Mettons les choses au clair: c’est quoi le zaratsu?

Dans la bouche des Seikophiles revient souvent ce mot à la consonance tantôt exotique, tantôt Nietzschéenne. Il n’est pourtant pas question de zoroastrisme mais évidemment d’une technique de polissage du métal devenue synonyme de Grand Seiko. Mais qu’en est-il vraiment? D’où vient cette technique? Son nom? A quand remonte-t-elle? Quel est l’intérêt de ce polissage et qu’est-ce qu’il a de spécial? Bref qu’est-ce que c’est vraiment le zaratsu?

Un petit historique du zaratsu.

Comme d’habitude, le personnage à l’origine du fameux polissage zaratsu n’est autre que Taro Tanaka. Non pas que ce soit le fameux designer qui se soit essayé au polissage, mais cette technique n’est en fait que la conséquence de la Grammaire du Design. Cette philosophie du design si spécifique ne peut s’exprimer que grâce à un polissage exemplaire qui permettra de proposer des angles acérés et des surfaces au poli miroir irréprochable. Mais le zaratsu, de par ses reflets parfaits, permet également la création des jeux de lumière qui sont au cœur de la Grammaire du Design. Sans zaratsu, pas de Grammaire du Design et sans Grammaire du Design, pas de zaratsu.

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Le zaratsu n’est donc pas une fin en soi, mais simplement une conséquence de la philosophie du design insufflée par Taro Tanaka.

Le zaratsu a donc été développé sous l’impulsion de Taro Tanaka pour répondre aux besoins de la Grammaire du Design, en entente avec les ingénieurs de Daini Seikosha et Suwa Seikosha, les deux maisons historiques de la marque, et leurs sous-traitants fabricants de boitiers, dont Hayashi Seiki Seizo.

Le nom de zaratsu vient du nom des machines allemandes Sallaz que Seiko a utilisé et modifié pour créer leur technique de polissage. Il s’agissait de lapidaires qui étaient utilisés dans l’industrie horlogère Suisse à cette époque. Comme souvent dans la culture Japonaise, ils ont su prendre ce qui se faisait de meilleur pour l’adapter à leur façon et l’améliorer. On retrouve encore une fois l’état d’esprit insufflé par Shoji Hattori, le PDG de Seiko à l’époque, « rattraper et dépasser la Suisse ».


La première Grand Seiko a profiter de ce polissage Zaratsu est la 57GSS aka Grand Seiko Selfdater. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une montre qui incarne pleinement la Grammaire du Design ! C’est pour cela que bien qu’il s’agisse de la première montre à utiliser cette technique de polissage, elle ne met pas autant en valeur le zaratsu que la fameuse 44GS qui sortira quelques années plus tard et qui sera la plus pure incarnation de la Grammaire du Design.

Source: grandseikogs9club.com

Source: grandseikogs9club.com

On voit donc ici une idée importante du zaratsu, c’est que celui-ci est indissociable du design. Celui de la 44GS mettant clairement plus en avant cette technique que celui de la 57GSS.

Bon, mais venons-en aux faits:




C’est quoi le zaratsu?


Le zaratsu n’est qu’une des étapes du polissage du boîtier.Alors comment se passe le polissage?

La première étape pour permettre un résultat final parfait, c’est de forger le boitier à froid. Au lieu de former la boite avec du métal chaud et facilement malléable, celui-ci est forgé avec une pression très importante mais une température basse. Cela permet d’obtenir un métal plus dur, qui réagira donc mieux au polissage.

Source: Joe Kirk

Source: Joe Kirk

Le boîtier est ensuite poli de manière classique à l’aide de polisseuses et de disques feutres pour commencer à lui donner son brillant.

Source: seikowatches.com

Source: seikowatches.com

Vient ensuite la partie qui nous intéresse, celle du zaratsu à proprement parler. Le polisseur ou la polisseuse va appliquer le boîtier contre la partie plate du disque de polissage. Le but est de faire varier le grain du disque en allant jusqu’au plus fin, en adaptant le lubrifiant ou l’agent de polissage utilisé ainsi que la pression exercée contre la machine, tout en contrôlant que la température du boîtier n’augmente pas afin de ne pas modifier les propriétés du matériaux.

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Ensuite, le boîtier est légèrement avivé à l’aide d’une meule visiblement en coton pour révéler l’éclat donné par le zaratsu.

Source: seikowatches.com

Source: seikowatches.com

Enfin, pour terminer les parties satinées sont faites à la main, même à main levée pour être plus précis, avec un abrasif spécifique. Selon le design du boîtier, cela peut être fait contre un grand disque abrasif fixe, soit en utilisant un petit outil au bout duquel l’abrasif est fixé.

Source: Joe Kirk

Source: Joe Kirk

Source: watchonista.com

Source: watchonista.com


Le polissage du boîtier est donc quelque chose de très complexe qui nécessite une vingtaine d’étapes, dont le zaratsu n’est qu’une partie. Tout est évidemment fait à la main, que ce soit le zaratsu ou les autres étapes.

Source: Fratello Watches

Source: Fratello Watches

L’objectif est d’obtenir un poli miroir parfait, comparable dans l’idée au poli bloqué ou poli noir que l’on voit sur certaines pièces des mouvements de haute horlogerie Suisse. Le nom de poli noir vient du fait que si le polissage est absolument parfaitement plat, il renvoie toute la lumière dans une seule direction, ce qui fait que la pièce polie apparaît blanche ou noire selon l’angle de la lumière. Pour obtenir un poli noir, on frotte une pièce d’acier contre une plaque de zinc avec un agent polisseur (généralement de la diamantine). Pour le zaratsu, ça n’est pas le boîtier qui bouge mais le disque polisseur (dont la composition est gardée secrète par GS ! Certains semblent parler de zinc justement) contre lequel le boîtier sera délicatement appliqué. Le résultat final est très semblable entre ces deux techniques, les surfaces apparaissant tantôt noires tantôt blanches permettant des jeux de lumières fabuleux.

Qu’est-ce qui différencie le polissage zaratsu d’un polissage classique?


Il y a deux caractéristiques centrales dans le zaratsu.

La première, c’est que sur les surfaces planes, le reflet ne doit présenter aucune distorsion, c'est-à-dire que la surface agit comme un miroir parfait et non pas comme un miroir déformant.

Polissage classique

Polissage classique

Polissage zaratsu

Polissage zaratsu

La seconde est plus difficile à exprimer, mais je dirais que le reflet doit être en Haute Définition. Là où un bon polissage classique offre un reflet en 720p, le zaratsu propose un reflet en 4K. Cela se voit aussi bien sur les surfaces planes que les surfaces courbées.

Source: Joe Kirk

Source: Joe Kirk

Source: Joe Kirk

Source: Joe Kirk


Qu’est-ce qui rend le zaratsu aussi complexe?


Le zaratsu est une technique complexe qui demande des années de formation avant de pouvoir travailler sur des boîtiers Grand Seiko. Mais qu’est-ce qui rend cette technique aussi complexe?

Au-delà du toucher nécessaire et même de l’ouïe nécessaire (les maîtres polisseurs disent que c’est le son que fait le boîtier contre le lapidaire qui leur indique quand le résultat escompté est obtenu), la complexité du zaratsu réside en deux points.

Le premier est le design du boîtier. Certains designs seront plus simples avec moins d’angles et peu de surfaces polies. D’autres seront plus complexes avec parfois quatre surfaces qui doivent se rejoindre en un point unique, de large surfaces planes qui se transforment en surfaces courbées, des angles acérés entre deux surfaces polies etc.

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Source: gnktwatch.blogspot.com Appréciez la façon dont le satinage suit la courbe de la corne de cette SBGA103

Source: gnktwatch.blogspot.com
Appréciez la façon dont le satinage suit la courbe de la corne de cette SBGA103

Le second point qui peut rendre le zaratsu plus complexe est le matériau utilisé. Par exemple, le titane est notablement plus complexe à polir que l’acier. L’or étant beaucoup plus mou que l’acier, il est aussi plus long à polir si on veut obtenir un polissage sans distortion. Ces deux métaux mettent tout les deux 1,5x plus de temps à polir que l’acier. Pendant longtemps Grand Seiko n’utilisait pas le platine car ce métal est réputé pour être particulièrement difficile à polir car il est très mou et a tendance à se tacher de points noirs s’il est mal travaillé.

Source: A Blog to Watch

Source: A Blog to Watch

Source: A Blog to Watch

Source: A Blog to Watch

Il a fallu plus d’un an de travail à Kuroki Tomoshi pour adapter le zaratsu au platine pour la création du modèle Masterpiece SBGD001 (devenu SBGD201). Le platine prend 5 à 6 fois plus de temps à polir que l’acier !

Tomoshi san Source: Seikowatches.com

Tomoshi san
Source: Seikowatches.com

Le zaratsu est compliqué aussi car tout est fait à la main et il faut maintenir la symétrie parfaite des cornes et l’équilibre du design. Lorsqu’une surface est trop polie, cela change ses dimensions, ses interactions avec les autres surfaces et donc l’équilibre général et la symétrie avec les autres cornes.

Ces quelques informations permettent de comprendre deux autres points importants pour le zaratsu: d’une part, il y a zaratsu et zaratsu. En effet, selon le design et le matériau utilisé, un boîtier peut être relativement simple à travailler comme il peut être extrêmement complexe. Encore une fois, le zaratsu n’est qu’une technique au service d’un design, l’utilisation de la technique en elle-même variera selon les montres. Toutes les montres ne naissent donc pas égales et tous les zaratsu ne se valent pas tout à fait !

D’autre part, on voit que depuis les années 60, la technique a grandement évolué.

Comme cela a été évoqué, une des évolution majeure du zaratsu ces dernières années est l’adaptation de cette technique à divers matériaux comme le titane, l’or et le platine. L’autre évolution est la façon d’appliquer le zaratsu aux surfaces courbées pour s’assurer que le reflet ne soit pas déformé. C’est pour la série de montres Thin Dress, dont le design a été conçu par Kiyotaka Sakai en s’inspirant de la légèreté et des courbes élégantes des voiles de voiliers, que le zaratsu a évolué afin que le polissage de ces surfaces élégamment courbées de cette série de montres soit parfait bien qu’il n’y ait pas de surfaces planes.

Évidemment Grand Seiko n’utilise plus les machines Sallaz mais leurs propres machines développées et adaptées en interne.

Le zaratsu et le marketing


Bon, on ne peut pas parler de zaratsu sans évoquer le marketing. En effet, cette technique est beaucoup mise en avant dans la communication de la marque. La plupart des amateurs d’horlogerie qui ont entendu parler de GS ont également entendu parler de zaratsu, les deux étant devenus indissociables. Seiko utilise également de plus en plus cet argument.

Mais finalement, est-ce que le zaratsu ne serait pas qu’un simple argument marketing? Après tout, d’autres grandes maisons comme Rolex ou Vacheron Constantin utilisent aussi des lapidaires. Est-ce qu’une Seiko à 1500€ peut être polie comme une Grand Seiko à plus de 6000€?

Alors évidemment, le zaratsu est devenu un argument marketing, une des signatures de Grand Seiko. Mais comme on l’a vu, ça n’est pas juste de la poudre aux yeux, mais bien une technique spécifique qui découle d’une approche du design propre à la marque. Le zaratsu n’est pas que l’utilisation d’un lapidaire, c’est un technique complexe avec différentes étapes, différents grains, différents agents polisseurs. Mais surtout, comme cela a déjà été dit, il y a zaratsu et zaratsu. Il y a la qualité de polissage en lui même (pas de distorsion, reflet « 4K »), mais il y a aussi des designs plus ou moins complexes et des matériaux plus ou moins difficiles à travailler.

Comme souvent avec les Japonais, ils ont su prendre des techniques Européennes pour s’en imprégner, les modifier et les adapter à leur façon.

Quant au résultat final, qui reste quand même le plus important, je vous invite à comparer tous les points évoqués précédemment avec d’autres montres en main, vous vous rendrez compte que Grand Seiko n’a pas à rougir même face aux plus grands, que ce soit dans les marques industrielles ou même chez les plus grands indépendants !

Mais il est vrai que l’argument zaratsu est maintenant utilisé à un peu toutes les sauces, y compris sur des plongeuses Prospex par exemple. Alors qu'en est-il vraiment? Je pense que vous avez maintenant les informations nécessaires pour en juger: est-ce que le boîtier a été forgé à froid? Quelle est la complexité du design de la boîte? Y a t’il beaucoup de surfaces polies? Les angles sont-ils complexes? Y a t’il plusieurs surfaces qui se rejoignent en un seul point? Le reflet est-il sans distorsion ou légèrement déformé? Les arêtes sont-elles parfaitement nettes? Est-ce un reflet « 4K » ou très légèrement trouble? Bref, vous savez maintenant juger un polissage digne de ce nom ! Ne vous arrêtez pas à la simple dénomination de zaratsu mais jugez ce qu’il en est par vous même et souvenez-vous: il y a zaratsu et zaratsu !

Quelques incompréhensions au sujet du zaratsu


Il me semble intéressant de revenir sur certains détails qui ne sont parfois pas très bien compris au sujet du zaratsu.

Tout d’abord, on entend parfois que le polissage zaratsu est hérité du polissage des katana. Pourtant, la communication de Grand Seiko ne va pas dans ce sens. Je pense que cette idée vient de la gamme Ananta qui bénéficiait du polissage zaratsu et dont le design des boitiers était inspiré du design des katana.

Cependant, cette idée n’est pas complètement fausse puisque pour polir les katana, les maîtres polisseurs utilisent des pierres parfaitement plates de différents grains afin d’apporter un poli miroir parfait au tranchant de la lame. Mais comme nous l’avons vu, bien que l’idée générale soit semblable, le zaratsu vient de machines allemandes et non pas des forgerons de katana !

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L’autre point important à souligner concerne les index et les aiguilles. On lit souvent que ceux-ci sont également poli zaratsu, mais il n’en est rien ! Bien que le résultat soit également un reflet miroir parfait, les moyens pour y arriver sont très différents. En effet, ceux-ci sont diamantés et contrôlés à l’œil pour une découpe parfaite, puis rhodiés. Une finition striée (index) ou satinée (aiguilles) peut ensuite être appliqué à la main. On voit donc que le procédé n’a rien à voir même si les résultats sont identiques: des reflets miroir absolument parfaits ! Les différentes étapes sont bien visibles dans cette vidéo par exemple.

Enfin, on peut parler de l’exclusivité du zaratsu. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce polissage n’est pas exclusif à Grand Seiko. En effet, on retrouve cette technique basée sur l’utilisation des machines Sallaz chez d’autres marques japonaises comme la micro-marque Minase. D’autre part, Hayashi Seiki Seizo qui est un sous-traitant historique de Seiko Instruments et qui appartient en partie au groupe fabrique également des boitiers pour Citizen et Casio.

On peut également citer Kamil de Lapinist qui propose des restaurations de boîtiers de Seiko et GS vintage et qui a réussi à développer et maîtriser de manière très impressionnante sa propre version du zaratsu, sans avoir pour autant eu accès aux secrets bien gardés de la maison Japonaise !

Mais surtout, c’est bel et bien Grand Seiko qui a la légitimité historique de l’utilisation de cette technique puisque comme nous l’avons vu, c’est eux sous l’impulsion de Taro Tanaka, qui ont développé cette technique découlant naturellement de l’application de la Grammaire du Design.

Conclusion


Le zaratsu est une technique complexe intimement liée à la Grammaire du Design. Comme nous l’avons vu, le zaratsu et le design de la boite sont en fait indissociables. Le zaratsu permet de matérialiser concrètement un certain design et le design permet d’apprécier la maîtrise poussée que les artisans polisseurs ont de leur art.

Il s’apprécie aussi bien dans la qualité du reflet qu’il propose que dans la complexité de la géométrie qu’il sculpte. Il permet également la création des jeux de lumières qui sont au centre de la Grammaire du Design. Le zaratsu s’inclut donc dans une démarche globale qui n’est autre que l’essence même de Grand Seiko, ce qui explique que GS et le zaratsu soient finalement liés de manière indissociable: c’est bel et bien chez Grand Seiko que le zaratsu prend tout son sens et réciproquement, Grand Seiko ne peut pas exister sans le zaratsu.

J’espère que cet article vous aura plu et que grâce à lui, le zaratsu n’aura plus de secrets pour vous, que ce soit dans son origine, son application ou la façon de le juger et l’apprécier.



Si vous avez des questions, comme d’habitude n’hésitez pas à les poser dans les commentaires !


Quelques liens pour aller plus loin:

https://deployant.com/inside-seiko-p2-3-shiojiri-cold-forging-zaratsu-and-the-9f/

https://www.seikowatches.com/jp-ja/special/tokinowaza-since1881/kuroki/process/

https://www.watchuseek.com/threads/understanding-grand-seiko-part-3-case-manufacturing-and-zaratsu-finishing.4335490/

https://www.grand-seiko.com/us-en/special/dream9stories/vol9/1/

http://archive.horlogerie-suisse.com/articles/DavidChokron/Seiko/Seiko-qualite-horlogere-et-choc-des-cultures-15451311.html