L'horlogerie Suisse a-t-elle perdu une bataille?

« Il y a dix ans, la concurrence des produits Japonais n’était pas prise au sérieux. Seuls quelques producteurs avisés s’inquiétaient déjà, notamment aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suisse. Mais le public haussait les épaules. Il “gobait” toutes les “histoires” des revendeurs; le Japonais copient, ils n’inventent rien, leur marchandise est de mauvaise qualité, etc. Depuis lors, cependant, devant les succès commerciaux de l’industrie Nippone - tant dans l’horlogerie que dans l’électronique, l’électro-ménager, la machine-outil ou l’optique - l’opinion publique prend conscience du défi Japonais. Longtemps endormi par les ragots, l’Occident se réveille, tout tremblotant. Ignorant hier la menace, il tent aujourd’hui de la parer. Nous n’examinerons ici qu’un volet du problème qui intéresse plus particulièrement les Suisses: l’horlogerie. »
— Journal de Genève du 19 Juin 1968

En poursuivant mes travaux de recherche sur Seiko, je suis tombé sur cet excellent article dans le Journal de Genève datant... du 19 Juin 1968 !! Et pourtant, en lisant cette introduction, on ne s'attendrait pas à un article qui remonte d'aussi loin !

https://www.letempsarchives.ch/page/JDG_1968_06_19/9/article/8102630/seiko

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Je dois bien dire que cet article dénote beaucoup dans la manière dont la presse Suisse a traité Seiko ces 50 dernières années, mais avec le recul et les données économiques/techniques/historiques à notre portée aujourd'hui, il est indéniable que l'auteur faisait ici preuve d'une très grande clairvoyance !

En effet, les années 60 ont été la décennie la plus marquante de l'histoire de Seiko avec la naissance de Grand Seiko, la victoire technique sur Omega et Longines pour chronométrer les JO de 1964 à Tokyo (pour ceux que ça intéresse, ça se passe par ici), une bataille acharnée avec Omega pour les Jeux Asiatiques de 1966 (article en cours d'écriture), la sortie de trois excellents calibres Hi-Beat en 1968 (manuel, auto et femme). 

Mais quelques mois avant la sortie de cet article, Seiko faisait surtout un tabac aux Concours de Chronométrie de Neuchatel et de Genève, un évènement décisif dans l'histoire de ces concours ayant débuté en 1872, puisqu'il s'arrêteront tout bonnement suite aux prouesses techniques des Japonais. En 1969, Seiko commercialise également les Grand Seiko VFA (pour Very Fine Adjusted), des montres avec une marche comprise entre +/- 2 secondes par jour ! Mais comme cela ne suffit pas, Seiko commercialise également en Mai 1969 le tout premier chronographe automatique au monde, puis quelques mois plus tard la toute première montre à quartz au monde.

"The rest is history" comme disent les anglophones, les années 70 seront le signe de la crise horlogère Suisse, surnommée à tort la crise du quartz. Mais il ne s'agira en fait que de ce que cet excellent article avait vu venir: la supériorité du modèle industriel Japonais sculpté par Seiko sur un modèle industriel Suisse dépassé. À ce sujet, lisez l'excellent article de Pierre-Yves Donzé si ça n'est pas encore fait !!

"Techniquement l'égal des Suisses", "à l'avant-garde sur le plan commercial", "les Suisses ont-il râté le coche?", l'auteur n'épargne pas les industriel Suisses mais son cri d'alerte n'a probablement jamais été entendu...

Aujourd'hui, le titre de cet article semble évident, il s'agit presque même d'une question rhétorique. Les années 60 et 70 ont été marquées par un ensemble de victoires Nippones dans le monde de l'horlogerie qui aura façonné l'histoire de celui-ci de manière indélébile.

Après presque un demi siècle, Seiko et Grand Seiko reviennent sur le devant de la scène avec la même ambition qu'ils ont affiché dans les années 60: tout faire pour battre les Suisses à leur propre jeu. Après des changements importants opérés ces dernières années aux Etats-Unis, ça va être maintenant vers l'Europe que va se tourner le géant Japonais... 

L'horlogerie Nippone remportera-t-elle à nouveau la prochaine bataille?

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