Shinshu vs Shizukuishi (Suwa vs Daini reloaded)
Il y a trois ans, je vous ai partagé un article intitulé Suwa vs Daini, revenant sur les deux grandes maisons de Grand Seiko, leurs histoires, leurs personnalités marquantes et leur rivalité fraternelle.
Si vous n’avez pas lu cet article, je vous invite à le faire, mais pour les cancres au fond de la classe qui ont la flemme de faire leurs devoirs, voici un petit résumé succinct.
Dans le coin bleu, Suwa Seikosha fondé en 1947, devenu Seiko Epson, a qui on doit la première Grand Seiko en 1960, fait aujourd’hui les GS Spring Drive et quartz au sein du Shinshu Watch Studio de Shiojiri, dans la préfecture de Nagano. A toujours représenté le côté innovateur, technologique, moderne et disruptif (pour reprendre un mot à la mode).
Dans le coin rouge, Daini Seikosha, fondé en 1937, devenu Seiko Instruments Inc, a qui ont doit la 44GS, fait aujourd’hui les GS mécaniques au sein du Grand Seiko Studio Shizukuishi à Morioka dans la préfecture d’Iwate. A toujours représenté la tradition horlogère mécanique du groupe. Fait partie de Seiko Instruments Inc (ou SII).
Pour ces deux studios, je précise qu’il s’agit d’une simplification, Suwa et Daini ne se résumaient pas à des usines et l’évolution de ces deux entités dans le temps est bien plus complexe que ça, mais pas besoin de se compliquer encore plus la tâche, on va rester sur cette version !
Pour rappel, Seiko Epson est indépendant du Seiko Holding Corporation, bien que chaque groupe possède des parts de l’autre et que la famille Hattori soit investie dans les deux. Seiko Instruments Inc (SII) et Seiko Watch Corporation font partie de Seiko Holding Corporation. Pour simplifier, Seiko Watch Corp commercialise les montres fabriquées par SII et par Seiko Epson, mais Seiko Epson ne fait pas partie de Seiko Holding Corp. Oui, je sais, c’est compliqué !
Aujourd’hui je vous invite à vous pencher un peu plus sur les différences qui existent entre les GS produites par Seiko Epson au sein du Shinshu Watch Studio, et celles produites par Seiko Instruments Inc au sein de Grand Seiko Studio Shizukuishi. Bien que ces montres soient commercialisées par la Seiko Watch Corporation au sein de la marque Grand Seiko, l’analyse de ces différences nous permettra de mettre en lumière de nombreux aspects spécifiques à la marque, la stratégie globale de celle-ci et comment cette stratégie est implémentée au sein des deux studios.
J’illustrerai ces différences par deux exemples, celui des deux modèles White Birch, ainsi que la comparaison de l’offre de haute horlogerie de Shinshu (Seiko Epson) et de Shizukuishi (SII).
Les différences et spécificités de Shinshu et Shizukuishi
Production:
La première différence de taille entre ces deux entités est la méthode de production.
Au Shinshu Watch Studio, tout est fait en interne, mouvements, boîtiers, cadrans, index, aiguilles etc. Evidemment, certains composants viennent d’autres branches du groupe Seiko Epson (comme les cristaux de quartz par exemple), mais tout vient de l’interne.
Je vais peut-être en choquer quelques-uns, mais pour ce qui est des GS mécaniques, Seiko Instruments fait appelle à de la sous-traitance. Attendez, attendez, ne criez pas au scandale, je vous explique tout !
Pour les cadrans, SII fait appel à Shokosha. Il s’agit d’une petite entreprise fondée en 1929 par un ancien employé de Seikosha à l’époque où ils poussaient leurs employés à créer leurs compagnies pour que K Hattori investisse ensuite dedans. Il s’agit donc d’un partenaire historique de la marque, pour qui Seiko est le plus gros client depuis toujours et dont Seiko est actionnaire majoritaire. D’ailleurs pour les amateurs de Seiko vintage des années 60/70, si le code cadran de votre montre se termine par R, cela signifie que le cadran a été produit par Shokosha (comme sur les Pogue par exemple - Shokosha ayant donc fait des cadrans pour Suwa et pour Daini).
Pour les boitiers, c’est Hayashi Seiki Seizo qui les fabrique. Là aussi, c’est un partenaire historique de Seiko, une entreprise familiale crée dans les années 1920 à Tokyo et bien que je n’ai jamais trouvé confirmation, je pense qu’il s’agit exactement du même cas de figure que Shokosha (créée par un ancien employé de Seikosha). Là aussi, Seiko est actionnaire majoritaire. Hayashi Seiki Seizo ne produit pas que pour GS et Seiko, il suffit de regarder leur site internet pour s’en rendre compte, par contre il est essentiel de préciser que certains procédés propres au polissage zaratsu sont brevetés et utilisés uniquement pour les boîtiers GS. La Ferrari F40 et la Peugeot 406 Coupé sont toutes les deux dessinées par Pininfarina, il ne vous viendrait pas à l’idée de les juger comparables pour autant.
D’ailleurs, si vous faites bien attention quand vous regardez les vidéos des visites ou de présentation du Grand Seiko Studio Shizukuishi, on ne voit pas comment sont fait les cadrans et les boitiers, alors que c’est montré pour les visites et présentations du Shinshu Watch Studio. Vous savez maintenant pourquoi.
Enfin, dernière distinction, le Shinshu Watch Studio s’occupe non seulement de produire des Grand Seiko, mais également des Credor. Ce qui explique la différence de nom avec le Grand Seiko Studio Shizukuishi, qui ne fait donc que des GS comme son nom l’indique.
Commercialisation:
Là on revient sur quelque chose de moins compliqué, c’est donc Seiko Watch Corp qui se charge de commercialiser les montres produites à Shinshu et à Shizukuishi (cf le graphique de Plus9Time plus haut).
Un point qui me semble intéressant à souligner, c’est que contrairement à avant, maintenant les prix sont identiques ou presque sur des produits positionnés de la même manière. Que vous vouliez une White Birch Hi Beat ou Spring Drive, vous payerez le même prix.
Seiko Watch Corporation s’occupe donc de tout ce qui est branding, marketing, ventes des Grand Seiko, peu importe leur lieu de production.
Design:
L’uniformisation des designs entre Shinshu et Shizukuishi n’est pas nouvelle. Le design des boitiers des SBGR001 a été repris et adapté pour les SBGA001 quelques années après. Le boitier 44GS qui a été ressuscité d’abord à Morioka avec les SBGJ001/003/005 s’est ensuite retrouvé à Shiojiri dans des modèles quartz ou Spring Drive, tout comme le boitier 62GS. La 44GS d’origine est pourtant le fruit du travail des équipes de Daini (aujourd’hui Shizukuishi) alors que la 62GS est née dans les montagnes de Shinshu. Cela dit, ces designs restent à l’origine le fruit du travail des designers de Seiko Watch Corporation ! Et oui, comme expliqué dans l’article à son sujet, Taro Tanaka ne travaillait pas pour Suwa ou Daini, il travaillait avec les deux mais pour SWC. Je sais, c’est toujours aussi compliqué…
Mais quoi qu’il en soit, il y avait toujours des différences entre les deux. Comparez une 62GS Hi Beat et une 62GS Spring Drive, vous verrez vite quelques différences flagrantes.
Avec les deux variantes de la White Birch, c’est la première fois qu’on retrouve deux modèles aussi proches venant des deux centres de production de GS. Bien qu’il reste des petites différences, la majorité d’entre elles n’est plus visible lorsque vous regardez les montres à plus d’un mètre de distance ! Mais j’y reviendrai un peu plus tard.
Dans tous les cas, le fonctionnement reste le même depuis les années 50: Seiko Watch Corp donne des directives en termes de design depuis leur studio de design au siège de Tokyo, puis travaille ensuite avec les designers des deux centres de production sur les produits spécifiques. C’est ce qui explique que l’on puisse retrouver des designs proches mais pas identiques. Mais c’est également ce qui explique que l’on puisse au contraire retrouver des designs spécifiques à une manuf’, comme le design “Lion’s Mane” des SBGA403 et SBGC231 par exemple pour Shinshu.
Mouvements:
Là aussi c’est très simple à première vue, comme je l’ai déjà dit, Shinshu propose les Spring Drive et les quartz alors que Shizukuishi propose uniquement des calibres mécaniques.
Mais il est intéressant de constater que contrairement au grand décalage de 6 ans qu’il y a eu entre l’arrivée du 9S et celui du 9R à la fin des années 90/début 2000, cette fois-ci Grand Seiko a montré plus de cohérence en sortant en même temps les évolutions de ces deux familles de mouvements en 2020, à savoir les 9SA Hi Beat et les 9RA Spring Drive. Cela n’est pas anodin et montre une volonté forte de Seiko Watch Corporation d’uniformiser et de consolider leur offre de manière cohérente, mais également que cette stratégie a été mise en place plusieurs années auparavant pour aboutir à des produits commercialisables au même moment.
Si on regarde les 9SA et 9RA d’un peu plus près, on peut lire entre les lignes certaines choses que l’on peut tenter de décrypter.
De prime abord, ces deux mouvements remplissent les mêmes objectifs: proposer des évolutions de mouvements existants avec des améliorations techniques, une diminution de l’épaisseur et une augmentation de la réserve de marche. Comme déjà expliqué dans l’article sur les mouvements GS, le nouvel échappement du 9SA et les améliorations de la partie électronique du 9RA assurent la partie technique, la réserve de marche augmente généreusement des deux côtés et les deux mouvements se sont nettement affinés.
Mais ce dont je n’ai presque pas parlé, ce sont les décorations des mouvements, et là c’est très clairement deux salles deux ambiances ! Là où le 9SA est devenu plus démonstratif que son prédécesseur avec son rotor très ajouré, la découpe des ponts et les décorations plus Européennes (j’y vois personnellement un mélange de Lange pour le rotor et de Jaeger LeCoultre pour les ponts), des vis bleuies pour les éditions spéciales et de nombreux rubis bien visibles, le 9RA joue la carte de la sobriété maximale avec sa nouvelle finition satinée (attention à ne pas riper lors de l’assemblage !) sur son pont unique et un anglage convexe qui utilise une nouvelle technique (par machine) développée spécialement par Seiko Epson. Et tout comme on l’avait déjà vu sur le magnifique calibre Spring Drive manuel 9R31, les horlogers de Shinshu continuent de nous proposer de magnifiques polissages pour les noyures des vis, rubis etc. Toujours faites à la machine, ces décorations permettent des jeux de textures et de reflets plus subtils et à mon sens, plus poussés et réussis que les découpes des ponts et les “côtes de Tokyo” (qui ont elles-aussi évolué depuis le 9S) du 9SA5. Mais surtout, l’esthétique qui en résulte donne au nouveau mouvement Spring Drive un esprit plus Japonais à mes yeux.
Enfin, je conclurai ce petit comparatif 9SA/9RA en précisant que le 9SA a déjà servi de base à un mouvement auto 9SA5, un mouvement chronographe 9SC5, un mouvement tourbillon (si on considère vraiment que c’est la même base, mais c’est un autre débat) 9ST1 et depuis peu un mouvement à remontage manuel 9SA4. De son côté, le 9RA n’existe qu’en deux variantes automatiques pour l’instant, l’une avec l’indicateur de réserve de marche côté cadran, l’autre côté mouvement. Mais je suis sûr que GS va continuer à développer diverses complications sur la base de ces “châssis” 9SA et 9RA.
Mais qu’en est-il du quartz? 2023 signait le 30ème anniversaire du calibre 9F. Combien de modèles équipés de ce mouvement sont sortis cette année-là? Zéro. Et oui, comme déjà précisé dans l’article précédent, Grand Seiko n’a même pas fêté les 30 ans du 9F. Incroyable non? Seuls trois modèles pour femmes sont sortis en 2023 avec des mouvements à quartz 4J.
J’y vois deux explications possibles: soit GS abandonne petit à petit le quartz pour se focaliser principalement sur le duo Hi Beat/Spring Drive, soit GS est en train de travailler sur une évolution du 9F (le 9FA?) pour botter le cul de Citizen.
Philosophies;
Jusqu’à récemment, il était assez aisé de distinguer Shinshu de Shizukuishi sur un point: les montres sportives. Alors qu’il existait proportionnellement très peu de GS mécaniques vraiment typées sportives, toutes les plongeuses et les chrono étaient une production propre à Seiko Epson. Que ce soit par soucis de robustesse ou par pur choix esthétique, Shizukuishi ne s’aventurait pas au-delà du sport-chic tout au plus.
Evidemment, cela a fini par changer puisque qu’on retrouve maintenant les GMT sportives, les plongeuses et même les chronos en production à Morioka. Mais certaines choses perdurent. Est-ce que vous vous souvenez de la première montre équipée du 9SA en 2020? Une montre habillée en or sur bracelet cuir. Et pour la première équipée du 9RA? Une plongeuse ! Comme quoi, malgré l’uniformisation de l’offre et la volonté de GS de simplifier les choses, les vieilles habitudes ont la vie dure ! Et oui, je vous rappelle que c’est à Suwa Seikosha/Seiko Epson que l’on doit toute la lignée de plongeuse mythiques 62MAS/6215/6159/6105/Turtle/Tuna, mais également les chrono tout aussi mythiques 6139 et 6138.
Passons maintenant au concret
White Birch contre White Birch
J’avais conclu l'article Suwa vs Daini en montrant que les deux montres emblématiques de chaque studio étaient la Snowflake pour Shinshu et la 44GS Iwate pour Shizukuishi.
Les modèles phares des deux manufactures sont maintenant la White Birch en déclinaison Hi Beat et en déclinaison Spring Drive.
Comme je le disais plus tôt, à plus d’un mètre de distance, les petites différences entre les deux modèles s’estompent. Taille de la couronne, taille du guichet de date, taille du réhaut, sillon central des index, ces détails assez flagrants lorsqu’on regarde les montres de près restent négligeables au porter du quotidien. Et surtout ces différences sont bien plus subtiles et minimes que celles qui opposent la Snowflake de la 44GS Iwate !
Je le répète mais ceci montre bien à mon sens, la volonté de Grand Seiko d’avoir une offre plus simple et cohérente pour le client lambda qui découvre la marque. Imaginez un prospect qui rentre dans une boutique, flash sur le cadran de la Snowflake mais la veut en Hi Beat. Vous n’avez plus qu’à lui lire l’article Suwa vs Daini pour lui expliquer pourquoi ce n'est pas possible, tout en espérant qu’il ne parte pas en courant en vous traitant de fou (ce qu’il fera assurément) ! Aujourd’hui, le problème est bien moindre puisque malgré leurs cadrans différents, les deux versions de la White Birch sont quand même relativement proches. Là où certains y verront une dilution de l’identité des deux manufactures, je pense qu’il faut y voir une volonté de GS de rendre la marque plus claire, lisible et accessible aux nouveaux clients.
Bon, j’ai parlé des points communs entre les deux montres, mais parlons quand même un peu plus de ces cadrans. La raison de leurs différences a déjà été évoquée: ils ne sont pas faits au même endroit. Shizukuishi a eu la volonté de ne pas faire un cadran trop blanc (les membres du GS9Club se rappelleront peut être de la vidéo de son designer à ce sujet), là où les designers de Shinshu ont justement misé sur un cadran blanc au motif légèrement différent. Et je pense que ça n’est pas un hasard.
Comme je l’expliquais, cette volonté d’uniformisation vient de la Seiko Watch Corporation, mais je ne peux m’empêcher de penser que Seiko Epson ait voulu se distinguer, garder une petite part de différence pour ne pas faire la même chose que son rival fraternel de toujours. Et bien que dans l’idée, les deux textures de cadrans sont censées représenter des forêts de bouleaux blancs, quand je vois le cadran de la SLGA009 je ne peux pas m’empêcher de voir…la Snowflake 2.0 ! Ou du moins un croisement entre la White Birch de Morioka et la Snowflake de Shiojiri. Une “Snowbirch” quoi.
Entre le nouveau calibre SD plus sobre esthétiquement, le cadran “Snowbirch” avec sa texture plus fine et subtile, et sa teinte blanche plus discrète que le cadran de la SLGH005, je trouve que cette SLGA009 joue finalement plus la carte de la sobriété que la version de Morioka qui est définitivement plus démonstrative et tape-à-l’oeil. La bimbo sexy contre la geisha élégante. Bon ok ok, j’exagère encore, je vous l’accorde…
Un dernier point sur l’aspect esthétique: les deux studios ont eu la mauvaise idée d’indiquer leur réserve de marche directement sur le cadran. C’est comme si on écrivait la consommation d’une voiture directement sur sa calandre (ou sa propre “réserve de marche” son sur profil Tinder). Je ne comprends toujours pas… Mais passons !
Finalement, c’est intéressant de voir comment en reprenant le même cahier des charges, les deux usines de GS arrivent à tout de même faire transparaître leurs philosophies à travers leurs différents choix. Là où Shinshu joue la carte de la sobriété, Shizukuishi essaye d’en mettre plein la vue et opte pour des choix esthétiques qui s’orientent davantage vers des sensibilités occidentales - d’ailleurs Seiko et GS ont des designers chargés spécifiquement de concevoir des modèles pour le marché global et d’autres pour le marché Japonais.
Je pense que ça n’est pas un hasard si le Shinshu Watch Studio n’est toujours pas ouvert aux visites du public alors que le Shizukuishi Watch Studio affiche toujours complet pour les visites - il a même d’ailleurs été conçu pour ça !
Le Shizukuishi Watch Studio a revêtu ses habits de lumière alors que le Shinshu Watch Studio reste ce bon vieux geek Japonais un peu différent et introverti qui reste tranquillement dans son coin. Bon ok, j’arrête avec mes comparaisons pourries, vous avez compris l’idée !
La Haute Horlogerie selon Grand Seiko
Après avoir comparé les porte-étendards des deux manufactures, je pense qu’il est intéressant de comparer ce que les deux entités ont de mieux à offrir.
Le Micro Artist Studio se trouve au sein du Shinshu Watch Studio à Shiojiri et a été ouvert en 2000 avec comme objectif de transmettre le savoir horloger artisanal (en particulier les décorations et le travail de terminaison) aux générations suivantes, avec comme inspiration et mentor le fameux Philippe Dufour. Le MAS a produit des pièces emblématiques depuis deux décennies comme les Credor Eichii I et II, les Credor Sonnerie et Répétition Minute, les Grand Seiko 8 Days etc. Sans grande surprise, tout s’articule évidemment autour du Spring Drive. Si vous n’avez pas compris pourquoi, posez votre téléphone ou votre ordi, allez boire un verre et reprenez l’article depuis le début !
À Morioka, les choses étaient un peu différentes jusqu’à récemment. Avant, deux maîtres artisans, un graveur (Kiyoshi Terui) et un horloger (Katsuo Saito), étaient en charge de la décoration et de l’assemblage du mouvement Credor 6899, un calibre ultra plat très haut de gamme, qui demande un savoir-faire incroyable autant de la part du graveur que de l’horloger en charge de l’assemblage. Pour la petite anecdote, j’ai un jour montré ce mouvement gravé et squeletté de seulement 1,98mm d’épaisseur à une horlogère en charge de l’assemblage du calibre ultra fin chez Audemars Piguet et elle était scotchée !
Petit aparté, si le travail de Sakurada-san et de Terui-san vous intéresse, je vous invite à lire cette interview faite par mon ami Ken en 2013 à l’occasion d’un projet très spécial mené par les deux maîtres artisans
À Shizukuishi donc, pas de studio ou de structure spécifique, juste deux artisans de haut vol (ils ont toutes les récompenses et tous les titres possibles) qui travaillent sur un mouvement très technique, mais on est clairement sur quelque chose de très différent du MAS.
Les choses ont commencé à changer en 2016 avec l’arrivée du tourbillon Credor Fugaku, assemblé à Tokyo par le maître horloger Satoshi Hiraga. Seiko décide de créer une petite entité à son siège de Ginza où quelques artisans détachés du Shizukuishi Watch Studio vont pouvoir travailler sur les pièces les plus exclusives de la Seiko Watch Corporation. Si on regarde un peu la genèse du tourbillon Kodo, on se rend compte que celui-ci était déjà dans les tuyaux à ce moment-là et que la Fugaku était presque une répétition générale avant la Kodo.
Ce n’est qu’en 2022 que Grand Seiko inaugure officiellement Atelier Ginza, situé au 7ème étage de Wako, renommé depuis Seiko House Ginza.
On peut voir en Atelier Ginza le pendant du Micro Artist Studio pour Seiko Watch Corporation (je rappelle que le MAS dépend de Seiko Epson, qui en indépendant de Seiko Watch Corp.). Alors certes, nous ne sommes plus à Shizukuishi, mais Atelier Ginza est en quelques sortes un prolongement du Shizukuishi Watch Studio et tous deux dépendent de Seiko Instruments Inc. au sein de Seiko Holdings Corp (et encore, c’est un peu simplifé…).
Ça va, vous suivez toujours? Parfait, alors on continue !
Par le passé, que ce soit le MAS ou Atelier Ginza (même avant que le nom apparaisse), les deux structures ont produit des montres très haut de gamme tant d’un point de vue technique qu’esthétique, à la fois pour Credor et pour Grand Seiko. GS étant maintenant le flagship haut de gamme de la marque, et Credor restant une marque quasi exclusivement JDM, je serais curieux de voir si le MAS et Atelier Ginza vont s’axer majoritairement sur GS dorénavant ou si Credor va continuer à avoir des Masterpieces, que ce soit en Spring Drive ou en mécanique. Je rappelle qu’à un moment, les seules pièces véritablement “haute horlogerie” du groupe étaient des Credor, mais peu à peu la tendance s’inverse. Et pour l’anniversaire de Credor, on ne voit au contraire que des modèles Goldfeather équipées du fameux calibre 68 ultra plat et une déclinaison en or jaune de la Eichii II.
D’ailleurs en termes de comparaison entre les MAS et Atelier Ginza, il est intéressant de noter que le tourbillon Kodo est affiché sensiblement au même prix que la répétition minutes de Credor, et je pense que ce positionnement n’est pas anodin !
De la même manière qu’on peut comparer les deux White Birch, je pense que la comparaison entre le Kodo et la répétition minutes illustre bien les différences entre Shinshu et Shizukuishi (bien que ce soit une comparaison GS/Credor si on veut être précis). Là où la répétition minutes de Credor est très Japonaise dans son exécution, ses terminaisons, ses symboliques, son artisanat, la Grand Seiko Kodo se détache clairement des codes habituels Japonais de Grand Seiko et se rapproche plus d’un style qu’on pourrait retrouver chez MB&F ou Audemars Piguet. J’y vois à nouveau l’illustration d’une tendance à l’occidentalisation voulue par GS et sa branche de Morioka, ce qui n’enlève rien à l’incroyable œuvre de Kawauchiya évidemment ! C’est un autre point qui s'ajoute à ceux cités précédemment, et qui montrent cette volonté d’ouverture et de démonstration de la part de GS, le tout s’inscrivant dans une démarche globale qui touche à la fois au design, aux mouvements, à la commercialisation, à la communication et aux expériences que propose la marque de manière globale.
Encore une fois, Shizukuishi s’ouvre et évolue là où Shinshu reste toujours plus discret et en retrait.
Et puisqu’il est impossible et inutile d’avoir un tourbillon Spring Drive, reste à savoir si la rivalité fraternelle qui anime Shinshu et Shizukuishi va pousser l’Atelier Ginza à concevoir à son tour une répétition minutes, cette fois-ci purement mécanique !
Qu’est-ce qui ressort de tout ça et quel avenir peut-on imaginer?
Tout d’abord, il est facile de se rendre compte que Grand Seiko essaye de mettre de l’ordre dans son offre et de rendre la marque plus claire pour les nouveaux clients. Le design s’uniformise entre les deux manufactures, l’offre se centre petit à petit sur les deux technologies phares de la marque, le Hi-Beat et le Spring Drive. Il y a eu très peu de nouveaux modèles en 28800bph en 2023, ces calibres étant plutôt utilisés dans les montres pour femmes ou dans les modèles petit diamètre à remontage manuel. Le quartz se fait de plus en plus discret. Bien que la marque soit toujours polarisée entre Shinshu et Shizukuishi, l’offre se simplifie et la marque est plus lisible et abordable pour quelqu’un qui ne lit pas Wadokei pour connaître tous les secrets de GS !
Les gammes se restructurent petit à petit de manière plus ou moins habile. Comme déjà expliqué dans l’article précédent, on sent que les choses évoluent lentement mais sûrement vers un coeur de cible autour des 10 et 15k€ avec les nouveaux 9RA et 9SA dans la gamme Evolution 9, une “entrée de gamme” entre 5 et 9k€ avec les anciens mouvements (d’ailleurs il semblerait que le prix moyen des montres achetées Place Vendôme tourne justement autour des 7k€), un abandon progressif du quartz dont l’image n’est pas vraiment symbole de haute de gamme, et une offre plus étoffée sur la Haute Horlogerie avec les GS du MAS (les références en SBGD et SBGZ), le tourbillon Kodo et les autres chef-d’oeuvre sur lesquels travaille déjà l’équipe d’Atelier Ginza.
Conclusion
Je trouve cette question de rivalité Suwa/Daini ou plutôt Epson/Seiko Instruments très intéressante encore aujourd’hui. Alors que ces deux entreprises distinctes ont deux histoires qui se sont construites en parallèle, elles ont quand même toujours eu des philosophies et des approches très différentes, avec au milieu de tout ça Seiko Watch Corporation qui joue le rôle du chef d’orchestre qui planifie et commercialise les produits sous une seule et même bannière.
Ce qui semble changer la donne, c’est que SWC ait clairement la volonté de rendre la marque plus lisible et compréhensible aux nouveaux clients, et cela nécessite de passer par une uniformisation de l’offre. Mais finalement, bien qu’il y ait eu beaucoup de différences esthétiques et philosophiques entre les montres de ces deux maisons, historiquement nous avons toujours aussi eu des montres chez Suwa et Daini qui se ressemblent beaucoup, avec à chaque fois des subtilités qui leur étaient propres.
SLGH019 Hi Beat à gauche, SLGA021 Spring Drive à droite. Quand Tokyo dit “faites moi une montre bleue”, ils s’exécutent !
À y regarder de plus près, on se rend compte que malgré la volonté d’uniformisation, certaines différences et certaines ressemblances persistent comme depuis toujours, et c’est tant mieux !
Jongler entre la tradition de cette rivalité, les impératifs des modes et lieux de production, et la nécessité de clarifier l’offre ne doit pas être évident et j’ai hâte de voir comment les nouvelles plateformes GS (que ce soit la plateforme de design E9 et les plateformes techniques 9SA et 9RA) vont être utilisées par les équipes de Shiojiri et de Morioka pour continuer à nous proposer des montres aussi captivantes et passionnantes, dans le respect de l’ADN de la marque !
La question qui reste est finalement la suivante: est-ce que ma première Evolution 9 viendra de Shinshu ou de Shizukuishi? Une chose est sûre, il m’en faudra une de chaque…