SLGH002: la montre d'une nouvelle ère
Pour Grand Seiko, 2020 est une année clé puisque nous fêtons deux anniversaires: les 60 ans de Grand Seiko, et le 160ème anniversaire de la naissance de Kintaro Hattori, le fondateur de Seiko.
Comme le précise Shinji Hattori dans son dernier communiqué vidéo, 60 est un chiffre significatif dans l’horlogerie, mais il l’est encore plus dans la culture Japonaise. En effet, selon le zodiac Chinois, lorsque l’on fête son 60ème anniversaire, on se retrouve à nouveau sous le signe de sa naissance, d’où le symbole de la renaissance, la fin d’un cycle et le renouveau d’un autre, un nouveau départ en somme. Les Japonais appellent ça «kanreki».
Grand Seiko a donc fait plusieurs annonces matérialisant ce nouveau départ et je pense qu’une montre en particulier illustre la nouvelle dynamique qui anime Grand Seiko: il s’agit de la SLGH002
Le nouveau calibre 9SA5
Fait assez exceptionnel en lui-même pour être souligné, Grand Seiko sort un calibre exclusif et entièrement nouveau: la calibre Hi Beat 9SA5.
Ne vous laissez pas méprendre par le nom, il s’agit bel et bien d’une base totalement nouvelle, chose qui n’était pas arrivé à Shizukuishi depuis 1998 et la naissance du 9S sous l’égide d’Akira Ohira, ce qui montre bien l’importance que revêt cette annonce.
Grand Seiko a dores et déjà annoncé qu’il s’agissait d’un calibre qui servira de base à d’autres évolutions par la suite, comme le 9S a évolué lui en diverses version (manuelle, GMT, Hi Beat etc).
Alors, qu’apporte ce nouveau mouvement?
La première chose qui saute au yeux, c’est l’esthétique. Là où le 9S était bien fait mais quelque peu austère dans ses versions de base, le 9SA vient répondre à une critique bien souvent faite à Grand Seiko: visuellement, le mouvement n’est pas aussi sexy que le reste de la montre. Et cela se comprend aisément, les décorations des mouvements n’ont jamais fait partie de l’ADN de Grand Seiko et durant toutes ses premières années de production, le 9S était caché sous un fond plein. Il n’était donc pas fait pour en mettre plein les yeux, mais pour être robuste et précis.
Ici, on voit clairement que Grand Seiko a produit un mouvement visuellement très beau avec des ponts symétrique et un pont traversant pour le balancier, ce qu’on n’avait pas vu depuis la 45GS de 1968. Ici en plus, le pont est ajustable en hauteur. Mais je trouve également que ce nouveau mouvement a un air très Européen avec un rotor qui m’évoque Lange & Sohne ou encore ces ponts qui ne sont pas sans rappeler Omega. On sent clairement que la marque s’est tournée vers l’Occident et s’adapte à sa nouvelle cible et je trouve ça intelligemment fait.
Je ne vous cache pas que j’ai été quelque peu déçu, lors de l’annonce de ce mouvement, que les tolérances chronométriques n’aient pas évolué. Mais finalement le standard Grand Seiko reste le même, de la même manière qu’il resta globalement le même lors de la renaissance de la marque en 1998. Et quand on connait l’humilité de Grand Seiko de ce côté-là, on sait qu’on n’a pas de soucis à se faire.
On peut également comparer ça au 9F: Seiko sait faire des quartz d’une précision de +/- 5 secondes par an depuis 1978 et le 9F n’a pas essayé de faire mieux de ce côté là, mais il a permis de proposer plus de fiabilité, de durabilité, d’innovations etc.
Ici, je trouve finalement qu’on est dans une optique semblable: la précision reste toujours aussi excellente, mais ce calibre amène de nouveaux arguments qui ne peuvent pas laisser insensible toute personne qui s’intéresse à la mécanique horlogère.
Ces évolutions peuvent être résumées en quatre points:
- une plus grande réserve de marche
un tout nouvel échappement à double impulsion
un nouveau couple balancier spiral
un train de rouage horizontal
Pour rappel, l’autre mouvement Hi Beat de Grand Seiko, le désormais classique 9S8x, propose une réserve de marche de 55h. Ici, la réserve de marche passe à 80h, soit près de trois jours et demi, une prouesse pour un mouvement à 36000 alternances !
Ceci est rendu possible par l’utilisation de deux barillets et du nouvel échappement.
Ce nouvel échappement semble très intéressant car il offre un avantage essentiel en horlogerie: moins de frottements. Et qui dit moins de frottements dit moins d’usure et une plus grande réserve de marche.
Il s’agit donc d’un échappement à double impulsion, l’une directe et l’autre indirecte, qui transmet l’énergie de manière plus efficace. Je ne permettrai pas de commenter sur la ressemblance ou non avec le Co-Axial d’Omega sans avoir eu de plus amples informations par un horloger. Il reste cependant important de noter qu’il s’agit, à ma connaissance, du seul échappement à double impulsion au monde qui batte à 36000 alternances par heure.
Cependant, un ami Japonais qui écrit pour WatchMediaOnline, spécialiste de technique horlogère, s’est penché en détail sur ce mouvement et m’a confié l’avoir trouvé vraiment révolutionnaire et clairement supérieur au Co-Axial.
Edit: après plusieurs discussions avec des amis amateurs de technique, il semblerait que cet échappement soit très proche de l’échappement Robin (1791) qui a déjà été amélioré par Audemars Piguet dans les années 2000. Ici, Grand Seiko améliore encore ce système, ce qui permet de limiter encore plus les frottements et également d’en faire un mouvement à 36000 alternances.
En quelques sortes il s’agit du meilleur des deux mondes entre un échappement à détente (peu de frictions) et un échappement à ancre (sécurité). Quant au Co-Axial, ce nouveau mouvement Grand Seiko le surpasse sur deux points essentiels: moins de frottements (ce qui était l’atout principal du Co-Axial) et un fonctionnement global plus simple, avec moins de pièces.
Tout ceci confirme l’inspiration Helvétique de ce mouvement mais comme toujours avec les Japonais, ils ne se contentent pas de reprendre ce qui existe, mais il l’intègrent pour l’améliorer.
D’autres questions restent encore en suspens pour l’instant, mais ces quelques points laissent déjà entrevoir l’excellence incontestable de ce nouveau mouvement 9SA5 !
Pour aller avec ce nouvel échappement, Grand Seiko a également développé un nouveau couple balancier spiral, avec un balancier à vis (ou balancier à inertie variable), une technologie utilisée depuis longtemps en Suisse, et un courbe terminale sur le spiral. Il s’agit d’une courbe unique (et donc pas Breguet ou autre) et idéale, obtenue après plus de 80 000 simulations.
Le but de cette courbe est de faire en sorte que le spiral se déploie (ou «respire») de manière parfaitement concentrique, sans quoi son centre de gravité se déplace, ce qui nuit à sa régularité.
Le but des vis quant à elles est de régler les oscillations du balancier de manière précise sans toucher au spiral, à l’image d’une patineuse artistique qui va tendre ou plier ses bras pour tourner plus ou moins vite sur elle-même.
Enfin, le train de rouage a été posé à plat, ce qui permet un gain de 15% d’épaisseur pour ce nouveau mouvement, répondant donc ainsi à une autre critique commune faite à Grand Seiko: l’épaisseur de ses montres.
Voilà, vous pouvez souffler, la partie technique est terminée !
Globalement, ce qu’il faut retenir c’est que Grand Seiko, avec ce nouveau mouvement, montre clairement une attention toute particulière à la demande occidentale pour des mouvements plus beaux et plus fins, mais continue d’innover et de moderniser ses calibres, comme ils ont toujours su le faire depuis 1960. Après tout, Grand Seiko reste synonyme de l’excellence horlogère à la Japonaise !
Un nouveau design très intéressant
Il y a beaucoup de choses à dire sur ce nouveau design et il m’a fallu du temps pour digérer toutes les informations.
La chose que j’aime le plus, c’est qu’on retrouve un parfait mélange de clins d’oeil au passé et de modernité, tout en restant dans une montre classique...mais pas trop.
Comme vous le savez déjà, l’essence de Grand Seiko a toujours été de faire la montre parfaite, une montre pour la vie de tous les jours, pratique, précise et lisible, des valeurs somme toute très pragmatiques.
Et ici, la première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est la taille de l’aiguille des heures. Dès la première Grand Seiko de 1960, on retrouve une aiguille des heures plus large que celle des minutes afin d’augmenter la lisibilité. On retrouve également un relief au centre de l’aiguille, clin d’oeil élégant aux aiguilles dites «mountain» de la First.
Pour aller dans le sens de la lisibilité, on retrouve un autre détail ancré dans le design de GS: un index de 12h doublé.
Ces deux détails, omniprésents dans l’esthétique de GS, sont ici exagérés, ce qui déplaira peut être à certains mais donne à cette montre un look plus affirmé et moderne.
Le cadran propose un autre clin d’oeil au passé, celui-ci plus évident: le logo Special Dial situé à 6h. Cette étoile à huit branches sera familière des amateurs de vintage et signe l’utilisation d’or massif pour les index. On le retrouve sur de nombreuses pièces haut de gamme des années 60 et il a fait son retour récemment sur les sublimes SBGZ001 et 003.
Le seul point négatif à mes yeux est la mention «80 hours» sur le cadran qui me semble superflue et manque d’élégance.
La Grammaire du Design exige également d’avoir un lunette biseautée afin de proposer des jeux de lumières intéressants. Ici aussi, ce détail est poussé à l’extrême avec cet angle très prononcé entre la partie inclinée polie et la partie supérieure brossée. Cette différence de finition entre les deux surfaces vient augmenter le contraste, détail qui n’avait jamais été réalisé jusqu’à présent sur une production de Morioka.
Il s’agit là d’une entorse à la Grammaire du Design, mais l’esprit global du style GS est respecté puisqu’on a droit ici à des jeux de lumière encore plus dramatiques que sur les lunettes habituelles entièrement polies.
La couronne quant à elle est légèrement encastrée, comme le veut la Grammaire du Design, et d’une taille généreuse, ce qui rejoint la côté «pratique» et simple d’utilisation que doit revêtir une Grand Seiko.
La première GS moderne de série, la SBGR001, avait vu la taille de sa couronne augmentée lors de l’amélioration de ce modèle au début des années 2000 et la facilité de manipulation de la couronne est un critère non négligeable dans la facilité d’utilisation d’une montre. Le genre de détail qui a toute son importance sur une GS !
Un autre point important à relever sur la couronne est son emplacement. Un effort a été fait pour la situer plus près du poignet, parfaitement au milieu de la hauteur du boitier, afin d’abaisser le centre de gravité de la montre et la rendre plus agréable au poignet (un autre avantage du nouveau calibre).
La forme des cornes est très élégante et bien qu’elle me semble peut être moins complexe que la 44GS moderne, elle présente un large triangle poli à l’intérieure des cornes, une forme complexe à réaliser d’après les maîtres polisseurs de Grand Seiko car sans une parfaite symétrie, l’équilibre tout entier de la montre est perdu. On retrouve également ce large chanfrein poli qui parcours toute la carrure de la boite, une signature des Grand Seiko modernes. La façon dont ce chanfrein vient rejoindre une petite facette parfaitement polie n’est pas sans me rappeler la 62GS.
De profil, la montre est également plus galbée que d’habitude pour parfaitement venir épouser le poignet, là où les modèles habituels ont plutôt des cornes inclinées et une carrure droite.
On distingue ici aisément à la fois la courbure plus continue du nouveau boitier, mais aussi le gain en épaisseur qu’offre le nouveau mouvement, pour un profil beaucoup plus élégant et équilibré.
Dans l’ensemble, on reconnait qu’il s’agit d’une Grand Seiko au premier coup d’oeil, mais pourtant, il s’agit clairement d’un nouveau design plus osé, plus marqué et je trouve que c’est là que réside le tour de force de ce modèle: tout comme pour le mouvement, on voit clairement que Grand Seiko réinvente ses codes pour s’adapter à sa nouvelle cible. Là où certains diront que GS force le trait et perd en subtilités et nuances, je vois un effort de rester fidèle à son ADN tout en rendant le message plus clair et lisible pour les occidentaux, en y rajoutant une touche de modernité.
Et c’est en ça que je trouve cette montre particulièrement intéressante et réussie. Elle est le symbole de cette renaissance voulue pour Grand Seiko qui n’est plus une marque domestique mais bien une marque globale, qui sait s’adapter à la demande et au marché, en restant fièrement ancrée dans son histoire et ses traditions tout en se réinventant et en se modernisant.
Alors que la production du Shizukuishi Watch Studio de Morioka a toujours été classique, dans la tradition de Grand Seiko, celle du Shinshu Watch Studio de Shiojiri (à qui ont doit les modèles équipés de 9F et 9R) a toujours représenté la modernité et l’innovation. Il est intéressant de voir que cette fois-ci, les équipes de Shizukuishi nous proposent une nouvelle dynamique avec un design plus engagé et je pense que nous allons voir des choses magnifiques en provenance directe d’Iwate dans les prochaines années.
Je parlais en introduction de la symbolique de kanreki, ce retour de 60 ans en arrière pour se projeter dans les 60 prochaines années. Cette montre en est la parfaite incarnation pour Grand Seiko: comme il y a 60 ans, le lion Grand Seiko a sorti les griffes et vient défier les Suisses.