
Au début des années 60, Seiko sort timidement certains modèles étanches. En effet, le Japon est un pays très humide, la culture des bains publics y est toujours très ancrée et les activités aquatiques commencent petit à petit à se populariser. L’étanchéité est donc un gage de qualité pour des montres faites pour durer dans le temps. Mais jusqu’à présente, l’étanchéité fait réellement défaut aux productions de la marque.
Au début des années 60, Seiko commence à produire des montres comme la Dolphin dont le fond de boîte précise qu’elle est “water protected”, sans autre forme d’explication, puis des montres étanches à 30m estampillées Seahorse. Viennent ensuite les Silverwave, d’abord Seikomatic étanches à 50m puis Sportsmatic étanches à 30. Certains les considèrent d’ailleurs comme les premières plongeuses de la marque, malgré une étanchéité annoncée assez faible et peu de caractéristiques en commun avec ce qu’on attend d’une plongeuse de nos jours.
On voit donc que l’étanchéité est améliorée par rapport à ce qui se faisait avant, mais elle reste vraiment très basique avec seulement quelques dizaines de mètres. Le problème est en fait assez simple et vient de l’unité de mesure utilisée.
Comme cela a été expliqué dans un article précédent, Seiko utilisait alors la ligne comme unité de mesure au lieu du millimètre, une vieille unité française qui remonte au Moyen-Age ! La ligne étant moins précise que le millimètre, cela aboutissait à des tolérances très larges dans la fabrication des pièces et dans leur ajustement, rendant une réelle étanchéité quasi impossible.
Taro Tanaka décida d’imposer le millimètre comme unité de mesure, que ce soit aux designers comme aux sous-traitants qui fabriquaient les boitiers et les cadrans, ce qui permis l’arrivée chez Seiko des premières montres réellement étanches, parmi lesquelles on peut compter les fameuses Sportsmatic 5 par exemple.
Entre Novembre 1965 et Mars 1966, Seiko lance une campagne de communication axée sur les montres étanches en exposant leurs montres immergées dans des aquariums. Cette campagne aura un fort impact sur la vision qu’ont les gens de ces produits puisque jusqu’alors, les montres étaient vues comme des produits fragiles et sensibles à l’humidité.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à ce moment-là, Taro Tanaka dû mettre au point des outils pour les boutiques afin de tester l’étanchéité des montres, mais également pour les ouvrir et fermer sans soucis. En effet, à cette époque les marques étaient uniquement des manufactures et le service après-vente était assuré par les distributeurs, la marque ayant simplement pour rôle de fournir le matériel adéquat et les pièces aux boutiques qui distribuaient leurs montres. Donc pour vendre des montres étanches, il fallait que les boutiques aient l’équipement nécessaire et c’est à Taro Tanaka que fut donnée cette tache.
C’est donc en 1965 que Seiko sort sa première vraie plongeuse, la fameuse 62MAS. Bien qu’aujourd’hui elle a acquis le statut de légende, ça n’est pas une montre particulièrement appréciée par son créateur Taro Tanaka. En effet, il raconte dans le livre de Ryugo Sadao « The birth of Seiko professional diver’s watch » que cette montre a été conçue en vitesse ‘sur un coin de table’, en seulement un mois. Les équipes de Seiko voulaient une vraie plongeuse pour les JO de Tokyo en Octobre 1964 mais la 62MAS ne fut malheureusement pas prête à temps pour cet évènement. Son design relativement simple était très inspiré des skin divers que l’on retrouvait alors en Suisse, le bracelet était fait par Tropic et l’étanchéité à 150m était une vraie amélioration sans être exceptionnelle. Malgré tout, cette montre équipa de nombreux explorateurs et scientifiques, entre autres pour des missions en antarctique. Comme quoi même en faisant les choses à la va-vite, Taro Tanaka arrive à pondre des petites merveilles !
Peu de temps après, Seiko sort une nouvelle plongeuse, la 6215-7000. Cette fois-ci, on sent bien que Taro Tanaka a planché sur cette montre et lui a donné sa propre signature, qui deviendra d’ailleurs un classique du design des plongeuses pour Seiko. Bien que le calibre soit proche de la 62MAS, le reste de la montre est un très gros cran au-dessus: boitier monobloc, verre hardlex, étanchéité à 300m, bracelet maison, lunette unidirectionnelle avec clic etc.
Cette référence mythique ne fera finalement pas long feu. Bien que le calibre 62 soit un excellent mouvement automatique (qu’on retrouvera même dans les 62GS, signe d’une grande qualité), il est rapidement éclipsé par le calibre 61, un autre mouvement automatique mais cette fois-ci Hi Beat (36,000 alternances par heure). C’est donc la 6159-7000 qui remplace la 6215 en 1968. Malgré un design très proche de celui de la 6215, la 6159 évolue encore légèrement pour devenir LA plongeuse ultime de Seiko et celle qui aurait pu faire la fierté de son créateur Taro Tanaka.
Une montre inutilisable
Quelle ne fut pas la surprise quand en 1968, la direction de Seiko reçoit une lettre de plainte d’un client mécontent de sa 6159, la qualifiant de montre inutilisable ! Taro Tanaka, piqué dans sa fierté, lit la lettre en question et apprend qu’elle a été rédigée par un plongeur professionnel dont la montre a explosé lors de la décompression de son caisson hyperbare. Ne comprenant pas très bien les enjeux et le problème, Taro Tanaka propose à l’homme en question,, Hiroshi Oshima, de venir le rencontrer au siège de l’entreprise à Tokyo et de lui expliquer en détail les soucis rencontrés. Ce dernier accepte et son entretient avec le designer aura un impact énorme.
En effet, le plongeur explique à Tanaka qu’il fait de la plongée en saturation, mais ce dernier ne sait pas ce dont il s’agit. Il lui explique donc.
Afin de pouvoir plonger à de grandes profondeurs et d’y rester longtemps, il existe un système de caisson dans lequel deux plongeurs s’enferment pour descendre très profond, dans ce cas précis à 350m sous la surface. Mais à cette profondeur, la pression de l’eau est immense et les temps de décompression pour remonter sont interminables (plusieurs jours voire semaines). La cabine est donc pressurisée avec un mélange d’hélium afin que les corps des plongeurs s’habituent à une pression identique que celle qu’exerce l’eau par 350m de profondeur. Ils peuvent donc ainsi librement sortir faire leurs travaux sous-marins (soudure et autres travaux lourds) puis retourner dans le caisson sans soucis. Après plusieurs jours voire semaines de travail, le caisson remonte lentement vers la surface afin de respecter les paliers de décompression. Et c’est justement là que le soucis est arrivé…
Lors de la remonté, la montre a tout simplement explosé, d’où la plainte du plongeur qualifiant cet outil de montre inutilisable !
Le problème venait de l’hélium. Lorsque la cabine est pressurisée, l’hélium se faufile partout, y compris dans la montre. Mais quand la cabine remonte et se dépressurise, l’hélium n’arrive plus à sortir suffisamment vite, la pression augmente dans la montre jusqu’à ce que le verre vole et que toutes les pièces de la montre soient satellisées !
Taro Tanaka n’ayant pas connaissance de ce monde si particulier, il demande au plongeur s’il accepterait de l’amener sur son lieu de travail et de lui montrer la réalité du terrain afin de créer un produit qui répond réellement aux besoins des plongeurs professionnels.
À la rencontre des pro
Taro Tanaka se rend au port de Kure, le plus grand port et chantier naval du Japon (connu pour être le lieu de fabrication du cuirassé le Yamato lors de la Seconde Guerre Mondiale) et embarque sur un petit bateau à moteur pour se rendre au large. Alors qu’il ne savait pas vraiment vers quoi il se dirigeait - surement un gros bateau pensait-il - il n’en cru pas ses yeux quand il vit se détacher à l’horizon la silhouette d’une plateforme pétrolière monumentale.
Il passa plusieurs jours là bas en présence de Tatsuro Akabane, un autre designer responsable de la conception du boitier. Là ils ont pu se rendre compte de la réalité du travail de ces hommes, des contraintes auxquels ils étaient exposés et surtout des besoins auxquels leurs montres, outils alors indispensables, devaient répondre.
C’est comme ça qu’ils se sont par exemple rendu compte que les caissons de plongée étaient très petits, au point de ne pas pouvoir s’y tenir debout ou même y marcher, mais que deux personnes devaient y tenir pendant plusieurs jours ou semaines. Ils ont également découvert le travail qui était confié à ces hommes, les outils qu’ils utilisaient, leur équipement, les combinaisons étanches sous lesquelles les plongeurs gardaient un pull pour supporter le froid des profondeurs, mais aussi les attentes qu’ils avaient pour leurs montres.
Voici la liste des problèmes et observations relevés par Taro Tanaka suite à ces observations et aux entretient avec les plongeurs:
Au sujet du mouvement
En raison des travaux de soudure, la montre doit résister au magnétisme
Il est vital de savoir à tout moment si la montre fonctionne ou non
Les plongeurs portent leur montre même sur la terre ferme afin de s’assurer de leur bon fonctionnement
Au sujet de la lisibilité
Les plongeurs vérifient le temps qui s’est écoulé très fréquemment au cours des plongées
Compte tenu de l’obscurité des grands fonds, il est indispensable de pouvoir lire l’heure même dans le noir
Au sujet du boitier
Les plongeurs se retrouvent souvent emmêlés dans des cables ou des tuyaux que ce soit au fond de l’eau ou dans leur petit caisson
Compte tenu du peu d’espace dans le caisson, si deux personnes s’y trouvent, des bords saillants ou pointus sur une montre peuvent s’avérer dangereux
Comme les plongeurs n’arrêtent pas de se cogner partout, surtout dans l’espace réduit du caisson, les montres se retrouvent vite couvertes de rayures
Les montres ont souvent des problèmes lors de la décompression
Si la montre tombe, la plupart du temps la couronne va se casser ou le verre se briser, rendant la montre inutilisable
Lors de divers travaux d’entretiens, il n’est pas rare que les montres des plongeurs se retrouvent couvertes d’huile qui s’immisce partout, rendant le nettoyage compliqué voir impossible
Les habits des plongeurs s’usent vite à cause des frottements sur les crans des lunettes
Au sujet du bracelet
Compte tenu du froid de l’eau au fond (proche de 0°C), le bracelet en plastique se raidit et casse très facilement par la suite
Même lorsque le bracelet est très serrée, une fois au fond de l’eau la pression que celle-ci exerce sur le corps et la combinaison du plongeur font que la montre devient trop large au poignet et bouge
Au sujet de l’apparence générale de la montre
Les plongeurs souhaitent avoir des montres qu’ils peuvent porter en toute circonstances, même lorsqu’ils sont dans des réceptions à l’étranger, sans en avoir honte
Voici donc en gros le cahier des charges que devra respecter cette nouvelle plongeuse, au-delà évidemment d’une étanchéité supérieure à 350m, avec en plus une solution au problème de l’hélium.
Pour ce qui est du mouvement, aucune raison de changer une équipe qui gagne, la nouvelle montre sera donc équipée du 6159B. Il s’agit du meilleur calibre automatique du groupe avec une vraie fiabilité testée et éprouvée. Ce mouvement est très proche de celui qu’on retrouve dans les 61GS, avec un grade chronométrique un échelon en-dessous de ce qui se fait chez Grand Seiko (équivalent donc au COSC, mais testé en interne). C’est en fait une évolution du 6159A de la 6159-7000, avec tout de même beaucoup d’améliorations à presque tous les niveaux du mouvement, du barillet à l’échappement en passant par tout le système de tige de remontoir. Ce mouvement répond à tous les besoins en terme de résistance aux chocs, aux vibrations et propose un couple suffisant pour mouvoir les aiguilles massives dessinées pour l’occasion. Pour le magnétisme, une plaque de fer doux est glissée entre le mouvement et le fond de boite, protégeant donc le calibre de manière efficace.
Pour ce qui est de la lisibilité, le cadran est noir mat avec des index paints en blancs et recouverts d’une nouvelle peinture luminescente pour laquelle Taro Tanaka a travaillé directement avec Nemoto&Co Ltd, l’entreprise qui créera par la suite le Luminova. Son souhait était d’avoir une peinture non radioactive, totalement blanche et la plus luminescente possible. Les index sont ronds pour un maximum de luminescence (plus efficace que des index carrés) et l’index de midi est triangulaire pour repérer directement l’orientation du cadran. Les aiguilles bénéficient d’une finition très fine donnant des couleurs irisées selon la lumière pour maximiser la lisibilité et l’aiguille des minutes, la plus importante pour les plongeurs, voit sa taille drastiquement augmenter. En effet, c’était un choix des plongeurs eux-mêmes que cette aiguille soit celle qui saute le plus aux yeux puisque lorsqu’ils plongent, ils n’ont pas besoin de savoir l’heure mais uniquement le temps écoulé.
Pour ce qui est du boitier en lui-même, Taro Tanaka s’inspira des balanes, ces petits crustacées marins qui se fixent partout et dont la carène (ou « coquille ») les protège des assauts des vagues. Il décida donc de créer cette protection extérieure qui devrait abriter la lunette et la couronne, et il proposa de la fixer par 4 vis qui devraient permettre aux plongeurs de facilement la démonter pour totalement nettoyer la montre. La forme légèrement conique permettant d’éviter que des cables s’enroulent autour de la montre, les designers optent également pour des bords bien arrondis afin d’éviter que la montre s’accroche où que ce soit ou n’abime ce qu’elle pourrait heurter. Une simple découpe entre 12h et 3h puis entre 6h et 9h expose suffisamment la lunette pour pouvoir la tourner tout en la protégeant idéalement de manipulation involontaire et en préservant les habits des plongeurs. En choisissant un verre plat, cela leur permet de placer celui-ci légèrement en-dessous de la lunette pour le protéger des rayures. Il fallait également trouver une solution avec un revêtement interne pour empêcher que le verre ne se couvre de buée lors des chocs de température, ce qui fut fait. Enfin, le choix d’un boitier en titane (une première pour une plongeuse) pouvait garantir plus de légèreté et une résistance à la corrosion accrue et la protection externe du boitier fut pulvérisée d’un composé de céramique à très haute température afin de le rendre très résistant aux rayures.
Pour l’étanchéité, un énorme travail dû être fait pour la fixation du verre et de la couronne. Ikuo Tokunaga proposa l’utilisation d’un nouveau matériau pour les joints d’étanchéité et l’équipe de designers décida d’utiliser le joint en L développé pour les Seiko 5 Sports. Ce joint très efficace allié au nouveau matériau et au design complexe du boitier monobloc permis de créer une montre parfaitement étanche à l’hélium, rendant l’idée même d’une valve à helium totalement caduque. Du plus, le système de fixation du verre est intégré d’un bloc au boitier en lui-même, venant sécuriser le verre en cas d’intrusion d’hélium et de surpression interne.
Tokunaga proposa également d’utiliser un type de polyuréthane pour le bracelet, le rendant moins sensible à la température que le PVC utilisé jusqu’à présent. C’était une première pour un bracelet de montre. Taro Tanaka s’inspira de sa passion pour les vieux appareils photos, et plus particulièrement des soufflets qu’on pouvait retrouver sur de vieux objectifs, pour créer un bracelet qui s’adapte automatiquement à la taille de poignet du plongeur. Bien que ces bracelets à « vaguelette » soient monnaie courante aujourd’hui, on doit ce design ingénieux à Taro Tanaka.
Les équipes de Seiko ont travaillé sans relâche avec de nombreux plongeurs et photographes sous-marins afin d’améliorer progressivement le design, de tester les prototypes en conditions réelles et d’apporter des modifications afin d’obtenir un produit répondant parfaitement à leurs attentes.
Pourquoi 600m ?
On pourrait se poser cette question légitime. Pourquoi avoir proposé une plongeuse étanche à 600m et pas 500 ou 700?
Un élément de réponse apparaît dans un article de The Horological International Correspondance (vol.24 no.281) dédié au développement de la Golden Tuna, où l’auteur explique qu’à cette époque, le record de plongée en saturation était détenue par la Comex pour une plongée à 501m (alors que le travail habituel se situe entre 100 et 300m en général). Il semble donc évident que, compte tenu du travail de recherche mené par les équipes de Seiko, cette information fut utilisée afin de produire la plongeuse ultime, capable d’aller plus loin que là où les meilleurs peuvent aller !
Depuis, le record est passé à 701m pour une plongée en saturation (en 1992).
On pourrait peut-être y voir aussi une rivalité avec deux autres plongeuses professionnelles, la fameuse Omega Ploprof, elle aussi originellement étanche à 600m ou la Rolex Sea Dweller étanche à 610m. On voit donc bien qu’à cette période, 600m semble être la norme pour les plongeuses professionnelles.
« Ce truc noir…c’est pas une montre »
Après que Taro Tanaka ait travaillé d’arrache pied avec des plongeurs professionnels et des photographes sous-marins pour la conception et le test des prototypes, avec ses équipes de designers et les équipes de Suwa Seikosha pour la production, il présente enfin la montre aux dirigeants de Seiko Watch Corporation, mais leur réaction n’était pas ce qu’attendait Tanaka… « Mais ce truc noir…c’est pas une montre ! »
Mais Taro Tanaka ne se démonte pas et répond à ses supérieurs que c’est une montre née des plaintes de la part de professionnels et que la recherche technique menée a eu pour seul et unique but de répondre à leurs besoins et créer l’outil ultime.
La réponse qui lui fut donnée pourrait paraître tout aussi étrange et laisse sous entendre un doute quant à l’éventuel succès de la montre… « C’est une montre assez particulière, mais mettons-la quand même sur le marché, au pire ça fera parler de nous ».
Une reconnaissance immédiate
Malgré le scepticisme des dirigeants de Seiko (peut-on leur en vouloir?), la montre alors surnommée « le visage noir des abysses » rencontre immédiatement un franc succès auprès des plongeurs professionnels, mais aussi de toute personne souhaitant posséder une montre d’une résistance absolue, que ce soit pour des activités aquatiques ou autres.
Il serait logique de se dire que le nombre de personnes ayant besoin de ce genre de produit est très réduit et que la demande ne sera pas délirante. À cette époque, on estime qu’il n’y avait que 200 plongeurs en saturation au Japon et 4000 dans le monde. La demande semble donc bien faible, surtout si on déduit les 600 plongeurs professionnels de la Comex alors en partenariat avec Rolex !
Et pourtant, toujours d’après cet article de The Horological International Correspondance de 1983, Seiko a vendu 5000 Grandfather Tuna au Japon et 2500 dans le reste du monde, soit un total de 7500 montres en un peu moins de 3 ans ! Ce qui semble assez conséquent compte tenu des généreux 50mm de diamètre pour 16mm d’épaisseur du bestiau !
Lorsqu’ils sortent la Golden Tuna 3 ans après, c’est cette fois-ci 4200 montres qui sont vendues au Japon et 4925 dans le reste du monde, soit un total de 9125 montres. Les chiffres réels sont sûrement bien supérieurs pour cette dernière puisqu’elle fut distribuée jusqu’en 1986, date à laquelle elle fut remplacée par un modèle étanche à 1000m, et que les chiffres cités ici datent de 1983. En 8 années de production, le total de Tuna vendues (Hi Beat et quartz) s’élève donc à 16625 unités soit plus de 2078 montres par an ou environ 5 Tuna vendues chaque jour dans le monde, malgré une demande qui pouvait sembler bien faible au début, montrant que ce modèle extrême satisfaisait aussi bien les plongeurs en saturation que tous les autres clients à la recherche d’une montre d’une robustesse indiscutable ! On la retrouvera d’ailleurs même au poignet de Roger Moore dans James Bond et dans Les loups de haute mer.
Autre preuve de la réussite ce de design, il me semble utile de rappeler que malgré les évolutions qu’a subit la fameuse Tuna depuis 1975 (matériaux, mouvements etc), le concept de base et le design global de la montre sont restés les mêmes depuis 1975. Cela fait donc 46 ans que la dynastie des Tuna règne sur les plongeuses de Seiko de manière ininterrompue, faisant de cette famille de montres un des succès indiscutables de la marque et la gamme de montres ayant été distribuée de manière continue pendant le plus longtemps pour Seiko.
La Tuna en conditions réelles
Durant toute la phase de R&D, les équipes de Seiko ont continué à travailler avec beaucoup de professionnels et à échanger sur les différents choix, les changements possibles, l’utilisation des prototypes en conditions réelles, l’esthétique de la montre etc.
On peut noter l’implication de Hiroshi Oshima, le plongeur ayant écrit la lettre de plainte en 1968, ainsi que son collègue Isao Hansako qui ont utilisé les prototypes dès les premières phases de développement. Akira Tateishi du Underwater Modeling Center, éditeur du mensuel japonais “Marine Diving” et photographe sous-marin, fut impliqué dans le développement des prototypes ainsi que lors des débuts de la production de masse, mêlant ses connaissances du monde sous-marin avec sa formation initiale en design industriel obtenu quelques années avant Taro Tanaka dans la même université. Les plongeurs professionnels et autres spécialistes de ce domaine ont donc été des acteurs essentiels non seulement dans l’établissement du cahier des charges, mais également lors des phases de développement des prototypes; Mais l’évolution des techniques d’exploration sous-marine ont permis à Seiko d’aller plus loin encore.
À l’hiver 1982, Seiko décide de tester sa Golden Tuna (la seconde version de la Tuna, à quartz, sortie en 1978) par 300m de profondeur en saturation avec l’aide de la Jamstec (Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology) afin de tester en conditions réelles la manipulation de la couronne, la résistance aux changements brusque de pression ou encore les variations de pression à l’intérieur de la montre. Lors de ce test, la Tuna est comparée à d’autres modèles Suisses équivalents et la Tuna est la seule à ne pas voir sa pression interne varier, validant ainsi le concept de la montre de manière purement expérimentale, ce qui vint confirmer le nom qu’elle portait au Japon de meilleure montre de plongée au monde.
L’année suivante, au mois de Mai 1983 et forte de son succès quelques mois auparavant, Seiko mène son premier test en eaux profondes pour la Tuna. Bien qu’étanche à « seulement » 600m, Seiko voulait savoir si la montre pouvait résister à la limite qu’ils s’étaient fixés de 1000m. Bien que cette profondeur ne peut pas être atteinte par des humains, ils voulaient savoir jusqu’où pouvait descendre la montre. Elle fut donc attachée au bras robotisé du Shinkai 2000, un sous-marin d’exploration habité pouvant plonger jusqu’à 2000m et inauguré deux ans plus tôt.
Deux montres tirées de la production standard ont donc été testées pendant plusieurs heures et sur deux jours dans une eau à 3°C. Ce genre de test dynamique, dans une eau glaciale par 1000m de profondeur et de manière prolongée n’est évidemment pas possible en laboratoire, mais les deux montres testées ne montrèrent pas le moins soucis de fonctionnement, de précision, d’étanchéité ou d’apparence, descendant jusqu’à 1062m !
Pour information, les numéros de séries de ces deux montres sont 130229 et 140375. Si jamais vous tombez par hasard dessus, là c’est le jackpot !
En 1986, 3 années après ce test réussi par plus de 1000m de profondeur, Seiko sort la nouvelle version de la Golden Tuna, cette fois-ci étanche à 1000m. Aucune montre produite par Seiko depuis n’a dépassé cette limite puisque selon Seiko, cela ne ferait pas sens de créer une montre qui descendrait plus profond que là où n’importe quel plongeur pourrait aller.
Mais tout de même, les tests ont continué à se faire et le 6 Septembre 2014, Seiko et la Jamstec ont prouvé que les Tuna professionnelles pouvaient descendre sans soucis à plus de 3000m sous la surface sans le moindre problème, la version quartz d’arrêtant à 3284m et la version automatique à 4299 m. Cet arrêt est dû à la pression du verre sur les aiguilles, mais les montres étaient encore visiblement toujours étanches à ces profondeurs abyssales ! Il aurait été intéressant de savoir à quelle profondeur on pouvait observer de la casse, mais ces infos ou images n’ont évidemment pas été dévoilées par la marque.
Pour la petite histoire, j’ai eu le plaisir de partager cette vidéo avec un horloger spécialiste des tests d’usure et de résistance (tests tribologiques) et de vieillissement. Il a tellement apprécié ces images qu’il les a intégrées au cours qu’il donne dans une école d’horlogerie de Genève. Bientôt tous les horlogers Suisses connaîtront les prouesse de la légendaire Tuna !
Il se raconte que les plongeuses Seiko sont testées pour résister à trois fois la profondeur annoncée et on voit ici que c’est bien le cas avec les Tuna 1000m !
L’évolution de la Tuna: vraie ou fausse Tuna?
Ce design si particulier et unique ainsi que le succès de ce modèle ont amené Seiko à décliner ce style en de nombreuses montres. On retrouve ainsi la première génération en Hi Beat, très vite remplacée par la version à quartz, puis des versions kinetic, ana-digi (analogique et digital à la fois), puis automatique et Spring Drive. Ce design rentré dans le panthéon de Seiko sera repris dans les années 2010 pour tout un ensemble de plongeuses et autres montres robustes - mais pas « professionnelles » - dont voici quelques exemples.
Ces plongeuses loisir aux capacités d’étanchéité standard (200m) reprennent le look de la Tuna avec son fameux « shroud », mais est-ce qu’on peut vraiment encore parler de Tuna…
Alors certes, ce surnom lui vient de sa ressemblance esthétique avec une boite de thon - je suis d’ailleurs persuadé que Taro Tanaka est sûrement outré par ce vulgaire surnom ! - mais est-ce que ces montres font vraiment sens face aux plongeuses professionnelles d’origine?
La Tuna a été conçue en réponse à des besoins très spécifiques comme nous l’avons vu. Son shroud lui permet d’être facilement nettoyée de la graisse et de l’huile que les plongeurs professionnels utilisent souvent lors de l’entretient de leur matériel, la forme permet de protéger la couronne et la lunette sans abimer les vêtements ou être prise dans les cables, tuyaux etc. Mais surtout, la Tuna d’origine avait un boitier monobloc dont la construction et les joints spécifiques permettaient une réelle étanchéité à l’hélium, ceci étant le point le plus important de cette montre. Au-delà d’une étanchéité à l’eau impressionnante, c’est surtout cette étanchéité à l’hélium qui rendait la Tuna si unique, la rendant apte à la plongée en saturation. Du coup, est-ce que les autres versions étanches à 200 ou 300m mais pas à l’hélium ne seraient pas que des ersatz, des versions diluées de la « vraie » Tuna? Est-ce que mettre un shroud sur n’importe quelle plongeuse en fait une Tuna?
Je pense que la réponse à cette question est très personnelle et dépendra de la vision de chacun. Personnellement j’ai décidé de commencer ma collection de Tuna avec un modèle 1000m monobloc et étanche à l’hélium parce que c’est pour moi l’essence même de ce modèle, mais je sais déjà que de nombreux autres modèles ne répondant pas à ce cahier des charges rejoindront mon poignet dès que possible ! Et puis comme nous l’avons vu un peu plus haut, ces Tunas répondent finalement aux besoins de nombreuses personnes qui ne sont pas pour autant des plongeurs en saturation mais qui ont plaisir à porter une montre hyper robuste, un morceau de l’histoire de Seiko ou juste une tocante qu’ils trouvent sympa à leur poignet ! Et comme le disait un grand homme, « au fond, c’qui compte c’est l’plaisir » !
Rattraper et dépasser la Suisse: mission accomplie?
Ce slogan que l’on doit à Shoji Hattori, ancien PDG du groupe Seiko, a été le fil conducteur de tous les efforts de Seiko dans les années 60, et les succès furent nombreux.
On peut ainsi dire objectivement qu’ils ont rattrapé et dépassé la Suisse dans de nombreux domaines: dans la chronométrie sportive avec les JO de 1964 puis les Asian Games, dans les concours de chronométrie avec les fameux concours de Neuchâtel et Genève où les Japonais ont excellé de manière historique, dans la course à la commercialisation du premier chronographe automatique, dans la course à la commercialisation de la première montre à quartz, et j’en passe. Mais peut-on en dire autant au sujet des plongeuses?
Je pense avant tout qu’il faut préciser cette question: peut-on en dire autant au sujet des plongeuses professionnelles ? En effet, il ne serait pas très cohérent de comparer la Tuna à une plongeuse standard, faite pour résister à 200m de profondeur et qui ne se pose pas la question de l’hélium. Je pense que dans le domaine des plongeuses professionnelles, la Tuna peut être comparée à la Rolex Sea Dweller, aux Oméga Seamaster Professional et Ploprof ou encore la Doxa Sub 300T Conquistador, des montres qui ont été pensées et/ou utilisées pour un usage professionnel, mais surtout pensées pour la plongée en saturation. Mais ces montres mythiques partagent presque toutes la même stratégie: elles utilisent toutes une valve à hélium. La montre laisse donc rentrer l’hélium puis, par l’utilisation de cette valve, la laisse s’échapper lors de la décompression. Les équipes de Seiko avaient une vision différent du problème de l’hélium: l’utilisation d’une valve à hélium implique un risque potentiel de défaillance supplémentaire de la montre, c’est pourquoi ils ont opté pour une solution plus complexe mais ô combien plus cohérente: tout simplement ne pas laisser l’hélium pénétrer dans la montre ! A noter que seule la Ploprof 600m n’utilise pas non plus de valve à hélium. Bien que toutes les autres plongeuses Suisses citées précédemment soient des montres mythiques et passionnantes également, cette histoire d’hélium place, à mon humble avis, la Tuna sur la première marche des meilleures plongeuses au monde !
Mais voyons me direz vous, il existe de nombreuses plongeuses étanches à plus de 1000m !! Comment peut-on dire qu’il n’y a pas mieux que la Tuna alors que d’autres montres peuvent aller plus profond?
Cette question est légitime évidemment. Mais il faut se poser la question de l’utilité de telles montres. En effet, une montre n’a d’utilité qu’au bras d’une personne. Or, comme cela a été précisé plus haut, le record de profondeur pour un humain est de 701m en plongée en saturation. A partir de là, pourquoi construire une montre étanche à 2000, 5000 ou 10000m ? Pour la prouesse? Oui, certes… C’est donc plus de la communication que de l’horlogerie, non? Ensuite, ces montres sont-elles étanches à l’hélium comme l’est la Tuna? Sont-elles portables et utilisables au quotidien (oui, c’est toi que je regarde Rolex Deepsea Challenge) ? Comment ces montres sont-elles testées et résistent-elles vraiment aux profondeurs annoncées? Tester une montre dans une machine qui simule une certaine pression, c’est autre chose que de mettre la-dite montre dans une eau proche de 0 degrés pendant plusieurs jours au bout d’un bras robotisé !
Bref, lorsque l’on prend en considération tous ces aspects et les tests comparatifs menés par Seiko avec des plongeuses Suisses, je pense personnellement que la Tuna est la meilleure plongeuse qui existe et il sera difficile de me faire changer d’avis !
Conclusion
La Tuna se distingue avant tout par un look unique. Un look que j’ai mis beaucoup de temps à apprécier d’ailleurs. Mais quand on creuse un peu plus, on s’aperçoit qu’elle incarne la quête de l’étanchéité qui va au-delà des plongeuses et nous ramène aux Seiko 5, aux Silverwave et à cette évolution folle qu’a vécu Seiko dans les années 60. Elle incarne le dévouement des équipes de Seiko qui en seulement 10 ans est passé d’une simple plongeuse basique faite en vitesse sur un coin de table à la meilleure plongeuse au monde. C’est dingue de se dire que 15 ans avant la Tuna, aucune Seiko n’était étanche !! Elle incarne également le kaizen, ce processus d’amélioration continue tirée du bouddhisme, signifiant par extension « analyser pour rendre meilleur ». Elle incarne également le génie de Taro Tanaka, à mon sens le plus grand designer horloger au monde ! Elle incarne aussi ce fameux slogan de Shoji Hattori, « Rattraper et dépasser la Suisse ».
Pour moi cette montre est un condensé de l’ADN de Seiko, une montre attachante, une montre sans concession et tout simplement une des montres les plus mythiques de l’histoire de Seiko !
Sources:
Ryugo Sadao « The birth of Seiko Professional Diver’s Watches »
The Horological International Correspondance n°281
The Horological International Correspondance n°441
https://museum.seiko.co.jp/en/seiko_history/milestone/milestone_08/
Suwa vs Daini: l’histoire d’une rivalité
Quand on parle de Seiko vintage, il y a deux noms qui reviennent systématiquement: Suwa Seikosha et Daini Seikosha. Comme vous le savez sûrement, il s’agit des deux grands sites de production qui fabriquaient et fabriquent toujours (sous d’autres noms) les montres qui sont ensuite commercialisées par Seiko Watch Corporation.
Mais en fait, Suwa et Daini, c’est qui, c’est quoi?
Quand on parle de Seiko vintage, il y a deux noms qui reviennent systématiquement: Suwa Seikosha et Daini Seikosha. Comme vous le savez sûrement, il s’agit des deux grands sites de production qui fabriquaient et fabriquent toujours (sous d’autres noms) les montres qui sont ensuite commercialisées par Seiko Watch Corporation.
Mais en fait, Suwa et Daini, c’est qui, c’est quoi?
Il me semble utile de reprendre quelques notions historiques au sujet de ces deux usines, que ce soit pour mieux comprendre l’organisation générale de Seiko, la façon dont la marque a évolué depuis un siècle, mais aussi comment la rivalité fraternelle entre ces deux centres névralgiques de Seiko a pu être utilisée de manière positive par Seiko Watch Corporation pour propulser la marque au sommet de l’horlogerie mondiale.
Je vous propose donc dans un premier temps de reprendre un historique rapide et quelques points clés de l’histoire et l’évolution de Seikosha, de Daini et de Suwa, puis dans un deuxième temps d’illustrer la rivalité qui anime ces deux maisons depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’à nos jours.
Seikosha
Daini Seikosha signifie littéralement « la seconde Seikosha ». Il faut donc parler d’abord de la première Seikosha…
Comme vous le savez, Kintaro Hattori a ouvert son atelier de réparation et de ventes d’horloges d’occasion dans le quartier de Ginza en 1881, sobrement appelé K Hattori. Les bénéfices tirés de cette activité lui permettent ensuite de devenir importateur, grossiste et détaillant d’horloges Européennes. Depuis le début, sa volonté est d’avoir sous sa responsabilité toutes les étapes de la vie d’un garde-temps, de sa fabrication à son entretien en passant par sa vente. Sa boutique ayant un franc succès, les bénéfices qu’elle génère lui permettent de racheter des locaux et d’ouvrir en 1892 sa propre usine de fabrication d’horloges qui seront vendues aux côtés des autres horloges importées dans sa boutique. C’est la naissance de Seikosha.
Initialement spécialisée dans la fabrication d’horloges, Seikosha se met ensuite à fabriquer des réveils, puis des montres de poches. À partir de 1913, Seikosha commence également à produire des montres bracelets.
Lorsque Kintaro Hattori décède en 1934, se sont ses deux fils Genzo et Shoji qui reprennent le flambeau. Ils prendront une décision très importante lors de leur arrivée à la tête de l’empire familial: séparer la fabrication de montres bracelets de celle des réveils et des horloges.
Daini Seikosha
En 1937 est inauguré dans le quartier de Kameido l’usine «Daini Seikosha Kameido», littéralement “la deuxième Seikosha de Kameido”. Les horloges et réveils sont toujours produits par Seikosha et les montres bracelets sont fabriquées par Daini Seikosha.
Avec l’entrée en guerre des Japonais contre les Américains lors de la Seconde Guerre Mondiale, Tokyo est rasée par les bombes et Daini Seikosha n’échappe pas aux bombardements. Heureusement, les dirigeants du groupe avaient senti venir le danger. La quasi-totalité du personnel et du matériel est mis à l'abri au cœur des Alpes japonaises dans ce qui deviendra Suwa Seikosha.
Après la guerre, l’usine Daini Seikosha est reconstruite à Kameido et la production de montres reprend dès 1948. Cette usine fonctionnera durant 50 ans et fermera ses portes en 1998. Daini Seikosha changera de nom en 1983 pour devenir Seiko Instruments & Technology, puis en 1997 pour devenir Seiko Instruments Inc, ou SII ou SII pour les intimes. La majorité de la fabrication des pièces et des mouvements pour le marché Japonais est alors transférée dans le nord du Japon, à Morioka Seiko Instruments Inc., fondé en 1970. D’autres succursales sont ouvertes en Asie et au Brésil pour compléter l’offre de SII pour le marché international.
Aujourd’hui, SII (Seiko Instruments Inc.) est une des trois grandes entités du groupe Seiko, avec Seiko Holdings Corporation et Seiko Epson. Les montres fabriquées par SII et Seiko Epson sont commercialisées par Seiko Watch Corporation, une des branches de Seiko Holdings Corporation.
Pour compliquer un peu les choses, SII est depuis 2009 une branche de Seiko Holdings Corporation.
Les hauts faits de Daini Seikosha
Quelques créations sorties tout droit de Daini Seikosha ont marqué l’histoire de Seiko. On peut citer la Seiko Cronos, la naissance de King Seiko, la fameuse 44GS, la 45GS et son excellent calibre 45 décliné en version VFA et Astronomical Observatory Certified, les chronographes de poche des JO de 1964 dont les versions Hi Beat à rattrapante et ultra Hi Beat 360,000 alternances par heure, le fabuleux calibre 68 extra plat dont je vous ai déjà parlé dans cet article, l’excellent calibre 52, dernier calibre mécanique haut de gamme de Seiko avant le tsunami du quartz, puis ses évolutions modernes que sont les calibres 4S (ayant récemment évolué en 6L) puis le chronographe 6S. Enfin, il est impossible de ne pas citer le fameux calibre 9S de Grand Seiko dans toutes ses déclinaisons ainsi que le tourbillon Credor (basé sur le calibre 68), puisque c’est SII qui produit tous les mouvements des Grand Seiko et Credor mécaniques. Plus récemment, Grand Seiko a dévoilé son tourbillon à force constante dont il est question ici.
Boîtiers et cadrans sont fabriqués par Shokosha, un sous-traitant appartenant également au groupe Seiko.
L’identité de Daini Seikosha
Daini se distingue par une approche plus traditionnelle de l’horlogerie et plus particulièrement par sa maîtrise des hautes fréquences et des calibres ultra plats.
La 44GS de Daini est surtout connue pour son design mais son calibre 44 à remontage manuel est le meilleur calibre « low beat » (c’est à dire battant à 18,000 bph) que la marque ait produit, avec toute l’excellence de l’horlogerie classique mélangée au savoir-faire propre à Daini.
Bien que la Lord Marvel 36000 fut mise au point par Suwa, Daini a montré son expertise dans le domaine des hautes fréquences avec les chronographes de poche des JO de 1964 (dont certains battent à 36000 et même 360000 bph) ou le fameux calibre 45 Hi Beat à remontage manuel.
On peut également noter le calibre 19, seul mouvement Hi Beat pour femme au monde, qui équipe entre autre les 19GS dans sa version la plus haut de gamme. Les calibres modernes 9S8x Hi Beat et Hi Beat GMT en sont un autre exemple.
Les calibres ultra fins sont aussi une spécialité de la maison avec la Goldfeather sortie en 1960, la montre à seconde centrale la plus fine de son époque, puis le fameux calibre 68 toujours utilisé de nos jours chez Credor.
Les calibres mécaniques haut de gamme sont devenus la chasse gardée de SII, mais l’entreprise fait un grand écart entre ces mouvements et la fabrication à la chaîne de millions de mouvements quartz pour les différentes marques de Seiko ainsi que pour la distribution à d’autres marques.
De part sa longue implantation à Tokyo, les productions de Daini sont également très appréciées des collectionneurs Tokyoïtes !
Voici une excellente vidéo qui regroupe différentes productions de SII montrant leur quête vers les hautes fréquences.
Quelques noms associés à Daini
Shoichiro Komaki
Komaki san est un des grands noms derrière le succès de Seiko aux JO de 1964. Il a joué un rôle central dans la création des chronographes de poche qui ont permis à Seiko de décrocher le contrat. Il a également joué un rôle clé dans la participation de Daini aux concours de chronométrie Suisse et dans le développement des montres à quartz. Il était à la tête du pôle R&D de Daini durant cette période cruciale de l’histoire de la marque et a donc été un des moteurs de la réussite de Seiko dans ces moments décisifs.
Akira Ohira
C’est l’acteur central dans le retour de Seiko sur le devant de la scène avec les montres mécaniques haut de gamme dans les années 90. C’est le père du calibre 9S et lui qui a formé tous les horlogers qui travaillent sur les GS mécaniques maintenant. Bien qu’il ait dépassé l’age de la retraite, il travaille encore pour Seiko, en particulier pour la formation des horlogers chargés du SAV de Seiko dans le monde entier. Il fut également en charge de l’installation d’usines SII en Asie et au Brésil.
Il est surnommé « le dieu du réglage » par les connaisseurs et est clairement la figure centrale mais trop peu connue de Morioka.
Mamoru Sakurada
C’est le spécialiste du calibre 68 et longtemps le seul horloger abilité à toucher ces mouvements. La finesse des pièces et le fait qu’elles aient souvent été dans un premier temps gravé avec la plus grande délicatesse nécessite que la personne chargée de l’assemblage vérifie la planéité des ponts à la seule sensibilité de la pulpe de ses doigts, puis ajuste celle-ci d’une légère pression si cela s’avère nécessaire. Aujourd’hui à la retraite, il a transmi son savoir-faire à Katsuo Saito qui assure maintenant la relève.
Satoshi Hiraga et Tsutomu Ito
Satoshi Hiragana et Tsutomu Ito représentent la nouvelle garde des horlogers de SII. Rentrés chez Seiko à peu près au même moment (1989 et 1991), ils ont été tous les deux formés par Akira Ohira. Aujourd’hui, Satoshi Hiraga est entre autres en charge de l’assemblage du tourbillon calibre 6830 alors que Tsutomu Ito est responsable de l’assemblage des calibres 9S et il est particulièrement réputé pour l’ajustement des spiraux. Hiraga san est habitué à voyager à travers le monde pour participer à divers évènements et vous l’avez peut-être déjà croisé dans une soirée spéciale d’une des Seiko boutiques de France ou d’ailleurs.
Voici une vidéo absolument exceptionnelle, déterrée des tréfonds du YouTube Japonais. Vous pouvez y voir un jeune Ito san à l’établi avec son sensei Ohira San par-dessus son épaule qui lui transmet son savoir-faire légendaire. Les deux homme partagent aussi un repas et quelques bières avec Sakurada san. C’est une vraie émotion que de voir ces grands noms réunis, il y a 20 ans en arrière… Même sans comprendre le Japonais, ces images sont précieuses et le testament d’une grande époque à Morioka…
Suwa
En 1942, Hisao Yamasaki fonde dans la ville de Suwa, au cœur des Alpes Japonaises, la compagnie Daiwa Kogyo qui devient sous-traitant pour Daini Seikosha. L’année suivante, Daini et Daiwa Kogyo fusionnent et Daini envoie des employés et un maximum de machines loin de Tokyo, à l’abri des bombes qui pleuvent. C’est la création de Daini Seikosha Suwa, à ne pas confondre avec Daini Seikosha Kameido situé à Tokyo. En 1959, le nom change pour devenir tout simplement Suwa Seikosha après la fusion acquisition des deux entités.
Bien que Suwa fut fondée et construite grâce aux moyens et au personnel de Daini Seikosha, les deux entreprises sont bien deux entités totalement séparées, aussi bien d’un point de vue administratif que financier ou organisationnel .
À l’instar de Daini, Suwa fabrique ses propres montres qui sont commercialisées par K Hattori (futur Seiko Watch Corporation).
L’entreprise sera très fortement influencée par Tsuneya Nakamura qui terminera d’ailleurs sa carrière comme président.
Lors des JO de 1964, Suwa invente ni plus ni moins que l’imprimante éléctronique qui permet d’imprimer les résultats des épreuves chronométrées. Quelques années plus tard en 1968 sort l’EP-101 (pour Electronic Printer), qui donnera son nom à Epson, pour « son of Electronoic Printer ». En 1985, Suwa Seikosha prendra le nom de Seiko Epson.
Mais de nos jours, on peut noter que Seiko Epson possède deux marques de montres qui ne sont pas distribuées par Seiko Watch Corporation mais directement par eux: Trume et Orient.
Les hauts faits de Suwa
C’est à Suwa que l’on doit des innovations majeures pour Seiko comme le Magic Lever (système de remontage automatique), la première montre à quartz, le premier chronographe automatique au monde, l’invention des mouvements Kinetic et Spring Drive etc.
C’est évidemment aussi chez Suwa que l’on voit naître Grand Seiko et des familles emblématiques et très modernes de GS pour leur époque comme les 62GS automatiques ou la 61GS Hi Beat automatiques, concurrente de la 45GS Hi Beat manuelle de Daini. Les 56GS seront elles le début de l’industrialisation des montres avec des mouvements assemblés à la chaîne, montrant là aussi la modernité propre à Suwa.
Suwa s’est aussi distingué avec la création de toutes les premières plongeuses de Seiko, de la 62MAS à la Tuna quartz, sous la direction de Taro Tanaka.
Mais évidemment, Suwa s’est démarqué sur la scène mondiale en 1969 avec la commercialisation à quelques mois d’écart du premier chronographe automatique au monde et de la première montre à quartz au monde.
Aujourd’hui Seiko Epson se distingue par la fabrication des Seiko Astron GPS, des Grand Seiko et Credor à quartz et Spring Drive, et avec le fameux Micro Artist Studio. Tout comme SII, ils fabriquent aussi des mouvements quartz entrée de gamme par millions. À la différence de SII, Seiko Epson fabrique et poli la grande majorité de ses boitiers alors que SII travaille avec leur sous-traitant historique Hayashi Seiki Seizo.
L’identité de Suwa Seikosha
Si Daini représente une approche traditionnelle de l’horlogerie, Suwa incarne la modernité et l’innovation. Je pense qu’il n’est pas exagéré d’attribuer au moins en partie ces caractéristiques à Tsuneya Nakamura, figure centrale de Suwa.
Les Grand Seiko modernes sont une parfaite illustration de cette différence entre les deux maisons. Au-delà des mouvements mécaniques qui sont propres à SII Morioka et des Quartz et Spring Drive propres à Seiko Epson, le design des montres, les matériaux utilisés ou encore les cadrans que l’on retrouve aujourd’hui sur les GS de Shiojiri (ville proche de Suwa où sont fabriquées les GS 9F et 9R) montrent un approche plus moderne et novatrice, là où les modèles mécaniques de Morioka se veulent plus sobres et traditionnels dans leur approche de l’horlogerie. Ca n’est d’ailleurs que récemment avec les plongeuses Hi Beat SBGH255 et 257 de Morioka a produit des GS typées sport.
Quelques noms associés à Suwa
Tsuneya Nakamura
Son nom ayant déjà été cité plusieurs fois, vous vous doutiez sûrement qu’il allait apparaître ici. Nakamura faisait partie des employés de Daini à être envoyé à Suwa pendant la guerre. Il est l’inventeur du Magic Lever mais il dirigera aussi tous les projets essentiels de Suwa, de la création de Grand Seiko aux concours de chronométrie en passant par la création de la première montre à quartz au monde. Comme cela a été dit un peu plus tôt, il finira sa carrière comme président de Suwa Seikosha.
Kiyoko Nakayama
La seule femme dans l’histoire de la marque à avoir son nom cité quelques rares fois, Nakayama s’est distinguée par ses capacités en tant que régleuse. Elle fait partie des meilleurs horlogers de Suwa Seikosha et a participé aux concours de chronométrie en Suisse. Elle explique que son succès est dû à deux choses: elle ramenait des mouvements à la maison pour continuer à s’entraîner, et surtout elle ne transpire pas des mains, ce qui d’après elle est essentiel pour que les pièces assemblées ne s’oxydent pas. Après les concours de chronométrie, elle fit partie de l’équipe en charge d’assembler et de régler les 61GS VFA.
Tokuaki Miura
Miura san fait partie de ces noms inconnus de la plupart des amateurs de Seiko, et pourtant il fut un des acteurs essentiels de l’histoire de la marque. Designer chez Suwa Seikosha, diplômé de l’Université des Arts de Tokyo, c’est à lui que l’on doit le design de nombreux chronographes iconiques de la marque comme le fameux chronographe Pogue et les autres déclinaisons des 6139-600x, y compris la version Sunrise ou encore le chrono Panda et le Holy Grail. C’est aussi lui qui a créé le logo de Suwa surnommé en Japonais « le nombril ».
Yoshikazu Akahane
Yoshikazu Akahane est surtout connu pour être le cerveau derrière l’idée et la conception du Spring Drive. Il s’est écoulé environ 30 ans entre le moment où l’idée a germé dans sa tête et la commercialisation des premiers Spring Drives, qu’il ne verra malheureusement pas puisqu’il décédera juste avant. Cette petite révolution horlogère, ou la révolution silencieuse comme Seiko aime l’appeler, ne doit son existence qu’à la ténacité d’Akahane qui poursuivra ses recherches en dehors de ses heures de travail et malgré l’opposition de ses supérieurs.
Kenji Shiohara
À la fin des années 90, Shiohara fait partie des derniers horlogers de Seiko Epson a avoir été formé dans les années 70 et avec de vraies compétences en horlogerie mécanique. C’est lui qui est chargé de réparer la montre du président de l’entreprise, une montre mécanique Jean Lassale (unique marque Suisse appartenant à Seiko) de seulement 1,2mm d’épaisseur. En échange, il demande de pouvoir créer un petit atelier qui aura pour but de perpétrer le savoir-faire de Seiko dans la haute horlogerie et en particulier avec l’idée de faire des montres vraiment durables.
Il fonde le Micro Artist Studio et crée avec son équipe des montres mythiques comme les Credor Eichi, Sonnerie et Répétition Minute. Le MAS étant une émanation d’Epson, vous comprenez maintenant pourquoi ils ne proposent que du Spring Drive.
Yoshifusa Nakazawa
Nakazawa est le visage du Micro Artist Studio. Natif de Suwa, il rejoint la grande entreprise locale en 1979 et remporte en 1981 la médaille d’or au Olympiades des Métiers d’Atlanta dans la catégorie réparation de montres. Héritier de Shiohara, il est maintenant chargé de transmettre tout son savoir sur l’assemblage de ces pièces d’exceptions, en particulier de la Sonnerie, à la prochaine génération. Vous l’avez probablement aperçu dans les vidéos d’Hodinkee ou divers articles sur le Micro Artist Studio.
La rivalité
Seiko Watch Corp, chargée de formuler ses demandes à Suwa et Daini, a utilisé la séparation de ces deux entités pour mettre en place une forme de rivalité fraternelle, une saine émulation qui a permis de vraies évolutions et qui a poussé chaque entité à se dépasser systématiquement, rendant ainsi Seiko toujours plus compétitif et novateur. Bien que cette rivalité soit présentée ici sous forme de « duels », il faut bien voir qu’il s’agit de quelque chose de moins fixé que ça, plutôt d’une dynamique.
Cette rivalité est née dans les année 50 lorsque Suwa produit la Seiko Super.
Daini répond en 1955 avec la Unique, très semblable à la Super mais 0,3mm plus fine.
Suwa réplique en 1956 avec la Marvel, une des montres les plus importantes dans l’histoire de Seiko, marquant son entrée dans l’ère moderne. Son impact fut énorme, que ce soit par son succès commercial, son succès aux concours de chronométrie au Japon ou par les montres qu’elle inspira (Crown, Lord Marvel, Grand Seiko, Crown Chronograph…).
Voici quelques « duels » mémorables entre des montres produites par les deux rivaux.
Commençons avec un duo… de trois montres !
La Super est la première montre moderne que Seiko commercialise après la seconde guerre mondiale, en 1950.
En 1955, Daini répond avec la Unique, qui sera très vite éclipsée l’année par la Marvel de Suwa, une montre essentielle dans l’histoire de Seiko.
Un des duels cruciaux de la fin des années 50 est celui qui oppose la Cronos de Daini (1958) et la Crown de Suwa (1959). Les deux seront également déclinés en version « Special ». La Cronos est en fait la réponse de Daini à la Marvel de Suwa. La Crown, évolution de la Marvel, est elle la réponse à la Cronos.
La rivalité de la Cronos et de la Crown va évoluer avec leurs descendantes: les King Seiko (1961) et Grand Seiko (1960)
La deuxième génération de KS et GS continue la rivalité entre Daini et Suwa avec la King Seiko 49999 et la Grand Seiko 43999
Après 1966, Daini et Suwa se mettent tout deux à produire des Grand Seiko et la rivalité continue avec leurs modèles Hi Beat respectifs sortis en 1968: la 45GS manuelle de Daini et la 61GS automatique de Suwa.
Suwa et Daini produiront chacun leurs chronographes automatiques, avec la série 61 pour Suwa et la série 70 pour Daini.
Bien que ce soit Suwa qui ait commercialisé la toute première montre à quartz au monde, Daini était également dans la course. Les références de ces modèles montrent d’ailleurs bien la course entre les deux maisons. Pour la toute première génération de quartz, Suwa propose la 35SQ et Daini la 36SQ, puis les calibre 38 (Suwa) et 39 (Daini) pour la seconde génération. Ce seront les premiers quartz commercialisés de manière plus large.
Bien qu’il serait possible de continuer encore et encore sur les modèles qui incarnent le mieux la compétition entre ces deux entités, je vous propose de conclure sur deux Grand Seiko modernes qu’il serait évident de présenter ensemble pour imager la rivalité de ces deux maisons.
Les deux GS les plus emblématiques de cette concurrence fraternelle qui existe toujours depuis 70 ans sont la Snowflake de Seiko Epson (Suwa) et la Mont Iwate de SII (Daini).
Conclusion
Ce tour d’horizon devrait vous avoir donné une vue d’ensemble de la dynamique qui anime Suwa et Daini, ou Seiko Epson et Seiko Instrument Inc comme on les appelle aujourd’hui, ainsi qu’une idée des montres et des personnes qui incarnent le mieux ces deux entités à mon sens.
Comprendre la rivalité entre ces deux centres névralgiques de Seiko permet de mieux comprendre comment les montres sont faites et comment l’offre est compartimentée. Cette compréhension permet aussi de voir comment les deux manufactures se sont spécialisées avec le temps pour développer des caractéristiques assez spécifiques. Avec l’habitude, vous serez même en mesure de reconnaître d’où vient telle ou telle montre uniquement avec son design, les deux maisons ayant des identités propres qui se ressentent jusque dans les détails.
Mais l’histoire de Suwa et Daini ne se résume pas uniquement à une rivalité: en effet par le passé on a déjà vu à quelques rares occasion une collaboration entre Suwa et Daini, principalement avec les plongeuses des années 60/70 comme la 62MAS donc une partie des derniers modèles a été manufacturée chez Daini, comme ce fut le cas également pour la 6105-8000.
Au final, c’est Seiko Watch Corporation qui joue le rôle de chef d’orchestre et qui permet des synergies parfois nécessaires à ce que cette mécanique soit parfaitement huilée !
Vous savez donc maintenant exactement ce qui sépare et distingue Suwa et Daini et pourquoi les Grand Seiko modernes viennent de deux manufactures différentes, avec chacune leurs spécificités propres ! Ces deux maisons n’ont donc plus de secrets pour vous maintenant !
Un grand merci à Andrea Secco de @TheSeikoGuy ou www.theseikoguy.com pour la magnifique photo utilisée en miniature et en bannière et les quelques photos empruntées. Je vous conseille de mettre directement son excellent site dans vos favoris !
Un grand merci également à Anthony Kable @akable de www.plus9time.com pour l’utilisation de toutes les illustrations, images et photos puisées sur son fabuleux site que je recommande très chaudement à tous les anglophones !
Sources:
https://www.plus9time.com
https://www.theseikoguy.com
https://www.watch-wiki.net/index.php?title=Seiko_35
https://www.watch-wiki.net/index.php?title=Seiko_36
https://www.watch-wiki.net/index.php?title=Seiko_38
https://www.watch-wiki.net/index.php?title=Seiko_39
https://www.seikowatches.com/fr-fr/special/tokinowaza/nakazawa/interview/
https://quillandpad.com/2020/09/13/seikos-secret-specialist-haute-horlogerie-micro-artist-division-in-japan/
https://museum.seiko.co.jp/en/seiko_history/milestone/milestone_06/
http://seiko.aydinsaat.com/world/tokinowaza/ito/interview/
https://global.epson.com/company/corporate_history/timeline/
https://global.epson.com/IR/library/integrated2019/vision/
https://www.plus9time.com/blog/2017/3/30/japan-winter-2017-trip
https://watchvietnam.vn/kien-thuc/luoc-su-hang-seiko-mot-cuoc-hanh-trinh-vi-dai-chuong-6-bai-2-het-chuong.html
https://www.watchonista.com/articles/history/history-quartz-weekend-part-1-seiko-revolution
http://www.shizukuishi-watch.com/eng/intro.html
https://www.plus9time.com/seiko-case-back-information/
The Seiko Book
The History of the Seiko 5 Sports Speed -Timer - Ryugo Sadat
Seiko - A journey in Time
Rattraper et dépasser la Suisse - Pierre-Yves Donzé
12 faces of time - Elizabeth Doerr