Comment Seiko est entré dans le club très fermé du chronométrage sportif

Aéroport de Zagreb, Septembre 1962

Masatoshi Tohyama, responsable de la section recherche et développement de Seiko est à bord d’un vol qui doit l’emmener à Belgrade. Il est attendu par la commission technique du Comité Olympique pour présenter les chronographes que Seiko a développé en vue des Jeux Olympiques d’été de 1964 qui se dérouleront à Tokyo.
La pression est énorme et une responsabilité immense lui incombe. Il se souvient encore de comment toute cette histoire à commencé.

Masatoshi Tohyama

Masatoshi Tohyama

Au printemps 1960, son collègue Saburou Inoue (haut responsable de l’entreprise) est en déplacement à Zurich lorsqu’il reçoit un télégramme de son PDG, Shoji Hattori. «Tokyo accueillera les prochains JO. Comptons être chronométreurs officiels.».
Inoue-san envoie donc un collègue observer les JO de Rome en août 1960 car il doit gérer le mécontentement des nouveaux clients Américains quant au produits Japonais nouvellement importés. Il rentre finalement au Japon dépité par les retours clients, un directeur de boutique lui ayant même crié «Et vous osez appeler ça une montre?!».

Alors qu’il retrouve son bureau après ce voyage d’affaire difficile, Shoji Hattori, le PDG lui rend visite et lui demande de but-en-blanc «Alors, est-ce que vous êtes prêts?»
Comprenant qu’il voulait parler du projet pour les JO de 64, Inoue-san lui rétorque poliment que cela ne sera pas possible... «Et pourquoi pas? Vous avez quatre ans.» lui répond son PDG. «Désolé mais c’est impossible.»
Cela suffit à faire sortir Hattori de ses gonds. «Nos montres sont maintenant assez bonnes pour que le monde entier soit au courant ! Comment ça ‘c’est impossible’ ?! Je reviens dans une semaine et vous avez intérêt à être prêt !» puis il tourne les talons et s’en va...

Saburou Inoue

Saburou Inoue

Après l’humiliation subie aux Etats-Unis, Saburou Inoue sait que Seiko n’est pas prêt à assumer une telle tache. Il imagine déjà le déluge de plaintes qui pourraient s’abattre sur l’entreprise, voir même mettre en péril le bon déroulement de ces JO, les premiers à avoir lieu en Asie. Pire encore, c’est l’image du Japon qu’il craint de couvrir de honte en cas d’échec. La pression est trop grande et quatre années ne suffisent pas à un époque où les simulations par ordinateur n’existent pas et la recherche et le développement prennent énormément de temps. La tache semble d’autant plus insurmontable que contrairement à Longines ou Omega, Seiko n’a jamais produit de chronographe spécifiques à la chronométrie sportive...

Mais Shoji Hattori en est convaincu, Seiko chronomètrera les JO de Tokyo, il le faut. Il rend donc visite toutes les semaines à Saburou Inoue pour lui poser la question fatidique «Alors, est-ce que vous êtes prêt?» jusqu’à ce qu’il accepte finalement, à contre-coeur.

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Une voie grésillante se fait entendre dans les hauts-parleurs de l’avion: «Nous demandons à tous les voyageurs de bien vouloir descendre de l’avion le temps d’un ravitaillement. Vous pouvez laisser vos bagages à main à votre place.»

Masatoshi Tohyama hésite. Sa petite valise contient les 12 précieuses montres qu’il doit présenter au Comité Olympique, six chronos précis au 1/5ème de seconde et six chronos précis au 1/10ème de seconde. Le personnel de bord lui confirme qu’il peut laisser sa valise sur son siège et qu’il la retrouvera intacte après le ravitaillement. Mais horreur, lorsqu’il revient quelques minutes plus tard à sa place, la valise a disparu. Deux années entières de travail acharné de la part de centaines d’employés volatilisées en quelque secondes, tout comme la seule chance pour Seiko de chronométrer les Jeux Olympiques qui se tiendront dans son propre pays.

Alors que de grosses gouttes commencent à perler sur son front, il repense aux heures passées avec ses collègues.

Avant les JO de 1964, les chronométreurs étaient alignés sur la ligne d'arrivée et prenaient tous une mesure. Le temps officiel était calculé en faisant la moyenne des résultats obtenus. La précision des chronos Seiko permis de mettre fin à cette dr…

Avant les JO de 1964, les chronométreurs étaient alignés sur la ligne d'arrivée et prenaient tous une mesure. Le temps officiel était calculé en faisant la moyenne des résultats obtenus. La précision des chronos Seiko permis de mettre fin à cette drôle d'organisation.

Il repense à son ami ingénieur Shoichiro Komaki et à son robot déclencheur de chrono. Il l’avait utilisée pour montrer que les différences de mesure obtenues entre les différents chronométreurs d’une même épreuve n’étaient pas dues au facteur humain mais à la conception même des chronographes de l’époque. Il s’était rendu compte que même si un robot déclenchait simultanément plusieurs chronos, qu’ils soient Suisses ou Japonais, il existait une différence entre toutes les mesures, due au mécanisme de déclenchement.

Il repense à son autre ami ingénieur, Tatsuya Ishiwara, qui eut l’idée d’utiliser une came en forme de coeur pour le déclenchement et l’arrêt du chrono, supprimant ainsi les écarts de chronométrie observée entre différentes montres. Leur travail ingénieux et exemplaire avait permis, avec l’aide des dernières technologies, de créer des chronomètres d’une qualité et d’une précision exceptionnelles.

Il repense aussi aux équipes ayant travaillé d’arrache pied pour développer des chronos précis au 1/10ème et même au 1/100ème, avec des échappement galopant à 36,000 et 360,000 battements par heure. Depuis un an, les trois grandes usines de Seiko se partagent déjà le développement et la production d’énormes horloges, de chronographes à quartz, de chronographes à imprimante instantanée etc.

Mais heureusement, ces quelques minutes d’inattention à bord de l’avion n’auront couté aucun dommages à Masatoshi Tohyama et à sa maison mère, puisque sa valise sera très vite retrouvée sur le tarmac avec ses montres intactes. Plus de peur (sûrement une des plus grandes de sa vie !) que de mal. Il finira tranquillement son voyage jusqu’a Belgrade, cramponné à sa précieuse cargaison.

Extrait d’un catalogue de 1964

Extrait d’un catalogue de 1964

La veille du rendez-vous avec le Comité Olympique, le président de l’Association Japonaise des Fédérations d’Athlétisme demande à tester les montres amenées par Tohyama-san. Et là, un des six chronos aux 1/5ème montre un problème de synchronisation des aiguilles et le président de l’AJFA lui dit immédiatement que si cela se produisait demain, la réunion serait pliée en moins de temps qu’il faut pour le dire...
Tohyama-san prend donc la décision d’éliminer le chrono défectueux de sa sélection et, pour faire part égale, élimine également le chrono précis au 1/10ème dont le «tic-tac» est le plus faible. Il présentera donc dix montres au-lieu de douze au jury très exigeant qui l’attend quelques heures plus tard.

Mais les mésaventures de ce pauvre Tohyama-san ne s’arrêtent pas là...

Il apprend que ses montres passeront le lendemain entre les mains de deux experts chronométreurs réputés pour leur intransigeance, Messieurs Pain et Paulen (secrétaire et président de l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme) , ce dernier ayant la réputation de toujours avoir une chrono sur lui et de contester des mesures officielles quand celle-ci s’écartaient des siennes. Un sacré personnage...

Alors que notre ami ingénieur chez Seiko tente de dissimuler son stress, Monsieur Paulen commence son rituel lorsqu’il s’agit de tester un nouveau chronographe: il empoigne une montre dans chaque main et les déclenche instantanément. Après quelques secondes, il les arrête puis compare l’écart entre les deux. Il les relance ensuite avant de les arrêter au bout de quelques minutes et de comparer à nouveau. Il les laisse enfin tourner une heure et procède au dernier relevé.

Photo prise au Seiko Museum de Tokyo

Photo prise au Seiko Museum de Tokyo

Pendant ce temps, Tohyama-san présente au comité les différents modèles sur lesquels travaillent ses ingénieurs: chaque sport a droit à son modèle, que ce soit le hockey sur gazon et ses trois périodes de 35 minutes, le basketball et ses quatre quart-temps, l’aviron et son chrono qui permet de compter le nombre de coups de rame par minutes ou leur tout nouveaux chronographes à rattrapante.

Quand vient la fin de l’heure de test, Mr Paulen est sous le choc: l’écart entre les deux chronos qu’il tient est de moins de 0,1 secondes.
Tohyama-san explique donc le principe mis en oeuvre par son amis Ishiwara afin d’étancher la curiosité de Mr Paulen face à de telles montres, et celui-ci est conquis.

Le comité tranche et explique à Masatoshi Tohyama qu’ils ne donnent pas le titre de chronométreur officiel à Seiko car les Jeux sont organisés dans leur propre pays mais parce que leurs chronographes sont bien meilleurs que tous ceux qu’ils avaient vu.

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C’est ainsi que Masatoshi Tohyama permis de concrétiser le projet fou de Shoji Hattori et d’offrir à Seiko le titre de chronométreur officiel de Jeux Olympiques d’été à Tokyo.

Jesse Owens teste le chrono Seiko aux côtés de Shoji Hattori (gauche) et Reijiro Hattori (droite) lors d'un évènement à Tokyo en 1964 Credit: The Ohio State University Archives

Jesse Owens teste le chrono Seiko aux côtés de Shoji Hattori (gauche) et Reijiro Hattori (droite) lors d'un évènement à Tokyo en 1964
Credit: The Ohio State University Archives

Cet évènement marquant pour l’histoire de Seiko aura de nombreuses répercutions sur l’avenir de la manufacture. En effet, il s’agit du début de la très riche histoire de la chronométrie sportive pour Seiko, mais ce fut également l’occasion pour eux de sortir un grand nombre de montres d’excellente qualité, comme la première montre-bracelet avec chrono et roue à colonne du Japon, les fameux modèles mono-poussoirs Crown Chronograph (5717 et 5719) ou le graal des amateurs de chronos Seiko, le Count-Graph et son compteur de tours.

C’est également lors de cette compétition que Seiko sortit le Crystal Chronometer QC-951, qui fut utilisé pour les JO mais également des expéditions en Antarctique, pour la précision des trains à grande vitesse Japonais, des transports publiques ou pour différentes armées. Elle joua aussi un rôle clé dans le développement de la première montre à quartz commercialisée au monde, l’Astron 35SQ.

Credit: Seiko Museum

Credit: Seiko Museum

Enfin, c’est aussi pour les JO de 64 que Seiko mis au point une imprimante qui permettait d’imprimer instantanément les résultats des courses. Cette technologie fut remarqué par beaucoup et c’est de là qu’est née la marque Epson qui n’est qu’une des nombreuses divisions du groupe Seiko.

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Crédit: Seiko Museum

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