La nouvelle dynamique de Grand Seiko

Avec l’ouverture dans les prochains jours de la plus grande boutique Grand Seiko au monde Place Vendôme, il me semblait utile de revenir sur l’évolution de la marque ces dernières années. Ce billet fait donc suite à l’article «Les évolutions de Grand Seiko depuis 60 ans», en se concentrant plus particulièrement sur l’histoire très récente et le virage très marqué qu’a effectué la marque. En partageant mon point de vue sur les choix qui ont amené GS dans cette nouvelle direction depuis un peu plus de trois ans, j’espère apporter quelques réponses et quelques pistes de réflexion sur la stratégie qui semble se dégager.


Commençons par un petit rappel de l’évolution de la situation sur ces dernières années.


Tout commence en 2017 à Baselworld quand Shinji Hattori annonce que Grand Seiko devient une marque indépendante de Seiko, enfin distribuée officiellement sur le marché international.

Je vous avoue que j’ai été très surpris par cette décision et que je ne l’avais clairement pas comprise. Je n’y voyais qu’un argument marketing pour dire «une Grand Seiko n’est pas qu’une Seiko». Pire encore, en tant que fan absolu de Seiko, j’y voyais presque une honte de porter le nom de Seiko fièrement en haut du cadran, un réel affront à la maison mère. Rien de plus qu’un nouveau type de cadran et un argument marketing douteux. Quelle naïveté…


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Mais petit à petit, au fur et à mesure des nouvelles informations, j’ai commencé à prendre conscience de ce qui se passait. 

Rapidement, Seiko annonce la création de Grand Seiko Corporation of America, succursale direct du Seiko Group, avec à sa tête le Français Brice Le Troadec, ancien responsable d’Omega USA. GS America inaugure ensuite de trois boutiques en nom propre, une à New York, une à Miami et une à Los Angeles. Une équipe dédiée exclusivement à la marque s’occupe de son développement et de sa distribution. 

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L’opération est supervisée par Akio Naito, directeur vice-président exécutif de Seiko Watch Corporation et responsable de tout ce qui touche au groupe en dehors du Japon.

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Sous son impulsion, Grand Seiko voit sa popularité exploser au Etats-Unis, devenant rapidement le plus grand marché de la marque après le Japon et rejoint le top 10 des marques entre 5000 et 10000$. Au travers de partenariats avec des grands noms comme Hodinkee ou Red Bar, ainsi qu’avec de dizaines de détaillants à travers le pays, Grand Seiko s’installe très rapidement dans le paysage horloger outre-Atlantique. La stratégie est agressive et efficace, la marque comprend les enjeux de la présence en ligne, d’une communication adaptée, d’un réseau de distribution de qualité, ainsi que le rôle que jouent les clients et amateurs de la marque qui vont à leur tour parler de GS. Les Américains appellent d’ailleurs ce type de clients des «évangélistes» car une fois convaincus, ils partagent la bonne parole et convertissent leurs entourage. Je ne peux évidemment pas évoquer le succès grandissant de Grand Seiko aux Etats-Unis sans nommer mon ami Joe Kirk, brand curator et training manager de GS of America et ultime ambassadeur de la marque.

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Face au succès rapide de la stratégie de Mr Naito aux Etats-Unis, la maison mère lui confie en avril 2019 la rênes de l’Europe. Les changements ne se font pas attendre et après avoir évalué les problématiques et les enjeux du marché Européen, Akio Naito met en place une stratégie proche de celle lancée aux Etats-Unis en créant cette fois-ci Grand Seiko Europe. Après avoir recruté Brice Le Troadec chez Omega pour les Etat-Unis et David Edwards chez Richard Mille pour le Royaume-Uni (en étroite collaboration avec GS America de par la langue commune), c’est chez Longines (et anciennement Omega) qu’est recruté le directeur de GS Europe, Frédéric Bondoux.

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Le rôle de GS Europe est clair: développer la marque et son image en proposant une stratégie et une offre unifiées sur le territoire de l’Europe continentale, tout en s’adaptant aux différents marchés Européens. C’est également GS Europe qui sera directement en charge de la nouvelle boutique qui ouvrira dans quelques jours Place Vendôme.

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La stratégie semble claire pour Grand Seiko: conquérir l’occident et s’imposer dans le paysage horloger.

Pour mieux comprendre les enjeux et les choix stratégiques qui ont été faits et qui vont suivre dans les prochaines années, il me semble important de se demander à quelle problématique ceux-ci répondent.

Dans les années 60 déjà, Seiko est parti à la conquête du monde, que ce soit par le biais des concours de chronométrie, des JO de Tokyo en 1964 ou avec les «World’s first» chronographe automatique et montre à quartz de 1969. À l’époque, le but était de montrer que les Japonais avaient rattrapé leur retard et qu’ils avaient les capacités techniques de produire des montres de qualité égale aux montres Suisses.

Aujourd’hui, le challenge est totalement différent. Ca n’est plus une bataille technique ni technologique, mais une bataille d’image. En effet, depuis des dizaines d’années l’image de Seiko en occident est celle d’une marque d’entrée de gamme.

Or, la nouvelle stratégie du groupe est très claire: vendre moins, mais plus cher. Les responsables de la marque annoncent même les chiffres précisément en mettant le coeur de cible de GS sur le créneaux des 7000$ et plus alors que le prix moyen actuel est de 6300$. C’est une stratégie qui semble très adaptée, voir nécessaire dans une période où l’entrée de gamme et le milieu de gamme ne se portent pas très bien. Mais mettre l’accent sur le haut de gamme du groupe - Grand Seiko donc - dans les conditions actuelles (image de marque, marketing, réseau de distribution etc) semble très risqué voir quasi impossible. Il fallait donc tout revoir.

Puisqu’il semblait impossible de faire cohabiter l’image de luxe de Grand Seiko avec la représentation que l’on se fait de Seiko en occident, le choix le plus avisé était donc de séparer les deux entités. Il est évident que Grand Seiko ne sera jamais totalement détaché de Seiko, ne serait-ce que par la proximité de leurs deux noms et leur histoire commune, mais en mettant en place des équipes, un marketing, une communication, une stratégie, des produits, un réseau spécifiques comme cela a été fait avec grand succès aux Etats-Unis, GS lance maintenant son offensive sur le vieux continent et cherche à développer une image propre à sa marque, une image de luxe comme celle dont elle bénéficie au Japon. 

Quelles sont les conséquences de cette stratégie?

La première conséquence observable pour les clients est l’élargissement de la gamme. En effet, Grand Seiko depuis quelques années maintenant propose de plus en plus de modèles typés sport, des montres plus modernes ou au contraire des montres plus précieuses qui font la part belle à l’artisanat et aux métaux précieux. La gamme a d’ailleurs été restructurée en trois familles: élégance, héritage et sport.

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On voit donc que GS emprunte aux autres marques du groupe, avec des plongeuses professionnelles ou des montres bijoux, des codes propres à Prospex et Credor par le passé. D’ailleurs le risque d’un tel choix est de brouiller les lignes entre ces différentes marques du groupe. Avec des prix et des philosophies qui se rejoignent, Grand Seiko va devoir continuer à «éduquer» ses clients sur les subtilités et les nuances qui font tout le charme de la marque. Mais en tant que marque à part, il est logique de développer une offre plus complète.

Au-delà de cette diversification, il y a également une volonté claire de se repositionner sur un prix moyen plus élevé, sans pour autant abandonner l’entrée de gamme si populaire. Cela se voit d’une part avec l’augmentation du prix moyen des nouveautés, mais aussi par la production de quelques pièces exceptionnelles à des tarifs très largement supérieurs à ce dont on a l’habitude avec Grand Seiko.

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Pour aller avec ce repositionnement tarifaire, Grand Seiko opte pour développer un réseau de partenaires premium, comme Watches of Switzerland en Angleterre ou Chronopassion en France pour ne citer qu’eux.

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En plus de ce réseau, la marque développe son propre réseau de boutiques dans les endroits les plus luxueux de la planète: Beverly Hills à Los Angeles, Madison Avenue à New York, le très huppé Design District de Miami, Knightsbridge à Londres et évidemment la Place Vendôme à Paris, symbole ultime de luxe.

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Pour répondre à ses nouvelles ambitions, Grand Seiko a annoncé l’augmentation de ses moyens de production pour les mouvements mécaniques avec la construction d’un nouveau bâtiment sur ses installation de Morioka, le Grand Seiko Studio Shizukuishi.

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La question que se posent beaucoup d’amateurs de longue date, c’est de savoir comment Grand Seiko va réussir à maintenir la même qualité exceptionnelle qu’on leur connait sans faire flamber les prix, tout en augmentant sa production? Une équation qui semble impossible. Avec le développement de la marque à l’international, les spécialistes estiment que la production a au minimum triplé ces dernières années. Au-delà du repositionnement tarifaire, on voit donc que l’agrandissement des infrastructures de Seiko Instruments Inc. dans le nord du Japon était nécessaire et que la séparation de la production de Seiko et Grand Seiko au sein même de la manufacture est un autre élément de réponse. Reste à savoir ce qu’il en est de Seiko Epson (en charge du quartz et du Spring Drive) ainsi que de la formation des opérateurs, des horlogers, du contrôle qualité etc, mais aussi évidemment du SAV.


Comme avec toute grande évolution, le virage entreprit par la marque laissera inévitablement quelques personnes sur le bord de la route, tout en trouvant sa nouvelle audience, plus large. Mais je trouve ça intéressant de constater que la marque reste fidèle à son ADN, tant sur le point du design que de la technique horlogère en elle-même.

Comme je l’ai déjà dit au sujet de la SLGH002, il me semble évident que Grand Seiko adapte son langage visuel à sa nouvelle cible et réussi le tour de force de s’inspirer de ses meilleurs designs du passé tout en continuant à réinterpréter la fameuse Grammaire du Design de Taro Tanaka (ou plutôt le style Grand Seiko). Ce sujet sera bientôt approfondi dans un article dédié. Ils donnent également un nouveau souffle à la marque avec des designs totalement nouveaux comme le design de la Thin Dress Series de Kiyotaka Sakai, inspiré des courbes élégantes que dessinent les voiles d’un bateau gonflées par le vent.

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Techniquement, Grand Seiko n’abandonne pas sa quête permanente de l’excellence, avec le lancement il y a peu d’une nouvelle génération de 9F, mais surtout des deux nouveaux calibres d’exception que sont le Hi Beat 9SA5 et le Spring Drive 9RA5. Là aussi, ils réussissent le tour de force de répondre aux attentes des amateurs - plus belles décorations, mouvements plus sexy, augmentation de la finesse, augmentation de la réserve de marche, indicateur de réserve de marche au dos du mouvement etc - tout en restant fidèle au passé (Hi Beat et pont traversant comme sur le mythique calibre 45) et à leur quête permanente de la précision et de la fiabilité. Mais ils continuent aussi à innover avec ce nouvel échappement à impulsion directe et indirecte tout simplement exceptionnel ou avec une version encore plus incroyable du Spring Drive.

Il est également rassurant de voir que Grand Seiko est à l’écoute de ses clients et fait évoluer intelligemment son offre grâce à sa diversification, ses designs et sa R&D.


En conclusion, je dirais que pendant de longues années, Grand Seiko a été défini par son marché, le Japon, et par ses clients majoritaires, des hommes d’un certain âge avec un bon pouvoir d’achat. Mais pour sortir des frontières de l’archipel, la maison mère a bien compris que la marque devait se réinventer pour toucher un nouveau marché et une nouvelle clientèle, un pari risqué mais nécessaire pour la pérennité de GS dans une période très difficile pour l’horlogerie de manière globale.

Avec ce recul de quelques années et à la veille de l’ouverture de la boutique Place Vendôme, symbole ultime de cette nouvelle dynamique, force est de constater que la direction de Seiko Watch Corporation et Akio Naito ont su donner un souffle nouveau avec une vision claire et des objectifs à court, moyen et long terme. Ils ont également su s’entourer des bonnes personnes pour incarner cette nouvelle dynamique. Ils ont fait des choix pertinents pour offrir une renaissance à Grand Seiko pour son 60ème anniversaire et partir à la conquête de l’occident (puis probablement par la suite de la Chine). Tout au long de son histoire, GS a su s’adapter et évoluer, mais les changements que nous traversons actuellement sont sans commune mesure dans l’histoire de la marque. 

Je suis très excité de voir ce que GS nous réserve pour la suite et de visiter ce nouveau haut lieu de Grand Seiko sur la plus belle place du monde !

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