Le mystérieux mentor de Taro Tanaka
Un des noms les plus connus de l’histoire de Seiko est Taro Tanaka. Designer de légende, il a joué un rôle majeur dans l’évolution de Seiko et fut le moteur du succès planétaire de Seiko à la fin des années 60 et dans les années 70, lui qui fut le premier diplômé en design industriel embauché par Seiko en 1959.
Mais il faut savoir que Taro Tanaka avait un mentor, de 10 ans son ainé dans l’entreprise et chef de produit depuis 1950, qui a lui aussi eu une influence primordiale sur Seiko tout au long de sa carrière, de 1949 à la fin des années 80. Il s’agit de Ren Tanaka.
Ce nom ne vous dit surement rien, alors que son impact fut au moins aussi important que celui de Taro Tanaka.
J’ai pris connaissance de l’existence de cet acteur essentiel en lisant l’interview de Taro Tanaka publiée dans le livre «The History of Seiko 5 Sports Speed-Timer» par Sadao Ryugo mais internet était absolument silencieux à son sujet. C’est finalement dans le International Clock Communication que l’on retrouve à ma connaissance les seules informations sur ce monument de Seiko.
Je vous propose donc aujourd’hui de découvrir les plus grandes réalisations de celui qui fut le mentor de Taro Tanaka.
Au début des années 50, Ren Tanaka a développé et nommé le TimeGrapher, cet outil que connaissent tous les horlogers du monde. A l’époque, les Suisses utilisent un outil équivalent appelé Vibrographe. La machine de Ren Tanaka eu un grand succès international, pour devenir un des outils capitaux de tout horloger encore aujourd’hui.
Seulement un an après son arrivée chez K Hattori (aujourd’hui Seiko Group), Ren Tanaka devient chef de produit, supervisant les productions de Daini et Suwa dans cette décennie décisive où naîtra la rivalité aujourd’hui encore d’actualité entre ces deux maisons, rivalité dans laquelle il aura donc joué un rôle important. Fait important à souligner, c’est d’ailleurs lui qui est à l’origine des noms King Seiko et Grand Seiko, symboles essentiels de cette rivalité fraternelle.
60 ans après, son héritage est toujours d’actualité puisque comme vous le savez, Grand Seiko fête ses 60 ans cette année.
En 1961, il commercialise un produit qui peut sembler anecdotique mais qui finalement représente bien le côté visionnaire de son créateur: les Disney Time.
A cette époque, les montres sont des produits réservés en immense majorité aux adultes mais Ren Tanaka a l’idée de «planter la graine» de Seiko dans l’esprit des plus petits en faisant des montres pour eux. Il vise donc les enfants de 4 ou 5 ans et visite des écoles pour mieux comprendre les goûts des bambins. Il se rend ensuite à Los Angeles pour rencontrer Roy Disney, frère de Walt Disney et président de Walt Disney Productions, afin de négocier l’utilisation du nom et des personnages Disney les plus emblématiques.
Quand la télé couleur a fait son apparition au Japon en 1960, les gens furent marqués par les couleurs éclatantes. La priorité de Ren Tanaka fut donc d’aboutir au même rendu des couleurs sur le cadran des montres, qui doivent tout de même rester très abordables. La première génération de Disney Time sera équipée de cadrans en papier.
Les montres seront commercialisées en 1961, avec un gros travail sur le packaging pour plaire aux enfants, au prix de 1950¥ (l’équivalent de moins de 30€ aujourd’hui). Ce fut un succès immédiat dans les cours de récréation et la gamme Disney Time sa poursuivit jusque dans les années 80.
Cet exemple qui peut sembler anodin de prime abord montre bien que Ren Tanaka est un chef de produit avec une vision, quelqu’un qui arrive à sortir du cadre pour proposer des montres très intéressantes et faire de vraies avancées dans le marketing.
Mais un des faits d’armes les plus marquants de Ren Tanaka est sûrement d’avoir dessiné le logo de Seiko à la fin des années 50. C’est en effet lui qui a créé la typographie mythique de la marque encore aposée aujourd’hui sur les milliards de cadrans produits depuis 60 ans par la firme Tokyoïte et l’intégralité de leur communication. L’identité visuelle de la marque était pour ainsi dire inexistante à cette époque et c’est en voyant celle de l’American Airline qu’il se décida à créer un logo pour Seiko. C’est également lui qui a choisi, avec l’approbation de Shoji Hattori, le bleu typique de la marque à l’occasion des JO de Tokyo en 1964, ce qui vint compléter l’identité visuelle de Seiko.
Le logo et la couleur Seiko sont d’après Ren Tanaka lui-même deux de ses trois plus grands succès. Le troisième, et pas des moindres, est la création des Seiko 5.
Il faut comprendre qu’à cette époque, le fonctionnement de Seiko était très différent d’aujourd’hui. L’idée était de dire «comment peut-on vendre ce qu’on fabrique», ce qui explique que le service des ventes était hiérarchiquement au-dessus du service de planification de produit, au point qu’un directeur des ventes pouvait décider si un produit apparaît ou pas au catalogue sans en faire part aux designers ou aux chefs de produit. Mais Ren Tanaka a décidé de changer complètement l’état d’esprit de l’entreprise en inversant les choses: il fallait maintenant concevoir des produits qui se vendent, et donc mettre l’accent sur le marketing. Il s’est pris de passion pour le marketing et s’est mis a l’étudier en se plongeant dans les livres occidentaux, puisque le marketing n’était pas quelque chose de très développé à cette époque au Japon.
C’est de là qu’est née l’idée de la Seiko Five, commercialisée en 1963.
Le design fut confié à Taro Tanaka et «the rest is history» comme disent les anglophones. Le succès fut incroyable et a donné naissance à une gamme de montres absolument emblématique pour Seiko et fut un des déterminants essentiels du succès de Seiko dans les années 60 et 70.
Ce sujet à lui seul mérite très largement un article et je reviendrai donc dessus plus tard.
Tout comme avec Grand Seiko, tout comme avec l’identité visuelle de la marque, son héritage encore une fois s’est pérennisé jusqu’à aujourd’hui, avec la gamme Seiko 5 Sports renouvelée l’an dernier et qui reste encore un des grands succès commercial.
Un des autres évènements essentiels de l’histoire de Seiko dans les années 60 est leur participation aux JO de Tokyo de 1964 en tant que chronométreurs officiels, une histoire partiellement racontée dans l’article «Comment Seiko est rentré dans le club très fermé de la chronométrie sportive».
La fabrication des grandes horloges est la responsabilité de Seikosha Clock Factory, les chronographes et les instruments de mesure du temps pour la natation sont fabriqués par Daini Seikosha, les fameux chronographes à quartz Crystal Chronometer sont fabriqués par Suwa et les trois usines se partagent la production des chrono à imprimante. Et vous l’avez déjà deviné, le chef d’orchestre qui oeuvre dans l’ombre pour diriger tout cet effort pour faire rentrer la chronométrie sportive dans une nouvelle ère n’est autre que Ren Tanaka.
Son expérience dans la direction de tels projets l’amène à prendre la tête de l’équipe en charge des produits pour l’Exposition Internationale d’Osaka en 1970. Il dirigea également les équipes de Suwa et Daini pour le développement des solutions de chronométrie pour les Jeux d’Hiver de Sapporo en 1972, deux évènements importants dans l’histoire de Seiko pour assoir leurs succès des années 60 au lendemain du tournant historique du quartz.
Son côté visionnaire, son excellent leadership et ses nombreuses qualités en tant que chef de produits ont su convaincre Shoji Hattori, PDG de Seiko, pour lui confier des projets de plus en plus importants pour le groupe.
En 1976, Ren Tanaka organise la mise au point du Département Service Client, dont il met l’importance en valeur en insistant sur le fait qu’un SAV doit aussi être vu comme un Service Avant Vente, qui permet de consolider la réputation d’une marque et de rassurer le client, une autre preuve, s’il en fallait de sa compréhension du marché et du marketing.
Le fait de mettre en avant l’individu ne fait pas partie de la culture Japonaise et je pense que c’est ce qui explique le fait qu’aujourd’hui encore, beaucoup des noms des femmes et des hommes qui ont façonné l’histoire de Seiko restent aujourd’hui inconnus du grand public. J’ai été sidéré de découvrir le silence assourdissant qui entoure une personne aussi importante que Ren Tanaka. C’est un privilège de pouvoir mettre ce nom en lumière afin qu’il soit reconnu pour ses innovations et l’empreinte indélébile qu’il aura laissé dans l’histoire de Seiko.