Grand Seiko pour les Nuls - Le design (Partie 2)
Après avoir abordé le design des boitiers dans la première partie, je vous propose maintenant de regarder d’un peu plus près ce qui se passe au niveau du cadran, de ses index et de ses aiguilles. Et quand je dis d’un peu plus près, je veux dire de très très très près !
Alors sortez les loupes et les microscopes puisque là, on ne parle plus seulement d’apprécier un objet qu’on peut apercevoir de loin dans une vitrine, on parle de se mettre à l’échelle d’un petit insecte qui irait se balader sur le cadran d’une GS !
En effet, si la Grammaire du Design est née de la volonté de faire des montres qui attirent l’oeil quand on rentre dans une boutique (et donc qu’on apprécie à quelques mètres ou quelques centimètres), on peut considérer que le design au niveau du cadran correspond à une deuxième étape d’observation rapprochée, voir extrêmement rapprochée, puisque les designers travaillent à l’échelle du 1/100è de millimètre (0,01mm).
La chose essentielle à garder à l’esprit si on veut comprendre le design des cadrans GS, c’est qu’une fois de plus, tout est pensé pour répondre à une des caractéristiques essentielles de GS: la lisibilité.
La première chose qui découle de ça, c’est qu’on peut déjà distinguer deux types de designs: les montres à cadrans foncés et celles à cadrans clairs. Et non, je ne vous prends pas pour des simples d’esprit, cette distinction basique joue en fait un rôle majeur sur un ensemble de détails essentiels ! Et cela concerne la finition des index et des aiguilles.
Les aiguilles
L’immense majorité des aiguilles GS sont des aiguilles dauphines qui présentent une surface supérieur plate et des chanfreins polis. Et c’est là que la couleur du cadran rentre en jeu !
La plupart du temps (et ce depuis 1960, bien que ça se perde un peu maintenant), la plupart du temps l'aiguille des heures est légèrement plus large que l'aiguille des minutes), toujours pour soucis de lisibilité.
Sur les cadrans clairs, les aiguilles sont entièrement polies (y compris leur face inférieur. Oui oui !). Ce poli comparable au poli noir ou poli bloqué qu’on retrouve sur certaines pièces des mouvements de haute horlogerie présente une caractéristique propre (qui vaut son nom au poli noir), c’est que la pièce étant parfaitement plate et polie, elle renvoie la lumière dans une seule direction, ce qui a pour effet de faire apparaître la pièce soit blanche, soit noire, soit d’une teinte de gris intermédiaire. Le chanfrein de l’aiguille permet donc un complément idéal à sa face supérieur puisque si l’aiguille apparaît blanche, les chanfreins apparaîtront noirs ou gris et si l’aiguille apparaît noire, les chanfreins apparaîtrons blancs ou gris. Dans tous les cas, les chanfreins joueront un magnifique contraste avec les aiguilles pour permettre une lisibilité optimale.
Sur les cadrans foncés, les choses sont un peu différentes. En effet, si les aiguilles étaient polies, le fait qu’elle apparaissent noires selon la lumière rendrait la lisibilité assez moyenne (malgré les chanfreins). Les aiguilles des cadrans sombres sont donc toutes brossées dans la longueur avec les chanfreins polis (contraste encore une fois). Ce brossage permet aux aiguilles de rester toujours dans une teinte claire pour mieux se détacher du cadran. Les chanfreins polis apparaissant tantôt noirs tantôt blancs donnent l’impression que les aiguilles sont plus ou moins fines, ce qui rajoute encore aux jeux de lumière et aux variations que prennent les GS selon l’ambiance lumineuse.
Et ici aussi, le soin apporté aux finition est maximal puisque toutes les finitions sont faites à la main.
Parmi les aiguilles polies, une partie partira pour le brossage qui est fait individuellement par un opérateur. Chaque aiguille sera donc brossée une par une grâce à une petite machine sur laquelle l’opérateur pose l’aiguille, brosse puis utilise une vis micrométrique pour abaisser l’abrasif progressivement jusqu’à obtenir le brossé désiré.
L'abrasif est situé sur une la face inférieure d'une sorte de tiroir que l'opérateur fait frotter sur la partie supérieure de l'aiguille. La vis micrométrique que l'on voit en bas permet de descendre progressivement l'abrasif..
C'est rapidement visible à 3:02 ici (coupez le son !)
Pour les aiguilles bleuies (les aiguilles des secondes sauf quelques rares éditions limitées d’il y a longtemps), elles sont également bleuies une à une par un opérateur qui ne peut faire que deux aiguilles en même temps (chacune sur son support). C’est lui qui décide à l’oeil le moment où l’aiguille peut être retirée de son support chauffant.
Le processus est visible à partir de 2:52 ici (je vous conseille vraiment de couper le son !)
Ou ici à partir de 3:06
Ensuite, l’aiguille et son canon sont assemblés également à la main à l’aide d’une machine et d’un petit maillet. Quand je vous dit que la quantité de travail manuel est affolante…
Les index
Comme la grammaire du design l’exige, l’index de 12h est toujours un index double ou plus large, par soucis de lisibilité. C’est la plupart du temps vrai également pour les index de 6h et 9h (et 3h pour les modèles sans date).
Tout comme les aiguilles, les index des cadrans clairs sont entièrement polis et ceux des cadrans foncé présentent une face supérieur striée. L’idée est la même que pour les aiguilles: présenter un contraste qui permet que les index ne se confondent jamais avec le cadran. La plupart des index striés sur le dessus ont un chanfrein poli et des faces latérales brossées, donc trois types de finitions différentes. Le brossé et le strié permettent de «détacher» l’index du cadran et les parties brossées permettent un contraste et des reflets pour plus de lisibilité.
Le striage de certains index donne parfois un effet arc-en-ciel magnifique comme si l’index était un prisme.
Depuis peu, Grand Seiko utilise aussi des index bleuis à l’image des aiguilles.
From a bug’s eye view
Sur son site «Seiko Design», Seiko utilise ce détournement de l’expression anglaise «from a bird’s eye view» (littéralement «vue d’oiseau» dans le sens d’avoir une vue aérienne, une vue globale) et le transforme en «vue d’insecte» pour illustrer le fait que ces montres sont dessinées à une échelle minuscule et pensées pour être regardées à la loupe. L’échelle à laquelle travaillent les designers GS est donc le 1/100e de millimètre (soit 0,01mm).
Vous noterez la maîtrise incroyable de photoshop !
Mais ce niveau de détail n’est pas choisi arbitrairement, il correspond en fait au niveau de détail que l’oeil humain peut distinguer. Designer une montre en pensant à des détails de l’ordre du 1/100e de millimètre permet donc de créer des subtilités détectables à l’oeil humain et donc au service...vous l’avez deviné, de la lisibilité !
On retrouve donc souvent des détails mineurs qui peuvent changer beaucoup de choses. Pour les index, cela se traduit par la facette supérieure qui est souvent légèrement surélevée par rapport au reste de l’index de quelques centièmes de millimètre, le tout avec toujours un parfait polissage évidemment (cf les photos au-dessus).
Ca veut dire également que les index ne sont pas en contact direct avec le cadran mais qu’il y a une légère couche de vernis entre le cadran et l’index, ce qui permet de surélever légèrement l’index par rapport au cadran, ce qui donne l’impression que celui-ci flotte au-dessus du cadran et permet, une fois de plus, une meilleur lisibilité. Vous pouvez apprécier ces différents détails sur la photo avec la coccinelle ou avec le designer (une future légende de GS, Shinichiro Kubo, papa de la Snowflake, de la SBGE001, de la première plongeuse GS etc) passé au cycle intensif du lave-linge.
Les cadrans
Les cadrans GS sont très variés et presque chaque référence a un cadran unique. Mais il y a quelques «classiques».
La spécialité des GS fabriquées à Shojiri (dans les montagnes de la préfecture de Nagano) par Seiko Epson et équipées du mouvement 9R Spring Drive ou du 9F Quartz est le cadran champagne soleillé, un cadran complexe à fabriquer, qui demande un grand nombre d’étapes et dont le rendu est magnifique, d’une texture soyeuse subtile et changeante qui va du beige au gris avec une multitude de reflets différents possibles. C’est la fierté de Shinshu. Un régal !
On voit ici parfaitement le travail réalisé sur ces cadran soleillés
Un petit avant/après
Le processus est visible à partir de 3:33 ici, mais le plus important est de voir que la personne qui s'occupe du soleillage coupe entretient à la main la roue qui fait le soleillage du cadran en coupant à l'aide d'un ciseau traditionnel Japonais les petits fils abimés... Je vous le dis, ils sont fous !
Et le résultat n’est pas trop mal…
Mais le cadran le plus connu est sûrement le cadran Snowflake. Bien qu’on retrouve des cadrans très semblables sur des Seiko ou Grand Seiko vintage, la technique a été revue et adaptée pour arriver à ce rendu. Je reviendrai dans un autre chapitre sur la symbolique qui se cache derrière ce cadran et d’autres, mais ça n’est pas un secret que ce cadran évoque un paysage enneigé, typique de la région de Nagano où ces montres sont fabriquées.
L’autre centre de production des GS (celles équipées du mouvement 9S mécanique) se trouve à Morioka, au nord du Japon dans la préfecture d’Iwate qui tient son nom de la montagne qui domine la préfecture.
Les designers se sont inspirés des contreforts de ce fameux sommet qu’on peut admirer depuis les fenêtres du Shizukuishi Watch Studio (le studio GS au sein de Seiko Instruments Incorporation) pour créer le cadran que l’on surnomme cadran Iwate (logique).
Il s’agit du cadran «signature» des GS mécaniques, une sorte de réponse au cadran Snowflake des GS Quartz et Spring Drive. Cette texture a été déclinée en plusieurs couleurs.
Comme je l’ai déjà dit, il existe presque autant de cadrans que de références GS. Je ne reviendrai donc pas sur tous les cadrans mais j’évoquerai ceux qui ont une symbolique particulière dans le chapitre approprié.
En attendant, voici quelques exemples de couleurs et textures qu'on retrouve chez Grand Seiko
Dans tous les cas, ces cadrans sont extrêmement difficiles à montrer en photo et s'il est bien une chose à admirer à la lumière naturelle, ce sont ces cadrans ! Ils sont très subtils et nuancés, lorsqu'il y a un motif, celui-ci est souvent très discret et le cadran n'est presque jamais le même !
Pour ce qui est de la fabrication de ceux-ci, elle est bien évidemment gardée secrète par GS mais je peux vous dire que pour un simple cadran soleillé champagne comme montré un peu plus haut, il y a plus d'une douzaine d'étapes !
Le guichet de date
Je ne reviendrai pas sur les excellentes finitions de cette partie du cadran mais plus sur le dateur en lui-même. Dans la majorité des cas, les cadrans clairs ont un daté argenté ou blanc avec la date en noir et sur les cadrans noirs, le dateur est noir avec la date argentée (avec cependant quelques exceptions). Mais sur les cadrans de couleur, le dateur est systématiquement argenté.
Bien que l’accord cadran/dateur face partie des obsession compulsives du forumeur moyen, la règle ici n’est pas respectée. Je suppose que c’est pour une question d’équilibre, le dateur prenant souvent la place d’un index (qui est donc de couleur argentée la plupart du temps), le dateur argenté permet de garder un certain équilibre. D’autre part, quand GS fait des cadrans de couleur, cette couleur est généralement très changeante de par le traitement complexe du cadran et il serait difficile d’obtenir le même effet sur le dateur. Mais bon, je pense que c’est surtout une question d’équilibre visuel. Une question qui fait beaucoup débat.
L’indicateur de réserve de marche
Ca ne vous aura sûrement pas échappé, l’immense majorité des Spring Drives sont équipés d’un indicateur de réserve de marche à environ 7h côté cadran alors que ces montres sont toutes automatiques. La seule exception est la GS Spring Drive 8 jours qui a son indicateur coté mouvement (et il s’agit pourtant de la seul GS Spring Drive manuelle).
Cet indicateur divise l’opinion et ça fait souvent partie des choses qui déplaisent à ceux qui découvrent ces modèles. Je dois dire que j’en faisais partie mais que depuis, je m’y suis fait et maintenant ça me ferait bizarre de voir un Spring Drive sans cet indicateur. C’est un peu la signature des GS Spring Drive pour moi.
Et quand on voit le travail de finitions qui est fait sur certains de ces indicateurs...
A noter, il a existé des mouvements GS automatiques 3 jours avec un indicateur de réserve de marche à environ 3h sur le cadran (les SBGLxxx) mais cette gamme a été arrêtée assez vite, il semblerait qu’il y ait eu quelques soucis de fiabilité d’après les rumeurs. Donc à part ces rares exceptions, indicateur de réserve de marche = Spring Drive.
Le nouveau mouvement Spring Drive 9RA5 propre quant à lui l’indicateur de réserve de marche à 10h.
Les logos appliqués
Depuis 2017, Seiko a souhaité rendre Grand Seiko autonome et un des changements le plus visible est celui des cadrans. Les anciens cadrans comportent la mention Seiko à 12h, les nouveaux ont le logo GS et le texte Grand Seiko à 12h. Voici quelques comparatifs entre ancien et nouveau cadran.
Il n’était pas possible d’évoquer le design sans parler de ce changement radical.
Dans tous les cas, ces logos sont appliqués et légèrement surélevés au-dessus du cadran, ce qui ne change évidemment rien à la lisibilité mais est du plus bel effet. Sans parler des moments où le logo se reflète sur la partie inférieure de l’aiguille des minutes puis sur la partie supérieur de l’aiguille des heures (ou tout autre jeu de lumière du genre, c’est assez hallucinant !).
Conclusion
Il y aurait bien d’autres choses à raconter sur les cadrans GS qui sont sans aucun doute parmi les plus beaux et les plus soignés du marché. On pourrait évoquer les liens avec les GS vintage (1960/1975) ou nombres de modèles Seiko anciens. Chacun de ces cadrans est un petit chef d’oeuvre à lui tout seul qui mériterait d’être admiré au microscope ou à la binoculaire pour apprécier tous les détails, les nuances, le nombre de peintures différentes utilisés pour la sérigraphie de chaque cadran, les jeux de contrastes et de nuances ou la symbolique qui s’y cache. On pourrait comparer les index et les aiguilles de différentes références, les cadrans qui semblent identiques mais qui ne le sont pas etc. Mais là, ça ne serait plus «Grand Seiko pour les nuls» mais plutôt «Grand Seiko pour les dipterophiles».
Encore une fois, ces cadrans sont faits pour être appréciés à la lumière naturelle et bien que magnifiques à l’oeil nu, ils sont également faits pour être appréciés à la loupe et je vous invite à vous régaler de la richesse de ces détails comme si vous étiez un petit insecte qui se balade sur le cadran la prochaine fois que vous aurez le plaisir d’avoir une GS entre les mains !
Il y a donc énormément de choses à raconter et/ou montrer quand on regarde d'un peu plus près les cadrans GS, en particulier l'excellent article de GNKT sur Chronomania intitulé "Grand Seiko Limited Edition et cadrans très spéciaux" !
Pour tout le reste, la discussion est ouverte !