La famille Hattori
Comprendre qui est qui dans la dynastie Hattori, c’est presque aussi compliqué que de connaître tous les personnages de Game of Thrones. Mais la comparaison ne s’arrête pas là car l’histoire des Hattori est, comme dans l’oeuvre de George R. R. Martin, aussi une histoire de guerre de succession. Bon OK, je rajoute peut être un petit peu trop de drama et le terme de guerre est peut-être un peu fort… Et puis il n’y a pas de dragons dans cette histoire il me semble !
Je vous propose aujourd’hui un résumé de l’histoire de la famille Hattori, depuis les parents du fameux Kintaro jusqu’à la génération actuelle, soit 5 générations qui s’étendent des années 1830 à aujourd’hui. Mais au-delà d’un simple arbre généalogique (que vous trouverez à la fin de cet article), je vous propose de voir un petit peu mieux quelles ont été les dynamiques de pouvoir au sein de la famille et comment celui-ci s’est transmis de générations en générations, avec les évolutions que cela représente, mais également pas mal de drama. Une petite touche de Dallas dans Game of Thrones en quelques sortes !
Les origines de Kintaro Hattori
Kintaro est le fils de Kisaburo Hattori et de son épouse Haruko. Il semblerait que Kisaburo soit né en 1828, on sait qu’il est originaire de Nagoya, d’une famille de samurai devenu de simples marchants. Il quitte Nagoya pour Edo (Tokyo) en 1848 à l’age de 20 ans où il devient antiquaire dans le quartier actuel de Ginza. Il n’est pas riche mais pas pauvre pour autant. Il meurt en 1887 à l’age de 59 ans. A ma connaissance, il n’existe pas de photo de lui.
La mère de Kintaro se prénomme Haruko (fille du printemps), elle est née en 1831 et a donné naissance à un fils unique: Kintaro. Nous n’en savons pas beaucoup plus sur sa vie jusqu’à la création de Seikosha en 1892. Elle jouera un rôle très important lorsque Kintaro crée sa première usine puisqu’elle sera en charge de superviser l’usine et plus particulièrement l’internat. En effet, Kintaro met en place un système de formation interne et sa mère, devenue veuve quelques années plus tôt, devient l’intendante. Elle supervise les clubs de baseball, de kendo, de sumo, de karuta (jeu de cartes traditionnel), elle prépare 3 ou 4 plats différents tous les soirs pour satisfaire les goûts de chacun et elle s’assure que tout le monde évolue dans un contexte le plus favorable possible et va jusqu’à s’occuper de leurs habits. Lorsqu’elle décède le 10 Avril 1915, son testament illustre le genre de personne qu’elle était: elle fait des dons conséquents à l’orphelinat de Tokyo (5000¥), à l’Institut de recherche contre le cancer (3000¥), à trois bourses scolaires de la ville (2000¥) et enfin, elle fait un don de 2000¥ à chaque employé de l’usine à laquelle elle a dédié 23 ans de sa longue vie. Pour comparaison, on estime qu’à cette période le salaire d’un instituteur était de 50¥ par mois. Converti à aujourd’hui, on peut estimer que 2000¥ de l’époque représentent environ 15000€.
Première génération: Kintaro et Man Hattori
La vie de Kintaro Hattori fera l’objet de ma première vidéo YouTube dans quelques temps, je ne rentrerai donc pas ici dans les détails.
On peut tout de même rappeler que Kintaro Hattori est né le 21 Novembre 1860 à Edo (Tokyo) et qu’il est mort le 1er Mars 1934 à Tokyo. Il repose aujourd’hui dans le caveau familial du cimetière de Tama, hérigé par son fils Genzo en Avril 1943, aux côtés de ses parents, de son épouse, et d’une partie de sa descendance, mais nous y reviendrons plus tard.
En 1885, il épouse Man Yamamoto qui lui donnera 15 enfants entre 1883 et 1907. Elle décède un peu plus d’un an après son mari, le 13 Mars 1935. Bien que je n’ai pas trouvé de photo individuelle d’elle, je suppose qu’on peut la voir aux côté de Kintaro Hattori sur cette photo présentée par Shinji Hattori en 2016 lors d’une présentation à Baselworld.
D’après Wikipedia, il aurait été marié deux fois mais la source citée étant un livre en Japonais indisponible en ligne, je ne peux pas confirmer cette information.
Deuxième génération
Je vous passe les détails sur les 15 enfants de Kintaro et Man, mais vous trouverez leurs noms et dates de naissance dans l’arbre généalogique complet au bas de l’article.
Ce qu’il est intéressant de noter ici, c’est surtout que cette génération marque le début de l’empire Hattori. Non seulement Kintaro a été un businessman de talent et un visionnaire, mais il a appliqué ce qui se faisait depuis des siècles: il a étendu son pouvoir en mariant ses enfants. Ses 11 filles ont toutes été mariées à des personnes de pouvoir et/ou influentes, que ce soit dans des domaines politiques, économiques, diplomatiques, médicaux ou médiatiques, la famille Hattori tisse des liens forts avec la haute société japonaise de l’époque.
Parmi ses quatre fils, un décèdera d’une maladie à l’âge de 5 ans. Ses trois autres fils deviendront évidemment les héritiers, mais comme vous vous en doutez, il y a un ordre et une tradition à respecter.
Genzo Hattori (9 Avril 1888 - 6 Février 1959) - Deuxième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)
Le fils ainé est Genzo. Né le 9 Avril 1888, la tradition veut que ce soit lui qui hérite de l’empire familial au décès de son père. Il épouse Eiko Ueno, née en 1899 et fille d’un grand diplomate et haut responsable de la maison Impériale. Premier héritier de la famille Hattori, il représente la tradition et sera le second président du groupe familial à la mort de son père. C’est à lui que l’on doit la création de Daini Seikosha (littéralement deuxième Seikosha). Il quitte ses fonctions en 1946, à la fin de la guerre, et c’est son frère Shôji, de 12 ans son cadet, qui devient le 3e président. Genzo aura trois garçons, Kentaro, Reijiro et Seizaburo. Il meurt le 6 Février 1959 à l’age de 70 ans. Il était un grand pratiquant de la cérémonie du thé et un amateur de tradition japonaise.
Shôji Hattori (20 Mai 1900 - 29 Juillet 1974) - Troisième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)
Le second fils de Kintaro est Shôji. De 12 ans le cadet de Genzo, il prend sa suite à partir de 1946 en tant que 3ème président du groupe familial. Bien que n’étant pas le premier héritier, il est considéré comme plus talentueux que son frère. C’est à lui que l’on doit la création de Suwa Seikosha pendant la guerre. Et tout comme Genzo, père de Daini, représente la tradition, Shôji, père de Suwa, représente la modernité. Vous remarquerez qu’ils ont laissé chacun leur trace comme fondateurs de ces deux entités du groupe, chacun à leur image.
Bien qu’il n’y ait pas de sources explicites à ce sujet, il semblerait qu’une première cission arrive dans la famille à cause d’une possible rivalité entre Genzo et Shôji, ce dernier n’étant pas enterré dans le caveau familial de Tokyo, mais à Kamakura, ville côtière au sud de Tokyo et ancienne capitale du Japon.
Shôji aura six enfants avec son épouse Tomoko, trois garçons et trois filles, mais c’est surtout son fils aîné Ichiro, né en 1932, qui jouera un rôle dans la succession. Ses fils auront tout de même tous un rôle au sein de Suwa Seikosha/Seiko Epson.
Takesaburo Hattori (1903 - ???)
Père de cinq enfants et professeur émérite de l’Université Impériale de Tokyo, il a hérité de parts du groupe familial et a siégé en tant que directeur et audit au conseil d’administration.
Troisième génération
Nous allons commencer avec les héritiers directs de Kintaro, les enfants de Genzo.
Kentaro Hattori (6 Avril 1919 - 1 Septembre 1987) - 4e président de Hattori Watch Co Ltd.
Le premier fils de Genzo (héritier direct, fils ainé du fils l’ainé) est Kentaro Hattori. Diplômé en économie de la préstigieuse Faculté de Keio à Tokyo en Décembre 1941. Il arrête alors ses études et prend un poste au sein de K Hattori Watch Shop (maintenant Seiko Holdings Inc) tout en s’engageant dans l’armée. En Février 1942 il rejoint le régiment d’artillerie lourde Yokosuka avec qui il restera jusqu’à la fin de la guerre, période à laquelle il est stationné à Ouroup, dans les îles Kouriles au nord du Japon.
Lorsqu’il rentre chez lui à Tokyo à la fin de la guerre, son état de fatigue physique et psychologique le pousse à quitter son poste dans l’entreprise familial pour se diriger vers des études d’histoire à Kyoto puis à Tokyo. Il présente sa thèse en janvier 1949 puis est diplômé au mois de mars. En raison d’un contexte social très tendu, il ne trouve pas de place de chercheur en institut et devient professeur en histoire de l’économie à Keio en 1950. Malgré un début de carrière prometteur, son rôle de premier héritier le rattrape et il stoppe sa carrière académique en 1952, alors qu’il a été nommé directeur de Daini Seikosha l’année précédente. Il fait carrière en même temps au sein de Seikosha, Daini Seikosha et Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) dont il sera le 4e président de 1974 à 1983.
Il épouse Keiko Nagata, la fille du président de la NHK (unique groupe audiovisuel public japonais) avec qui il aura trois fils, Junichi, Shinji et Hideo.
Il meurt d’un cancer du pancréas en Septembre 1987 à l’âge de 67 ans. Il repose dans le caveau familial auprès de son père et son grand-père au cimetière de Tama, à Tokyo.
Reijiro Hattori (11 Janvier 1921 - 22 Janvier 2013) - 5e président de Hattori Watch Co Ltd.
Le deuxième fils de Genzo est Reijiro Hattori. Egalement diplômé de Keio comme son frère Kentaro, il fait carrière au sein du groupe familial avant de prendre la place de son frère ainé en tant que 5e président de Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) en 1983.
Son frère Kentaro et son cousin Ichiro meurent en 1987 et il se retrouve comme patriarche de la famille et prend à lui seul les rênes du groupe Seiko. Il est destitué en 2010 suite à une grave affaire mais je reviendrai là-dessus un peu plus loin.
Sa femme Etsuko est la fille ainée de Reikichi Yokohama, directeur du géant japonais de la perle Mikimoto. Je ne sais pas s’ils ont eu des enfants ensemble mais ils adoptent Shinji, le fils de son frère ainé Kentaro, qui reste encore aujourd’hui très proche de sa tante et mère adoptive Etsuko.
Reijiro meurt en 2013 à l’age de 92 ans d’un arrêt cardiaque. Sa veuve Etsuko est aujourd’hui une des plus grandes actionnaires du groupe Seiko avec 8,7% hérités de son mari.
Seizaburo Hattori (29 Juin 1926 - 26 Juin 1992)
Le troisième fils de Genzo est Seizaburo. On retrouve peu d’informations sur lui, si ce n’est qu’il a été directeur de Sankyo Kigyo, la société de gestion d’actifs familiale, jusqu’à ce que des soucis de santé le pousse à prendre une retraite anticipée en 1977 où il déménage à Vienne, en Autriche avec sa femme violiniste Toyoko (proche de la famille impériale) et ses fils Joji et Koichiro.
Il est intéressant de noter qu’il s’agit du premier fils Hattori à quitter le giron de la famille et de ses guerres de pouvoir pour s’établir en Autriche où vivent toujours ses fils et où il est enterré, loin de sa famille.
Continuons maintenant avec les enfants de Shôji Hattori, qui a eu trois garçons et trois filles (et comme souvent, les filles se marient et on n’en entend plus parler, on ne retrouve facilement des traces que des garçons qui restent au pouvoir dans l’entreprise familiale).
Ichiro Hattori (1932 - 26 Mai 1987)
Ichiro semble être à l’image de son père, un homme brillant et un manager reconnu pour ses grandes qualités. Après avoir étudié le droit, il rejoint Daini Seikosha en 1954, en dessous de son grand cousin Kentaro, tout en continuant à se former à Zurich et à Yale. A son retour, il devient directeur de Daini Seikosha en 1961, à l’age de 29 ans, puis président en 1979. Il suit sur les trace de son père et prend la tête de Suwa Seikosha et devient le premier président de Seiko Epson en 1985, ainsi que de Seiko Electronics en 1983. Alors qu’il joue au golf au printemps 1987, il meurt subitement d’une crise cardiaque à l’age de 55 ans. Il repose à Kamakura, aux côtés de son père, et non pas dans le cimetière de Tama avec la branche “Genzo” de sa famille.
Tout comme son père, Ichiro Hattori était vu comme un excellent leader et jouait un rôle essentiel entre Daini et Suwa Seikosha, permettant un lien entre Suwa, dans les Alpes japonaises, et Ginza, le coeur de l’activité du groupe. Malheureusement il perd la vie à quelques mois d’intervalle de son cousin Kentaro. Etant tous les deux les ainés des fils Hattori Genzo et Shoji, Kentaro étant plutôt du coté de Daini et Ichiro du côté de Suwa (assurant ainsi l’équilibre entre les deux maisons et les deux branches de la famille), leur décès a pour conséquence de mettre tous les pouvoirs entre les mains de Reijiro Hattori, le frère de Kentaro, ce qui mènera Seiko vers une grave crise dont je parlerai un peu plus loin.
Petite anecdote au passage: Ichiro a eu une fille nommée Satoko, qui fut un temps présentie pour devenir la femme du futur Empereur Naruhito, ce qui montre les liens étroits de la famille Hattori avec la haute société Japonaise encore à la fin du XXe siècle !
Akira Hattori (1938 - 2017)
Le deuxième fils de Shôji Hattori s’appelle Akira. Tout comme son frère Ichiro, il fera carrière au sein de Seiko Epson, ne dépassant pas le stade de directeur.
Yasuo Hattori (1941 - 15 Mars 2019)
Tout comme son frère Akira, le troisième fils de Shôji fait carrière au sein de Seiko Epson où il devient président puis président d’honneur. Lorsque son frère et son cousin décèdent en 1987, son oncle Reijiro prend le poste de président de Seiko Epson alors que Yasuo est vice-président et ne peut équilibrer le pouvoir en restant à la tête d’Epson, où Reijiro (de 20 ans son ainé) sera toujours un échelon au-dessus de lui.
Il me semble intéressant de noter que dans les descendants de Shôji Hattori, seul son fils ainé faisait encore le pont entre Suwa et Ginza, mais après son décès en 1987, les fils de Shôji restent centrés sur Seiko Epson, alors que le reste des entreprises familiales se retrouvent entre les mains de Reijiro Hattori, dont le frère ainé est décédé et dont le petit frère a quitté le business familial 10 ans plus tôt.
Cette troisième génération marque donc un vrai tournant dans le jeu de passation de pouvoir au sein de la famille Hattori.
La séparation déjà commencée entre Genzo et Shôji se fait plus marquée, Ichiro tente de faire basculer Seiko vers les nouvelles technologies alors que Reijiro considère les usines (Seikosha pour les horloges, Daini et Suwa pour le reste) comme secondaires et considère les activités commerciales du groupes (et donc Hattori Clock Co Ltd, future Seiko Holdings) comme plus importante.
Pierre-Yves Donze, dans “Rattraper et dépasser la Suisse” (p382) explique la situation avec encore plus de clareté:
“Le retard relatif du groupe Hattori dans sa diversification s’explique par les débats passionnés que cette question soulève au sein de la famille Hattori, menant à des conflits entre les représentants de la troisième génération de patrons qui dirigent le groupe depuis 1974. Alors que les patrons de la seconde génération, Genzo puis Shôji, avaient poursuivi le modèle paternel d’une direction centralisée des activités, les nouveaux dirigeants du groupe opèrent une répartition entre eux des fonctions dirigeantes qui a pour effet d’aboutir à une gouvernance éclatée du groupe. Ces difficultés managériales résultent d’une rivalité entre cousins qui prend la forme d’un conflit entre défenseurs de la tradition et modernistes. Les premiers incarnés par les fils de Genzo, principalement Kentaro, puis, après son décès prématuré, par son frère Reijiro qui prend la direction (1974) puis la présidence (1984) de Hattori Watch Co Ltd. En gardiens de la tradition familiale, ces deux frères privilégient les activités horlogères du groupe. Face à eux, leur cousin Ichiro, fils de Shôji, de culture internationale, dirige les sociétés Epson, Suwa Seikosha et Seiko Instruments (Daini Seikosha). Il met en place la globalisation du système de production de Hattori Watch Co Ltd et supervise la délocalisation de la production en Asie. Favorable à une diversification accrue vers les nouvelles technologies, il oriente ces entreprises vers l’électronique. Ces conflits se poursuivent dans les années 2000 entre les représentants de la quatrième génération pour des raisons similaires.”
Quatrième génération
On pourrait penser que les choses se complexifient encore un peu avec la quatrième génération, mais ce n’est pas le cas. En tous cas pour ce qui est du rôle joué au sein du groupe familial, la quatrième génération est principalement composée des fils de Kentaro Hattori. En effet, du côté de la branche “Genzo”, il ne semble pas de Reijiro ait eu des enfants, Seizaburo est parti à Vienne, alors que du côté de la branche “Shôji” la femme et les filles d’Ichiro ont vendu leurs parts, on ne retrouve pas de traces de la descendance d’Akira et il semblerait que Yasuo ait fait hériter ses parts de Seiko Epson (probablement à sa fille) à sa mort mais qu’aucuns enfants ne soit impliqués. Mais d’un point de vue de l’implication dans la vie de l’entreprise, le passage de la troisième à la quatrième génération montre l’arrivée de cadres et directeurs extérieurs à la famille, avec tout de même Reijiro toujours présent comme patriarche.
Commençons avec les fils de Kentaro
Junichi Hattori (28 Avril 1951)
En toute logique, Junichi étant le fils ainé, du fils ainé, du fils ainé, c’est lui qui est sensé devenir l’héritier du trône. En bon descendant de Genzo et de Kentaro, il fait se armes chez Daini Seikosha, qui devient Seiko Electronics puis Seiko Instruments.
En 2006, alors qu’il est président et actionnaire principal de Seiko Instruments, il est démis de ses fonctions. C’est le premier gros clash public de la famille Hattori, et elle se passe au sein du “clan Genzo”. Pour Junichi, il s’agit d’un coup de son oncle Reijiro, président honoraire de Seiko Holdings et patriarche du groupe, de son frère Shinji, président de Seiko Watch Corp (partie horlogère du groupe) et de Masafumi Shimpo, directeur de Seiko Instruments. Il annonce porter plainte contre son frère et son oncle, et ceux-ci répondent en portant plainte pour calomnie et diffamation, l’accusant d’avoir mis en place des procédures comptables peu claires pendant son mandat. L’issue de ce gros clash reste inconnue à ma connaissance mais peu importe, les rivalités internes éclatent au grand jour.
Aujourd’hui Junichi est à la tête d’une holding dont les activités semblent se porter principalement sur la Mongolie et il ne semble plus avoir de lien avec l’entreprise familiale.
Shinji Hattori (1 Janvier 1953)
C’est peut être de nos jours le deuxième nom le plus connu après celui de Kintaro, puisque Shinji est aujourd’hui à la tête de Seiko Holdings Inc. Diplômé d’économie à l’Université Keio de Tokyo, comme son père et son grand-père, il commence par travailler chez Mitsubishi (les deux familles sont très proches), il travaille chez Seikosha (fabrique d’horloges), puis Seiko Precision, Seiko Watch Corp et Seiko Holdings. Il devient CEO et président du groupe familial en 2012.
En 2010, il se retrouve au coeur d’un deuxième clash public, cette fois-ci avec son oncle et père adoptif Reijiro. En effet, celui-ci régnant en maître sur le groupe familial, il propulse sa secrétaire au rang de directrice et les deux deviennent quasi tyranniques. Même les hauts gradés qui s’opposerait à l’ancienne secrétaire peuvent se retrouver à faire le ménage dans un entrepôt quelques jours plus tard ! Alors que le harcèlement bat son plein et que les chiffres de l’entreprise s’écroulent, les pressions des avocats et des syndicats poussent le conseil d’administration à renvoyer Reijiro et ses complices. Et la personne qui fait basculer la balance pour le vote n’est autre que Shinji Hattori.
A l’issue de cette histoire, que certains qualifient de “coup d’état” (bien que celui fut nécessaire), Reijiro est retiré de tout rôle actif et devient président honoraire, et c’est Shinji qui prend la tête du groupe familial. Reijiro meurt trois ans après et sa veuve Etsuko reste actionnaire majoritaire (8,7%), alors Shinji possède lui 5,5%. Etsuko et Shinji restent cependant très proches et certains disent qu’il la considère comme sa mère.
Le nom des Hattori sera une dernière fois terni par un procès d’une employée de Seiko aux Etats-Unis en 2015, qui portent plainte contre Etsuko Hattori, l’accusant de harcèlement et préjugés anti-japonais. Encore une fois, l’issue de ce procès n’est pas connue et cette fois-ci l’histoire n’est pas familiale, mais elle s’inscrit dans la continuité des difficultés rencontrées par la famille Hattori dans les années 2000 et 2010, et cette histoire de harcèlement n’est pas sans rappeler ce que l’ancienne secrétaire de Reijiro faisait subir à ses collaborateurs et collaboratrices.
Aujourd’hui Shinji Hattori est le seul membre de la famille avec un rôle aussi prépondérant, bien qu’il reste évidemment des actionnaires et des entreprises qui tournent évidemment toujours autour de la famille Hattori, comme son jeune frère Hideo.
Hideo Hattori
Jeune frère de Shinji, celui-ci semble beaucoup plus discret et les deux seules informations que l’on trouve à son sujet concernent son actionnariat dans le groupe familial (3,9%) et ses rôles de président de Morioka Seiko Industries et directeur de Seiko Watch Corp et Seiko Instruments Inc. On voit donc que malgré une apparente discrétion, celui-ci reste quand même un cadre très important du groupe.
Je passerai rapidement sur Reijiro qui n’a vraisemblablement pas eu d’enfants, ainsi que sur les enfants de Seizaburo.
Le fils ainé de Seizaburo s’appelle Koichiro et a fait carrière dans la musique. Il travaille maintenant en Suisse comme ingénieur du son indépendant.
Le deuxième fils de Seizaburo s’appelle Joji Hattori, c’est un violoniste de renom comme sa mère, et il est également propriétaire d’un restaurant japonais étoilé à Vienne.
Du côté du “clan Shôji”, on ne retrouve mentionnée que Satoko, la fille ainée d’Ichiro, née en 1964, passée à pas grand chose de devenir Impératrice du Japon comme évoqué un peu plus tôt. Elle est, entre autres, directrice du musée d’art Sunritz Hattori de Suwa, où sont entreposées de pièces de la collection d’art de son père Ichiro et de son grand-père Shôji. A priori, il semblerait que tous les Hattori du “clan Shôji” aient aujourd’hui vendu leurs parts.
On voit donc que les générations qui se sont éloignées de l’entreprise japonaise semblent s’être dirigé vers le monde de l’art, et c’est peut être là qu’on retrouve finalement le point commun à ces quatre générations d’Hattori !
Je précise évidemment que la famille Hattori est infiniment plus large et complexe que cela, mais d’une part la transmission de pouvoir ne se fait quasi-exclusivement qu’entre hommes (et oui, le Japon reste encore aujourd’hui un pays extrêmement sexiste), et d’autres part il est difficile voire impossible de trouver des informations sur les membres n’étant pas restés actifs dans le groupe familial. Et cela n’aurait de toutes façons pas un grand intérêt de vous en parler…
Si toutes fois vous souhaitez l’arbre le plus complet que j’ai pu faire, vous le trouverez ici. Il existe des arbres encore plus complets en japonais qui illustrent les liens de la famille Hattori avec d’autres grandes familles japonaise, mais là je vous avoue que je baisse les bras !
Bon, c’est bien beau, mais ça m’apporte quoi tout ça?
Alors clairement, pas grand chose ! Et oui, des heures et des heures de travail juste pour satisfaire ma curiosité intellectuelle… Mais on est d’accord que vous n’allez pas regarder votre montre différemment après ce long exposé un poil barbant !
Je pense que ce qui reste intéressant malgré tout, c’est de comprendre les dynamiques de pouvoir au sein de la famille Hattori. On voit que dès la deuxième génération, des tensions semblent exister mais restent très secrètes. On s’en rend compte principalement quand on constate que Shôji Hattori puis son fils décident de ne pas être inhumés avec leur famille à Tokyo mais de leur côté, à Kamakura.
On voit que les tensions continuent avec la troisième génération, dont ce que j’appelle le “clan Genzo” vont plutôt promouvoir la tradition familiale et les activités commerciales, et le “clan Shôji” qui prône la modernisation, l’ouverture sur l’international, les nouvelles technologies, et plutôt une activité de production. Finalement on comprend que Daini/Seiko Instruments soit vu comme “le fils ainé” alors que Suwa/Seiko Epson est plus vu comme le deuxième fils. On comprend mieux d’où vient la rivalité Suwa/Daini. Mais l’implication de certains membres (Shôji puis Ichiro) sur les deux entreprises explique aussi les synergies qui existent et ont existé par le passé.
Mais malgré cette position d’Epson comme étant un peu le second choix, l’implication forte du “clan Shôji” au sein de Seiko Epson a permis à cette entreprise de devenir bien plus importante financièrement que Seiko Holdings. En 2023, Seiko Epson a fait plus de 8 milliards d’euros de revenus contre un peu moins d’1,8 milliards d’euros pour Seiko Holdings. En terme de profits, cela représente 92,8 millions d’euros pour Seiko Holdings et 441,4 millions pour Seiko Epson.
L’affaire Reijiro Hattori
Comme évoqué plusieurs fois, à la mort de son frère et de son cousin en 1987, et avec son jeune frère parti en Autriche, Reijiro se retrouve à la place de patriarche et récupère toutes les responsabilités des différentes entreprises de la holding familiale.
C’est un moment charnière pour Seiko car cela cristallise les tensions et les rivalités familiales qui existaient déjà par le passé. Mais surtout, après une partage de pouvoir opéré par la deuxième génération, celui-ci se retrouve à nouveau concentré dans les mains d’une seule et unique personne.
En donnant énormément de pouvoir à sa secrétaire Noriko Unoura (qui passe de secrétaire de direction à directrice de Wako et directrice de Seiko Holdings) et en plaçant à des postes clé des gens qui lui étaient favorables, Reijiro a développé une emprise très importante sur le groupe. De nombreux articles japonais font part d’une négligence de Reijiro pour le coté manufacturier de l’entreprise, se concentrant sur la partie commerciale, sur la rénovation de Wako ou l’ouverture de boutiques luxueuses. Il semblerait que cette négligence ne date pas des années de Reijiro mais remonte plus loin. Dans tous les cas, il lui a été reproché de ne pas avoir suffisamment fait évoluer l’entreprise en particulier sur la partie fabrication.
Ceci explique peut être certains témoignages d’anciens employés qui relatent avoir eu des difficultés à faire avancer les choses dans les années 90/2000, alors que l’horlogerie mécanique revenait progressivement sur le devant de la scène.
Cela explique probablement aussi pourquoi Shinji Hattori n’a opéré la séparation de Seiko et Grand Seiko qu’en 2017. Avec le recul, on voit aujourd’hui que beaucoup des projets porteurs de GS ces dernières années ont vu le jour au début des années 2010, après le départ de Reijiro Hattori. De nombreux changements et de nombreuses restructurations ont eu lieu depuis, la stratégie ayant beaucoup plus évoluée ces 10 dernières années qu’entre 2000 et 2010.
On voit qu’aujourd’hui, un seul descendant de Kintaro est sur le devant de la scène et c’est Shinji. Les disputes de pouvoir ont écarté une partie de la famille, une autre s’est focalisée sur Epson avant de s’essouffler aussi. Et finalement de nombreuses personnes extérieures à la famille ont prit des postes clés qui étaient avant réservés aux Hattori.
L’entreprise reste donc toujours aux mains des Hattori, que ce soit d’un point de vue de la gestion de la holding ou au travers des actionnaires qui restent encore aujourd’hui (Etsuko, Shinji et Hideo Hattori, mais aussi Sanko Kigyo, la société de gestion d’actifs de la famille)), mais pour combien de temps? Est-ce qu’un cinquième génération va prendre la relève? Seul l’avenir nous le dira…
La maison Hattori
Je conclurai simplement sur une petite anecdote. En 2014, Seiko Holdings annonce la vente de la maison de Kintaro Hattori, construite en 1933 dans le quartier de Shirokane. Celle-ci est achetée par un groupe Singapourien qui annonce construire des résidences de luxe.
Celle-ci est finalement rachetée par un groupe de développement immobilier en 2023. La maison semble toujours intacte et seul l’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce monument unique de l’histoire moderne du Japon. Car au-delà d’avoir été la maison de Kintaro Hattori à la fin de sa vie, celle-ci a été réquisitionnée par les américains à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et il se raconte que la constitution du Japon a été rédigée entre ces murs.
A l’image de cette sublime demeure qui change de mains mais reste toujours aussi somptueuse, espérons que Seiko et Grand Seiko continuent de nous faire rêver peu importe l’implication de la famille Hattori dans l’entreprise familiale !