Le Japon et la chronométrie - partie 1

La décennie 1960 est considérée comme l’âge d’or de Seiko et elle pourrait faire l’objet de nombreux livres à elle seule. Cette période peut être résumée par le mot d’ordre donné par Shoji Hattori aux employés de la marque: il faut rattraper et dépasser la Suisse. Les amateurs les plus piqués du virus reconnaîtront les mots qui ont donné le titre du livre de référence de Pierre-Yves Donzé.

Je résumerais la stratégie de Seiko à cette époque en quelques mots: faire des produits de qualité et le faire savoir. Cela illustre la volonté de Seiko à la fois d’améliorer la qualité de sa production de manière dramatique, mais aussi de faire connaître la qualité de ces produits à travers différentes stratégies de communication.

On commence donc à comprendre l’importance que revêtent la participation aux événements sportifs (surtout les JO de Tokyo en 1964) ou encore aux diverses expéditions scientifiques ou d’exploration, mais également la quête de la précision absolue qui a amené Seiko façonner le paysage horloger japonais avec la norme chronomètre, à participer aux concours de chronométrie en Suisse, à faire certifier des montres par l’observatoire astronomique de Neuchâtel, et enfin évidemment à créer et commercialiser la première montre à quartz au monde. La chronométrie sportive - plus particulièrement les Jeux Olympiques de Tokyo - et la quête de la précision sont deux axes essentiels pour comprendre l’histoire de Seiko dans cette décennie fascinante.

Aujourd'hui je vous propose une série de deux articles qui tournent autour d'un seul mot: le chronomètre.

L’usage aurait voulu que je fasse un rappel ici de ce qu’est un chronomètre, mais c’est la problématique même de ce premier article. Je rappellerai donc qu’il n’est pas à confondre avec le chronographe dont le but est de mesurer des durées courtes (ce bon vieux “chrono”).

Mais pourquoi parler de chronomètre me direz-vous?

D’une part car, comme je l’ai dit, l’histoire que je vais vous présenter est un des axes centraux du développement de la marque des années 50 aux années 70. D’autre part parce que Benoît (il se reconnaitra) a eu le malheur de me demander si le Japanese Chronometer Inspection Institute ou JCII existait toujours. Il n’en fallait pas plus pour me lancer dans une longue quête de recherche et de documentation sur l’histoire des chronomètres et surtout le lien avec Seiko et l’impact sur son histoire.

J’ai décidé de séparer le dossier en deux articles, un premier qui traite de la norme chronomètre en elle-même, son évolution et son adoption par l’industrie japonaise. Puis un deuxième qui traitera de l’impact que cela a eu sur Seiko, son offre commerciale, sa participation aux concours de chronométrie et la certification de montres par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.



Je vous souhaite une bonne lecture !


Quand on lit des articles sur l’histoire de KS et GS, on lit souvent que la CICC interdit les Japonais d’utiliser le terme chronomètre. Suite à ça, les Japonais créent le JCII et Seiko se remet à produire des chronomètres KS. Mais dès qu’on fait des recherches sur la JCII et le CICC, on ne trouve…rien… Alors qu’en est-il vraiment? Quelle est l’histoire du terme chronomètre, que sont ces organismes, comment sont-ils nés, qu’ont-ils fait et que sont-ils devenus? Existe-t-il vraiment un lien avec le COSC? Est-ce que les Suisses ont vraiment essayé de mettre des bâtons dans les roues des Japonais? 

Mais avant tout, c’est quoi un chronomètre? Ce terme regroupe aujourd’hui de nombreux objets horlogers. Au XIXème siècle, il existe des chronomètres de marine avec échappement à chaîne et fusée, utilisés pour la navigation en mer et dont la précision assurait la survie des marins. Au XIXème siècle, certaines montres à échappement à ancre méritent le nom de chronomètre. Puis il est évidemment question des concours de chronométrie et des observatoires astronomiques, et enfin du COSC, très connu aujourd’hui. C’est donc un sujet très vaste et nous nous en tiendrons aujourd’hui uniquement aux montres bracelet. 

Un chronomètre de marine Seiko de 1942 avec une dérive maximale de 0,1 s/j.


Entre 1900 et 1939 la congrès international de Paris, la Société Suisse de Chronométrie, le bureau Français des normalisations de l’horlogerie et la Fédération Horlogère donnent chacun des définitions du chronomètre en fonction de sa précision et de son type d’échappement, mais rien n’est mis en place pour faire appliquer cette mesure et surtout il n’existe pas d’uniformisation entre ces différentes sociétés savantes. Le besoin d’une définition internationale du terme se fait donc ressentir.

Lors du Congrès International de Chronométrie de Genève en Août 1949, il est décidé de créer la Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques (CICTOC, qui n’est pas l’ancêtre de TikTok bien évidemment). Le but est de se mettre d’accord sur la définition du terme à l’échelle internationale, et l’unification des méthodes de mesure.

Léopold Defossez vers 1955

Lors de l’assemblée générale de la Société Suisse de Chronométrie de Juin 1950, Léopold Defossez (auteur de Théorie Générale de l’Horlogerie) rapporte que la SSC devrait se charger de reprendre le problème et de constituer une commission chargée de définir le terme chronomètre et de le protéger. Peut-être que celui-ci n’était pas au courant de la création de la CICTOC. Celle-ci s’est pourtant réunie à Neuchâtel en décembre 49, à Lyon en mai 1950, puis plus tard à Strasbourg en mai 51.

Ce n’est que lors du Congrès International de Chronométrie du 8 Juin 1952 à Spiez, cette fois-ci sur recommandation du directeur de l’observatoire de Besançon, qu’il est donné une définition du terme “chronomètre”: il s’agit d’une montre de précision réglée dans différentes positions et températures et ayant reçu un certificat. La commission internationale autorise que ces certificats soient délivrés par les Bureaux Officiels de Bienne, La Chaux de Fonds, le Locle, Saint-Imier et le Sentier. Pour les concours de chronométrie et les réglages spéciaux, les observatoires de Neuchâtel et de Genève, ainsi que Besançon et Kew pour la France et l’Angleterre, sont en mesure de proposer des épreuves encore plus strictes. Ce sont les fameux Chronomètres d’Observatoire et les tout aussi fameux Concours de Chronométrie.

Il y a eu cependant une discussion importante car les critères des BO sont bien moins stricts que ceux des Observatoires Chronométriques et la CICTOC, n’ayant aucune volonté commerciale, souhaitait que seuls les Observatoires puissent délivrer ce titre, mais finalement c’est une approche un peu plus large qui fut choisie en laissant les BO délivrer ce titre, du moment qu’ils respectent les critères de la CICTOC.

Ces critères sont nombreux mais on ne retiendra ici que la marche moyenne qui doit se situer entre -1 et +10 secondes par jour en 1952.

En 1959, soit 10 ans après sa création, la CICTOC devient la Commission Internationale des Contrôles Chronométriques ou CICC, à l’occasion du 6ème Congrès International de Chronométrie à Munich. A l’origine, elle réunit les Sociétés Suisse, Allemande et Française de Chronométrie, puis la Société Italienne de Chronométrie rejoint la Commission en mai 1962. Étant l’évolution de la CICTOC (elle-même une émanation de Congrès International de Chronométrie), la CICC autorise un certain nombre d'organismes à délivrer le terme de chronomètre. Il s’agit donc à cette époque des observatoires de Neuchâtel et de Genève, du Laboratoire Suisse de Recherche Horlogère, des Associations des Bureaux Officiels de Contrôle de la marche des montres, de la Société Suisse de Chronométrie, puis des Sociétés de Chronométrie d’Italie et de France. 

L’observatoire de Neuchâtel

Mais qu’en est-il du Japon?

Alors que l’industrie horlogère s’est bien développée avant la Seconde Guerre Mondiale, avec principalement la domination de K Hattori Co Ltd (Seiko), celle-ci est totalement chamboulée par la guerre puisqu’elle a dû se tourner vers l’armement, mais aussi évidemment à cause des bombardements, des morts etc… 

Les affaires reprennent péniblement dès 1945 mais l’horlogerie est au cœur du plan de relance économique du pays et l’exportation reprend dès 1947. En 1948, le gouvernement pousse à la création de la Japan Clock & Watch Association (JCWA) et du Japan Horological Institute. L’année suivante, c’est le Japan Industrial Standard (JIS) qui est créé par la Japanese Standards Association, l’équivalent de l’ISO mais à l’échelle du Japon. 

Les entreprises japonaises estiment alors que l’application des normes JIS suffisent à faire d’une montre un chronomètre, du moment que le Ministère de l’Industrie et du Commerce Extérieur ou MITI (pour Ministry of International Trade and Industry) estime que les manufactures concernées remplissent les conditions. Des concours de chronométrie sont d’ailleurs organisés par le Centre d’expérimentation mécanique du MITI tous les deux ans à partir de 1948 pour booster le développement de l’horlogerie après guerre, jusqu’en 1960, mais ceux-ci sont très largement dominés par Seiko. Par exemple, le concours de 1958 voit des Seiko Marvel rafler les 9 premières places. 

Le but de ces concours réservés aux entreprises japonaises est de développer leurs compétences afin de pouvoir rivaliser avec la qualité des montres suisses. Les critères sont donc calqués sur ceux des épreuves de l’Observatoire de Neuchâtel. Autre spécificité de ces concours Japonais, les montres testées sont des montres de série et non pas des montres développées spécifiquement pour les épreuves comme c’est le cas en Suisse.

Les concours cessent en 1960 lorsque le MITI considère, après avoir testé des montres suisses achetées chez des détaillants, que les montres japonaises ont la supériorité sur leurs équivalents étrangers.

Malgré des demandes à l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo, aucun organisme tiers n’accepte de tester les montres des différentes marques japonaises et le besoin de la création d’un organisme dédié commence à se faire sentir.

Alors que les concours japonais prennent fin en 1960, les équipes de Seiko sont animées par le mot d’ordre du président Shoji Hattori: il faut “rattraper et dépasser la Suisse”. Leur succès sur le marché Japonais et les comparaisons effectuées par le MITI avec leurs homologues suisses leur donne suffisamment de confiance pour aller jouer sur le terrain des Suisses. Ils participent donc au concours de chronométrie de l’observatoire de Neuchâtel en 1963 avec une horloge de table à quartz. Pour la première fois dans l’histoire du concours, une entreprise étrangère rentre dans le top 10.

Divers chronomètres à quartz ayant participé aux concours de Neuchâtel
Crédit: Anthony Kable - Plus9Time.com

A cette même période - et peut être suite à ce concours - le président de la CICC et ingénieur en chef d’Omega se retrouve avec un chronomètre Japonais entre les mains: une Grand Seiko First. Et bien que ces montres venaient avec leur certificat de marche, les Suisse n’en voient pas trop l’intérêt car les montres sont testées en interne, suite au refus de l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo. Ils ne nient pas les qualités des montres, au contraire, mais souhaitent faire appliquer le standard chronomètre tel qu’ils l’ont définit, et en particulier le fait que les montres doivent être testées par un organisme indépendant.

Après quelques difficultés diplomatiques, le Japon reçoit une invitation au Congrès International de Chronométrie via l’ambassade du Japon en Suisse, et l’Institut Japonais de Métrologie (dépendant du MITI) envoie Shozo Matsushiro, accompagné de Mr Murakami, chef du bureau de développement de machines-outils de Suwa Seikosha, au 7ème Congrès International de Chronométrie se tenant au Palais Beaulieu de Lausanne à l’occasion de l’Exposition Nationale Suisse de 1964, rassemblant 800 spécialistes d’une vingtaine de pays. L’évènement fête également le 40 anniversaire de la Société Suisse de Chronométrie.

Exposition Nationale Suisse de 1964

La veille, Shozo-san mange avec le président du CICC Mr Henri Gerber, directeur technique d’Omega, ainsi que Mr Harri également de chez Omega, avec sa délégation Japonaise composée entre autres de deux ingénieurs de Suwa Seikosha, H. Yasukawa, ingénieur-chef et Nariaki Murakami évoqué plus tôt. Avant ce dîner, les Japonais n’avaient aucune idée de ce qu’était le CICC !

Lors du congrès, des ingénieurs Japonais du l’Institute of Technology et de Suwa Seikosha donnent même des conférences sur le quartz.

Ce voyage permet à Shozo Matsushiro de prendre pleinement connaissance du fonctionnement de la CICC et des normes chronométriques internationales qu’elle défend. Son rôle est de ramener ces informations au Japon et d’en faire part aux manufactures en tant que membre d’une agence d'État. Suite à ce voyage en Suisse, il est encore plus déterminé à créer un organisme indépendant à même de certifier les montres japonaises afin de rejoindre la CICC.

Crédit: Special Dial www.specialdial.com

Son intention va totalement dans le sens des recommandations de la CICC. Celles-ci sont claires: ils ont prit connaissance du fait que les Japonais (Seiko et Citizen) produisent des chronomètres qui répondent aux exigences nécessaires, si ce n’est que ces montres sont testées en interne. La CICC leur communique alors tous les détails sur les fonctionnements des BO (Bureaux Officiels) et “recommande que soit créé au Japon un organe officiel indépendant des fabricants dont la tâche serait de contrôler les chronomètres au cours d’épreuves, telles qu’elles existent en Suisse, en France, en Allemagne et en Italie, afin que seules les montres ayant subi avec succès cet examen puissent porter le nom de chronomètre.”

Shozo-san ne semble d’ailleurs pas particulièrement impressionné par ce qu’il apprend des BO. Lui qui s’imaginait trouver des bâtiments impressionnants, il semble déçu que les BO ne soient en fait que quelques pièces dans des écoles d’horlogerie. En 1963, 200 000 chronomètres ont été testés en Suisse, dont 120 000 par le BO de Bienne (le plus important). Le rythme de 10 000 mouvements testés chaque mois lui semble énorme et nécessite une automatisation pour les 16 employés chargés de cette tâche. Il fait d’ailleurs mention de l’utilisation d’un ordinateur IBM.

Le Technicum de Bienne qui hébergeait l’école d’horlogerie et le BO de Bienne

L’ingénieur relève deux autres points intéressants: le but de ces certifications lui semble être simplement l’augmentation du prix des montres (contrairement aux chronomètres de marine qui assuraient la survie en mer des marins), et il critique que les mouvements soient testés avant emboîtage, sujet qui continuera à faire débat longtemps après, nous y reviendrons.

Suite à ce voyage, il devient clair que les diverses organisations et manufactures japonaises doivent s’entendre pour créer la structure nécessaire pour rejoindre la CICC.

Malheureusement le MITI refuse, d'une part car ses juristes estiment que le mot chronomètre fait partie du langage usuel, d’autre part en raison du coût élevé de l’opération.

En attendant, Seiko arrête d’utiliser le terme Chronometer pour ses montres à partir de 1966.

Crédit: The Tokei Club www.thetokeiclub.jp

Suite à l’arrêt temporaire de l’utilisation du terme chronomètre et à l’inaction du MITI, Seiko décide de mettre en place le standard Grand Seiko, supérieur aux normes en vigueur dans les Bureaux Officiels Suisses. Cette démarche s’inscrit dans une dynamique de performance chronométrique lancée dès les années 50 avec les concours de chronométrie japonais organisés par le MITI, puis avec les concours de chronométrie suisses. L’accumulation du savoir-faire industriel et technique permet à Grand Seiko de jouer le même jeu que Rolex et son Superlative Chronometer ou que le poinçon de Genève (pour sa partie chronométrie en tous cas) en créant un standard chronométrique plus stricte que celui de la CICC. Le but est clair: faire mieux que mieux !

En décembre 1968 et sous l’impulsion de Seiko, le Japanese Chronometer Inspection Institute (ou JCII) voit enfin le jour et sous-traite les épreuves de test à la Japan Clock & Watch Association (JCWA) dès 1969. En Septembre la JCII est présentée lors du Congrès International de Chronométrie de Paris et l’intégration du JCII au CICC est validée sous réserve d’une visite des installations du JCII à Tokyo et Suwa. 

Claude Attinger, physicien au Laboratoire Suisse de recherches horlogères, et André Donat, directeur du Cétéhor, le centre technique de l'industrie horlogère de Besançon, font le voyage au Japon en Avril 1970. A cette occasion, de nombreuses discussions ont lieu, dans le même esprit que celles des Congrès Internationaux de Chronométrie, pour comprendre comment les tests sont effectués, selon quelles modalités et avec quelles machines, toujours dans le but d’uniformiser les pratiques à l’échelle internationale. 

Pour la petite histoire, une des questions qui revient beaucoup est la température des tests. Pour faire simple, les montres sont testées dans le froid, à température ambiante, puis dans le chaud. Seulement le Japon teste ses montres l’été par 24°C, qui est considéré comme la température ambiante, alors qu’en Europe elles sont testées par 22°C. Si on regarde la norme ISO 3159 maintenant, les montres sont testées à 23°C avec une tolérance de +/- 1°C. Il s’agit sûrement d’un accord entre les Japonais et leurs homologues européens datant de cette période..

Entre le 1er avril 69 et le 31 mars 71, soit lors de ses deux premières années d’activité, le JCII teste plus de 225 000 montres. Entre le 1er avril et le 31 juin 1971, 40 000 montres sont testées avec une estimation de 120 000 montres pour cette année (pour les écoles et les entreprises japonaises, l’année commence le 1er avril et finit le 31 mars). Le taux de réussite pour l’année 69 est de 92% et passe même à 93% pour l’année 1970.

A titre de comparaison, selon l’Association des Bureaux Officiels, la Suisse un peu plus de 493 000 chronomètres pour l’année 1969 avec un taux de réussite de 91,5% (dont la moitié est testée à Bienne avec 92,3% de réussite).

Crédit: www.moonphase.fr

La majorité des chronomètres testés en Suisse à cette époque dans les BO étaient des Omega et des Rolex (en 1970 Rolex et Omega représentent  plus de 83% des chronomètres testés dans l’ensemble des BO), ce qui explique d’ailleurs pourquoi le bureau de Bienne était le plus actif. Cela tendrait à placer King Seiko en face de ceux deux marques légendaires, du moins pour ce qui concerne les qualités chronométriques, avec la précision de Rolex testait ensuite à nouveau ses montres en interne pour le “Superlative Chronometer”.


Il est intéressant de noter que tout le travail d’intégration des Japonais au CICC se fait dans un esprit de collaboration, le CICC n’ayant pas de but commercial et souhaitant juste faire respecter le terme de chronomètre à l’international, uniformiser les démarches et faire progresser la chronométrie dans son ensemble. Une démarche purement scientifique et aucunement commerciale. L’anglais est adopté comme troisième langue officielle avec le français et l’allemand, afin d’aider à l’intégration des Japonais et de leurs interprètes. Sans grandes surprises, les Japonais commencent tout de suite à demander à ce que les normes soient rendues plus strictes, en particulier pour tester des montres terminées et pas seulement des mouvements, et inclure la résistance au magnétisme, aux chocs et l’étanchéité aux critères testés pour la normes chronomètre, proposition appuyée par les Allemands mais rejetée par les Suisses et les Français.

Dès 1972, le président de la JCII commence à expliquer à la CICC l’importance de créer une catégorie à part pour les montres à quartz ainsi que d’augmenter les exigences de la norme Chronomètre. Malheureusement le comité refuse dans un premier temps de donner le nom de Chronomètre aux montres à quartz.

“Une précision de 0,0666 secondes par jour. Seiko Quartz a changé le sens du mot précision”

En 1974, le président de la JCII explique encore à la CICC que le Japon produit davantage de montres aux standards chronométriques supérieurs à la norme chronomètre (probablement majoritairement des Grand Seiko, possiblement des Citizen) et qu’entre le succès des montres mécaniques haut de gamme et de l’arrivée du quartz, le terme chronomètre perd de son attrait et il devient urgent de créer une norme supérieure (de type “Super Chronomètre”) ainsi qu’une norme propre aux montres à quartz. Il propose donc d’adopter la classification d’usage au Japon avec la classe AAAA pour les montres plus précises et A pour les moins précises, et propose qu’un chronomètre soit au moins AAA, mais le nom de chronomètre reste spécifique aux montres mécaniques.

Dès 1976, Seiko ne produit plus de chronomètres (King Seiko) et c’est cette année qui sonne la fin de la certification des montres mécaniques par le JCII. Mais le JCII continue de certifier des montres à quartz, avec d’importants soutiens de Suwa et Daini Seikosha, jusqu’en 1979, où le JCII cesse également de certifier les montres à quartz.

De 1974 à août 1979, le JCII certifie plus de 1 442 000 montres pour hommes de Seiko, Citizen et Ricoh, dont 29 000 de classe AAAA et 194 000 de classe AAA. Pour ces deux classes, les montres sont testées individuellement. Pour la classe AA, la certification est obtenue par échantillonnage. Cela représente 1 200 000 montres sur la période.

Catalogue Seiko de 1977 avec cette Seiko Quartz Superior. Le texte en haut précise que la montre est de classe AAAA.

En 1979, la responsabilité de la norme chronomètre est transférée à l’ISO, qui travaille de près avec le CICC et le JCII depuis 15 ans. En effet, l’ISO a fondé en 1964 un comité technique appelé ISO/TC114 horlogerie. Le cahier des charges est adopté en 1974 et la norme ISO 3159 voit le jour en 1976 et ne sera mise à jour qu’en 2009, bien que la définition de chronomètre donnée par Léopold Defossez en 1952 soit toujours utilisée par le COSC.

A la fin des années 70 et au début des années 80, alors que l’ISO a repris à sa charge la norme chronométrique, les travaux du CICC tournent principalement autour du quartz. En octobre 80 et 82, le CICC se réunit d’ailleurs par deux fois à Tokyo. En Octobre 83 les discussions commencent à tourner autour de l’avenir du CICC et le JCII annonce au CICC sa dissolution en décembre 1983. Il est tout de même demandé que toute communication future de la part du CICC soit faite à l’attention de la Japan Watch & Clock Association (qui sous-traitait les tests de la JCII).

Et le COSC dans tout ça?

Malgré la présence de la CICC, il existe une forte concurrence entre les BO, il est donc décidé au début des années 70 d’unifier le fonctionnement et le coût des BO, ce qui amène à la naissance du COSC en 1973. Comme l’explique très bien Pierre-Yves Donzé, “le COSC n’a pas la propriété des BO, mais est contractuellement lié à ces derniers: il leur confie le contrôle et l’authentification des chronomètres.” Aujourd’hui encore, le COSC certifie les chronomètres par l’intermédiaire de trois BO: ceux de Bienne, Le Locle et Saint-Imier.

Il n'est donc pas juste de considérer que la CICC soit devenue le COSC. La CICC a été créée par le Congrès International de Chronométrie pour définir et faire appliquer la norme chronomètre à l’international, en donnant des directives à ses membres que sont les différentes sociétés de chronométrie. Ça n'a jamais été le travail de la CICC de tester les montres, elle a par contre autorisé différents organismes à donner le nom de chronomètre aux montres qui respectent les critères qu’elle a édicté.

A l’inverse, le COSC est un organisme qui réunit à la fois des représentants des différents cantons horlogers et des représentants de l’industrie suisse. Comme l’explique Pierre-Yves Donzé, “Le COSC apparaît d’emblée comme une organisation mise sur pied afin de rassembler les principaux acteurs de l’industrie horlogère suisse autour d’une idée simple: gérer de manière commune le système d'authentification des chronomètres. [...] L’équilibre entre les collectivités publiques et les entreprises permet aux BO de poursuivre un service qui s'adresse à l’ensemble de l’industrie.” 

L’idée est d’unifier les différents BO qui souffraient de divers problèmes, dont une certaine concurrence inutile, des variations de prix dans la certification des montres selon les bureaux etc. De la même manière que la CICC s’assure du respect de la norme chronomètre à l’international, le COSC s’assure de l’unité dans le fonctionnement des Bureaux Officiels suisses. “La certification chronométrique de montres-bracelets à balancier spiral repose sur 7 critères imposés par la norme ISO 3159” comme le précise le COSC sur son site. Autrement dit, le COSC s’assure que les chronomètres respectent la norme ISO développée en partenariat avec la CICC dans les années 70.

Conclusion

La quête de la précision était un axe de développement majeur de beaucoup de marques horlogères après la guerre et malgré un démarrage un peu en retard des Japonais, Seiko a su revenir sur le devant de la scène dans les années 60. On présente souvent l’interdiction à Seiko d’utiliser le terme chronomètre comme une tentative de leur mettre des bâtons dans les roues, comme si les Suisses avaient eu peur des progrès de Seiko et essayaient de les combattre dès que possible.

Mais comme nous l’avons vu, cela n’a clairement pas été le cas. Au contraire, le but de la CICC était de faire progresser la chronométrie et l’horlogerie de manière générale, et l’arrivée des Japonais grâce à Seiko et la création du JCII a été très bien vue et facilitée par la CICC. 

Bien que cela n’ait pas aidé Seiko a développer son savoir-faire, cela ayant déjà été fait dans les années 50 et 60, l’intérêt a été principalement de faire savoir qu’ils pouvaient concurrencer et battre les Suisses. D’ailleurs il est intéressant de noter qu’initialement, Seiko avait souhaité faire certifier ses chronomètres en vue des JO de 1964, mais que les refus des autorités japonaises et les difficultés à mettre en place un organisme idoine prit plusieurs années, ce qui ne permit à Seiko de proposer des chronomètres officiellement certifiés qu’à partir de 1970. 


Mais entre-temps, Seiko n’a pas attendu les bras croisés. Comme nous allons le voir dans le prochain article, ils ont mis en place le standard Grand Seiko, plus strict que le standard chronomètre, ils ont participé aux concours de chronométrie suisses au point de causer leur fin à cause de leur supériorité, ils ont même fait certifier des montres par le prestigieux Observatoire Astronomique de Neuchâtel.

Cette quête de la précision a été couronnée de succès, que ce soit du point de vue technique ou du point de vue de la communication.

Mais revenir sur ces différents points permet également de comprendre à quel point Seiko dans son âge d’or produisait en grande quantité et à des prix plus abordables des montres de qualité équivalente aux suisses. Et c’est bien ça, et non pas le quartz, qui fut la cause de la crise horlogère qu’à traversé le Suisse dans les années 70 !

Dans le prochain article, nous verrons plus en détail comment le standard chronomètre a impacté la production et l’offre commerciale de Seiko, avec King Seiko, Grand Seiko, les concours de chronométrie et les montres certifiées par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.

Récapitulatif

C’est quoi le CIC, la CICTOC et la CICC?

CIC = Congrès International de Chronométrie

CICTOC = Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques, c’est une commission créée lors du CIC de 1949

CICC = Commission Internationale des Contrôles Chronométriques, c’est l’évolution de la CICTOC créée en 1959 pour unifier les contrôles chronométriques à l’échelle internationale

C’est quoi le JCII?

Japanese Chronometer Inspection Institute, créé en décembre 1968 sous l’impulsion de Seiko, c’est un organisme indépendant, membre de la CICC, qui permet aux entreprises japonaises de certifier leurs chronomètres. Elle a certifié des montres mécaniques jusqu’en 1976 et des quartz jusqu’en 1979. Il est dissous en décembre 1983, après seulement 15 ans d’existence et 7 ans de certification de montres mécaniques.

C’est quoi la JCWA?

La Japan Clock & Watch Association, créée en Avril 1948. Elle est chargée du développement de l’horlogerie japonaise sur le marché local et à l’international. C’est elle qui teste les montres pour le JCII de 1969 à 1976. L’association existe toujours.

https://www.jcwa.or.jp/en/index.html

C’est quoi l’Horological Institute of Japan?

Également fondé en 1948, l’Horological Institute of Japan est une société savante composée de chercheurs et de scientifiques issus du milieu universitaire et de l’industrie horlogère. Actuellement, deux des trois directeurs exécutifs font partie de Seiko
https://hij-n.com/english/

C’est quoi le COSC?

Le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres a été créé en 1973 et s’assure de la certification chronomètre au sein des Bureaux Officiels Suisses. C’est une association à but non lucratif qui regroupe des représentants des cantons horlogers (Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne et Soleur) et des représentants de l’industrie. Elle fait appliquer la norme ISO 3159.

D'autres organismes dans d’autres pays sont en mesure de délivrer ces certificats: l’observatoire de Besançon, le METAS de Berne, la fondation TIMELAB à Genève, la fondation Qualité Fleurier et l'observatoire Wempe à Glashütte.

C’est quoi ISO 3159?

C’est la norme internationale qui définit ce qu’est un chronomètre. Le site de l’ISO dit “L'ISO 3159:2009 établit la définition du terme «chronomètre» en décrivant les catégories, le programme des essais et les exigences minimales admises pour les chronomètres-bracelet.”

Cette norme a été mise au point dans les années 70 avec la collaboration de la CICC et du JCII, puis c’est finalement l’ISO qui a repris le rôle de la CICC en 1979. Sa commission technique dédiée à la chronométrie a été fondée dès 1964, il s’agit de la ISO/TC114.

Sources:

https://www.jcwa.or.jp/en/etc/history02.html

https://isozakitokeiblog.mods.jp/blog/2007/01/post_254.html

https://ja.wikipedia.org/wiki/%E3%82%AF%E3%83%AD%E3%83%8E%E3%83%A1%E3%83%BC%E3%82%BF%E3%83%BC

https://www.letempsarchives.ch/page/JDG_1964_06_05/2/article/7637967/%22congr%C3%A8s%20international%20de%20chronom%C3%A9trie%22

https://www.letempsarchives.ch/page/GDL_1964_06_09/3/article/2871508/%22congr%C3%A8s%20international%20de%20chronom%C3%A9trie%22

https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1950AFChr..20..439./0000441.000.html

https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1953PGenA..45..203T/0000004.000.html

Archives du Journal of the Horological Institute of Japan: https://www.jstage.jst.go.jp/browse/tokeieafj/-char/en 

Pierre-Yves Donzé: “Histoire sociale et économique de la chronométrie”

Précédent
Précédent

La famille Hattori

Suivant
Suivant

Les architectes de Grand Seiko: Shinichiro Kubo