Du rififi à Bangkok: Seiko VS Omega
Non, nous ne sommes plus en pleine guerre du Pacifique mais le 14 Août 1965 et la Gazette de Lausanne titre un article plutôt belliqueux.
Fort de son brillant succès lors des Jeux Olympiques de Tokyo en Octobre 1964, Seiko est devenu en moins de cinq ans un chronométreur sportif de haut vol, ses produits révolutionnaires pour l’époque leur ayant permis de remporter ce prestigieux contrat face à ses rivaux Suisses, à la tête desquels se trouve la manufacture Biennoise, Omega. C’est ainsi qu’après le succès des JO, Seiko soumet son dossier de candidature pour être chronométreur des Jeux Asiatiques de 1966, dont la cinquième édition doit se tenir à Bangkok en Décembre de cette année.
Seiko propose de mettre gratuitement à disposition, en plus des solutions de chronométrie, trois tableaux d’affichage électroniques géants d’une valeur de 250 000 Francs Suisses, avec un montant total des installations s’élevant à 500 000 CHF.
Les comité préparatoire de Bangkok ne reste pas insensible à cette proposition de Seiko survenue fin 1964, après les Jeux de Tokyo. Mais comme le révèle la Gazette de Lausanne, Omega a signé avec le comité un contrat d’exclusivité le 27 Avril 1964.
«Nous avons mis au point un matériel supérieur, sous différents aspects, à celui que notre société à utilisé pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Nous serions heureux de l’utiliser pour une épreuve internationale.» Voilà les dires d’un porte-parole de Seiko que cet article du 14 Août 1965 rapporte.
Avec d’un côté la proposition alléchante de Seiko qui vient de battre Omega pour le chronométrage des Jeux de Tokyo et de l’autre côté un contrat signé avec Omega avant les JO de 64 et le succès de Seiko dans cette entreprise, le comité Thaïlandais ouvre une sous-commission chargée de trouver un compromis.
Mais Oméga refuse d’entrée de partager l’évènement avec Seiko, considérant que cette solution «présenterait un recul certain de son prestige sur les marchés d’Extrême Orient», et propose d’autres solutions au comité, avec le soutien de la Fédération Horlogère.
Cinq jours plus tard, le 19 Août 1965, la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève publient tout les deux un article expliquant qu’Omega a également proposé sa candidature pour les Jeux de Mexico en 1968 dès Avril 64, en même temps que pour Bangkok, alors que Seiko ne l’a fait que fin 64, après la réussite des JO de Tokyo et en même temps que leur candidature pour Bangkok.
Quelques jours plus tard, Omega apprend que le comité d’organisation des Jeux de Mexico a décidé de leur confier le chronométrage de leurs épreuves.
C’est dans ce contexte tendu que la Fédération Horlogère Suisse fait passer son message au travers des deux journaux les plus importants de la Suisse Romande:
Voici comment se conclue cet article à charge contre Seiko, survenant dans un contexte déjà électrique, qui sonne autant comme une attaque frontale et injustifiée de Seiko que comme une tentative de se rassurer sur la prétendue suprématie Suisse.
Il est toujours bon de rappeler que les propos tenus alors par la Fédération Horlogère sont totalement faux puisque comme cela a été raconté dans l’article « Comment Seiko est entré dans le club très fermé du chronométrage sportif», c’est bien la supériorité technique déployée par Seiko qui lui a valu le contrat de Tokyo 1964.
Le 30 Août 1965, L’impartial, journal de La Chaux-de-Fonds, consacre un article détaillé à la situation et nous apprend que l’histoire tourne à l’affaire diplomatique, puisque l’ambassadeur Thaïlandais en Suisse est convoqué au Département de politique fédérale après que le ministre des Affaires Étrangères Thaïlandais ait annoncé souhaiter donner la préférence à Seiko pour les Jeux Asiatiques. Quelques jours plus tard, c’est l’ambassadeur de Suisse à Bangkok qui est reçu par le Ministre des Affaires Étrangères pour lui présenter le contrat signé par Omega et l’informer qu’au besoin, la Suisse n’hésitera pas à faire appel à un tribunal d’arbitrage international.
Mais les organisateurs des 5èmes Jeux Asiatiques ont pris leur décision et «ont finalement accepté les offres de la maison Japonaise qui étaient de loin plus avantageuses» précise tout de même l’article.
Après la Fédération Horlogère, c’est cette fois-ci Omega qui adresse directement son message au travers de cet article, arguant que Seiko a obtenu ce contrat grâce à son influence économique dans l’Asie du Sud-Est et dénonce «les méthodes de dumping Japonaises», raison de la mise en jeu d’une instance d’arbitrage international.
L’article se conclut sur la critique des soit-disant «méthodes Japonaises plus que douteuses» alors que celui-ci s’ouvrait sur une offre Japonaise plus avantageuse.
Malgré les différentes invectives et menaces, un autre article dans l’Impartial publié en Décembre 1965 sur le combat horloger que se livre la Suisse et le Japon en Asie nous confirme qu’Omega a tout de même fait des contre-propositions en essayant de s’aligner sur l’offre de Seiko, mais visiblement sans succès.
Puis le 4 Mars 1966, la Gazette de Lausanne titre en gros, dans sa partie économique et financière, «Au profit d’une société horlogère Japonaise, Omega est privé du chronométrage des 5èmes Jeux de Bangkok» alors que le journal de Genève réserve un petit encart dans sa page de politique internationale avec le titre discret «Vème Jeux asiatiques de Bangkok, Le chronométrage unilatéralement retiré à une maison Suisse». L’Impartial titre en gros, dans sa chronique horlogère, «Grave éviction au profit du Japon» alors que L’Express annonce que «Le chronométrage des 5èmes Jeux Asiatiques de Bangkok est unilatéralement retiré à une maison Suisse par les organisateurs».
Les articles expliquent que le 2 Mars 1966, la décision finale d’attribuer les Jeux Asiatiques à Seiko a été prise par ses organisateurs... suite au refus d’Omega de partager le chronométrage avec Seiko !
Donc malgré les contre-propositions d’Omega et la proposition de partager l’évènement avec Seiko, malgré les menaces d’arbitrage international, ce sera bien Seiko qui sera en charge de déployer ses nouveautés technologiques et ses solutions de chronométrages pour les 5èmes Jeux Asiatiques, grâce à l’offre plus avantageuse dont il était déjà question plusieurs mois plus tôt.
Tout est prétexte à justifier la réaction d’Omega: Seiko joue la surenchère et le dumping, on fait appel à «l’esprit Olympique», on explique que le chronométrage des épreuves internationales est trop complexe pour être partagé, que le partage de l’évènement avec Seiko n’offre aucune «assurance technique» à Omega, on critique Seiko pour avoir mis la Thaïlande dans l’embarras et on va même jusqu’à dire que les considérations d’ordre technique, juridiques ou d’équité n’ont pas été prises en compte par les organisateurs !
La faute est rejetée aussi bien sur Seiko que sur les organisateurs, mais il n’est à aucun moment question de remettre en cause Omega et ses contre-propositions insuffisantes, qui visiblement ne permettent pas à la manufacture Biennoise de s’aligner avec les propositions de la manufacture Tokyoïte.
Les Jeux de Bangkok se dérouleront à merveille, avec deux modèles de montres bracelet vendues spécialement pour l’occasion avec le logo des Jeux gravé sur le fond de boîte, et de nombreux autres produits dérivés. Seiko restera chronométreur des Jeux Asiatiques jusqu’en 1994, chronométrant des dizaines d’autres grandes compétitions internationales.
Ce conflit qui aura vu s’affronter Seiko et Omega à la fin des années 60 est également une nouvelle occasion de voir comment la presse Suisse traitait les sujets horlogers touchant au Japon. Seuls les articles écrits par des personnes ayant vu de près l’organisation de l’industrie horlogère Japonaise mettent en garde sur les réelles menaces que représente la concurrence Nippone (comme c’est le cas dans l’article “L’horlogerie Suisse a t-elle perdue une bataille?”).
Au-delà du silence assourdissant sur les innovations Japonaises, le reste est constitué dans sa quasi totalité d’articles au mieux dénigrants, au pire faux sur Seiko et l’industrie Japonaise. Un autre exemple frappant de ce traitement médiatique biaisé est celui de la supposée affaire d’espionnage industriel qui verra à nouveau la Suisse tenter de mettre à mal l’industrie Japonaise au début des années 70, encore une fois sans succès... Mais c’est une histoire pour un autre jour !
Voici des extraits de publications internes à Seiko au sujet des Jeux Asiatiques de Bangkok. Une immense merci à Anthony Kable du site Plus9Time pour cette précieuse documentation !
Seiko Sales 11 et 12 de 1966 (faire défiler)
Journal interne de Suwa Seikosha, 1966
Journal interne de Suwa Seikosha, 1967 (faire défiler)